Algérie

Benjamin Stora accusé de révisionnisme, Les harkis se mobilisent




Figure de proue de la «nouvelle génération» d’historiens de la guerre d’Algérie comme les qualifie le professeur Pierre Vidal-Naquet, Raphaëlle Branche s’interrogeait, dans un récent essai (1), si la séquence 1954-62 n’était pas, au soir de cette année du cinquantenaire, une «histoire apaisée».
Rien n’est moins visible au regard de la façon dont se manifeste la énième poussée de fièvre mémorielle, autour de la plus sanglante des guerres de décolonisation. On savait l’article 4 de ladite loi, bien parti pour nourrir, sur le long terme, polémiques et controverses. Tout compte fait, avec ses «feux mal éteints» comme l’écrivait, en 1967, le journaliste Philippe Labro, la «guerre d’Algérie» s’est toujours prêtée aux saignements sans fin. Mais on était loin d’imaginer que ledit paragraphe allait susciter une bataille sémantique et provoquer des glissements inattendus.
Benjamin Stora vient de l’apprendre à ses dépens. Au moment où l’Assemblée nationale française était saisie d’une demande socialiste d’abrogation du paragraphe controversé, l’historien apprenait, surpris, qu’il était sous le coup d’une éventuelle action en justice. Le plaignant: Khader Moulfi, «porte-parole et coordinateur de la coalition nationale des harkis et des associations de harkis», de la région de Roubaix (nord de la France). Dans un article à la teneur d’un pamphlet publié sur harkis.org, le «site de la communauté harkie», Khader Moulfi s’en prend en termes durs à l’historien.
Il l’accuse de se livrer, rien de moins, à un travail de «révisionnisme et de négationnisme de l’histoire des harkis». L’auteur ne lésine pas sur le vocabulaire pour charger Benjamin Stora. L’auteur des «Années algériennes» et d’une multitude de travaux sur le mouvement national algérien et maghrébin est décliné sous une somme de qualificatifs. Tour à tour, il est présenté comme un «ancien historien de son état et actuel porte-parole de la propagande anti-harkis du FLN, en France», un auteur aux écrits douteux et scandaleux. Khader Moulfi va jusqu’à l’accuser d’être «indigne de tout historien intègre qui se respecte». A l’origine de cette charge comme l’auteur en a rarement vue: deux points de vue: le premier sous forme d’interview au quotidien «El-Watan», le second sous forme de déclaration au «Monde».
 Khader Moulfi reproche à Benjamin Stora de ne pas avoir fait sienne -ou validé en sa qualité d’historien- le qualificatif de «génocide» avancé par certaines associations de harkis et des partisans de l’Algérie française.
 Autre reproche qui s’apparente à un crime de lèse-majesté aux yeux du «porte-parole de la coordination des associations de harkis»: la détermination des responsabilités dans les massacres qui ont ciblé les anciens supplétifs de l’armée française, du printemps au début de l’été 1962.
 «Sur les massacres eux-mêmes, formellement, il n’y a pas eu d’ordres donnés par le GPRA, par les responsables de wilayas, d’exterminer les harkis. L’état actuel des connaissances des archives ne permet pas de l’affirmer, souligne Stora. Par contre, ce qui est certain, c’est qu’il y a eu des exactions que des responsables locaux ont laissé faire pour une série de raisons». L’historien dit, par ailleurs, ne pas accorder de crédit au chiffre avancé sur les 150.000 harkis. Cet indicateur «me semble être un chiffre de propagande». Ces propos, ajoutés à d’autres, n’ont pas plu à Khader Moulfi, qui, «scandalisé» par une lecture aux antipodes de la sienne, se décide à passer à l’action. Il «recommande très vivement» aux présidents des associations «RONA» (rapatriés d’origine nord-africaine) d’en finir avec les «salons mondains» et autres «réunions politicardes».
 En ces temps de controverses sur l’article 4, l’urgence, semble-t-il dire, est à tout autre: «s’occuper, sérieusement et rapidement, du «dossier STORA» dans la perspective d’une éventuelle action judiciaire collégiale». Argument-conseil de Khader Moulfi à l’adresse des animateurs de RONA: «on ne peut pas le laisser éternellement et impunément nous «cracher dessus», sans la moindre réaction de notre part».
 Ce n’est pas la première fois que Benjamin Stora se retrouve dans une situation d’adversité similaire. Auteur à pied d’oeuvre depuis 1978 dans un terrain historique semé de difficultés et d’embûches de toutes sortes, il a eu déjà maille à partir avec plusieurs protagonistes de la guerre d’Algérie. Au rang desquels les partisans les plus ultras de l’Algérie, des partisans dont il a passé au crible l’état d’esprit, les fondements idéologiques et le lien organique avec le Front national, dans un livre paru en 1999 (2).
 
(1) Raphaëlle Branche - «La Guerre d’Algérie: Une Histoire Apaisée». Paris Le Seuil,
Octobre 2005
(2) Benjamin Stora - Le Transfert D’une Mémoire. De L’«Algérie Française»
Au Racisme Anti-Arabe.
Paris La Découverte, 1999
 
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