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Ben Badis, l'enseignement et la télé




Ben Badis, l'enseignement et la télé
«La démocratie se fait avec le peuple et sombre avec la foule.» (Seneque)Au départ, notre homme sollicité a opposé un niet catégorique en posant cette lancinante sentence : «Il n'est pas question de remâcher le passé parce que le présent nous angoisse.» Peut-être qu'à 80 ans Abderrezak juge-t-il peut utile de renouer avec l'actualité, lui qu'il a en partie animée pendant des années lorsqu'il officiait en qualité de reporter sportif à la télévision algérienne où il a eu sa part de popularité. Mais l'homme, d'une gentillesse légendaire a fini par accepter de nous livrer les grandes étapes d'un parcours atypique.Abderrezak est né le 4 avril 1935 à El Eulma. Il y a fait ses premières classes à l'école élémentaire et dans le cycle moyen. De 1948 à 1951, c'est dans l'antre de Ben Badis à Constantine qui dépendait des Oulémas qu'il effectua son cycle secondaire. Puis, comme le veut la tradition, la continuation se faisait dans la célèbre école de Zitouna, à Tunis, où Abderrezak a pu obtenir son diplôme (Etahcil), équivalent du baccalauréat.Ses condisciples deviendront par la suite des hommes célèbres, notamment Abdelhamid Benhadouga, écrivain reconnu, le Dr Rabah Saâdallah, historien accompli, ou encore Chadli Benhadid, devenu ambassadeur. C'était pendant l'été qui précédait le déclenchement de la lutte armée. De retour à Constantine, en 1955, Abderrezak rejoint le centre «Ettarbia oua tâalim» créé par Ben Badis, où après concours les candidats étaient «dispatchés» sous le contrôle des cheikhs Chibane Abderrahmane et Mohamed Kheiredine à travers le territoire national pour enseigner et propager les idées réformistes des Oulémas. Aujourd'hui, Abderrezak se désole de la situation du stade mythique Benabdelmalek de Constantine, plus défiguré que rénové.Ecole Ben BadissienneAbderrezak se souvient bien de cette période : «C'était le leitmotiv de cheikh Ben Badis, soucieux de préserver notre identité et la langue arabe confrontée à l'hégémonie de la langue de l'occupant. Ben Badis était l'initiateur de la création du MOC, dont cheikh Ahmed Hamani était un fervent supporter.Quand il y avait un match impliquant le MOC à Constantine, le cheikh me confiait sa classe, c'étaient des moments intenses vécus aux sections de Sidi Kamouche et Sidi Lakhdar.» Nommé à Alger, Abderrezak exerça, dans le cadre de l'enseignement libre, à Fontaine Fraîche où il avait comme élèves les Hafiz et un certain Merzak Baghtache, qui deviendra l'un de nos éminents écrivains que le directeur de l'époque, Mohamed El Hassan Foudhala, avait déjà repéré en tant qu'élève éveillé et prometteur. «Au cours de cette période trouble, l'occupant français ne cessait de nous harceler. Bigeard et Massu venaient souvent à la rue Guesprates pour traquer les fidayine.Un jour, les soldats sont venus, ils nous ont ligotés et emmenés à Fort l'Empereur, moi, Salah Nour et d'autres. Ils nous ont dirigés par la suite à l'immeuble d'où a été défenestré l'avocat nationaliste Ali Boumendjel.»Après un détour assez bref à El Eulma, Abderrezak a été nommé directeur à l'école d'El Bahia à Kouba aux côtés d'Adamo.Il y exercera jusqu'à l'indépendance où tous les enseignants libres seront intégrés à l'Education nationale dirigée par le regretté médersien Abderrahamane Benhamida. «J'étais l'un des rares arabisants à officier au lycée Hassiba Ben Bouali de Kouba. Parallèlement, j'ai préparé deux licences, de droit et de lettres, obtenues en 1966. Comme Abdelkrim Benmahmoud qui était l'ami commun de Rachid Maïza, il a sollicité ce dernier pour m'embaucher au MJS qu'il dirigeait. Je n'ai pas hésité une seconde, car j'ai avec le sport une relation d'affection. J'aimais le foot et supportais l'Entente, équipe de mon patelin, mais aussi le MCA dont j'ai vu le dernier match sous la colonisation, à Saint Eugène en 1956, contre l'ASSE. Je n'étais donc pas en territoire inconnu.Et comme j'avais des amis, en l'occurrence Kahouadji, cadre à la télévision etAbdekayoum Boukabeche, journaliste, l'idée est vite venue de me proposer une ??pige'' à la radio pour animer une émission sur les pronostics sportifs. J'ai accepté et ils ont apprécié mes prestations qui se sont étendues à la couverture des matches. Je dois dire que la concurrence était féroce entre les francisants et les arabisants, toujours vus de haut et déconsidérés. Mohamed Seddik Benyahia était ministre de la Communication.On est partis pour un match Maroc-Algérie à Casablanca pour inaugurer le nouveau stade. Il y avait Abdallah Benyekhlef, Rachid Boumediène et moi. Sur place, les Marocains nous ont signifié qu'ils ne possédaient qu'une seule ligne directe. J'ai réussi à supplanter mes camarades puisqu'on m'a donné l'antenne en premier. C'était la première retransmission en langue nationale. Benyahia en était étonné et a donné ordre de poursuivre cette opération pour les matches à venir. C'est comme ça que j'ai rejoint la télé...».L'attrait du sportOn peut dire qu'au-delà de la vocation qui peut-être ne s'est pas signalée, c'est une envie que Abderrezak a eue de faire le métier merveilleux qu'il a exercé. En touchant à cette magie de la télé qui vous fascine jusqu'à l'envoûtement, par des images qui sont autant d'émotions. Qui peut résister à la tentation, à cette sensation grisante, surtout lorsque le programme proposé est celui désiré ' Ceux de notre époque se souviennent de cette voix, ce timbre chaleureux et enjoué qui nous faisait partager les joies souvent, et les déconvenues parfois.«Lorsqu'on évoque cette période avec ses moyens dérisoires, les terrains de foot souvent en tuf, ces joueurs qui se contentaient lors des entraînements d'un ??casse-croûte'' entre midi et quatorze heures, en la comparant avec celle de la technologie actuelle, ses réseaux sociaux et à sa haute définition, tout cela nous semble ridicule.»Il est vrai qu'aujourd'hui la TV et les médias d'une manière générale s'autorisent beaucoup de culot. Abderrezak est resté dans l'air du temps, sans pour autant chercher à être à la mode. «Je ne suis pas juge pour donner des appréciations sur les jeunes de maintenant.» En fait, la télé n'est pas le reflet de ceux qui la font, mais de ceux qui la regardent.N'empêche, les reporters sportifs sont une confrérie à part. A la télé, les téléspectateurs les voyaient furtivement derrière leurs micros, mais leurs voix leur étaient familières. Ils accompagnaient le match à travers leurs commentaires enthousiastes, parfois élogieux, parfois amers. A leur façon, ils faisaient vibrer les foules ou, au contraire, les ennuyaient et les anesthésiaient. Abderrezak fait partie de la première catégorie. Qui ne se souvient de ses élans lors du match Algérie-France lors de finale des JM de 1975 'Mais avant, il avait déjà pris ses marques en couvrant la Coupe du monde à Mexico avec ses confrères Hamani, Benyoucef et Boukabache. «C'était extraordinaire, on a côtoyé des ??monstres'' du ballon rond tels que Beckenbauer et Pelé. Qui l'eut cru ' Puis, ce fut l'autre Coupe en Allemagne en 1974 et celle jouée en Argentine en 1978, sans doute celle qui m'a énormément marqué après le match Algérie-France des JM 1975, qui reste un morceau d'anthologie.C'était prévisible. Jeune nation qui voulait s'affirmer, l'Algérie ne pouvait tomber mieux que sur l'ancien occupant, c'était une véritable bataille où les Algériens voulaient s'imposer coûte que coûte. Boumediène était au stade et n'en est jamais sorti à la mi-temps, comme l'a rapporté faussement la rumeur. Et lorsque Betrouni, l'homme de la dernière minute a marqué, les sentiments ont explosé et moi avec. Il y avait comme des comptes encore à régler avec l'ancienne puissance, et le sport venait de les régler d'une manière pacifique, mais ô combien symbolique ! C'était une délivrance, une sorte de seconde indépendance.»«Quand je regarde mon parcours dans l'éducation, je suis fier, car à l'époque j'avais des classes importantes que je maîtrisais avec pédagogie malgré mon jeune âge. Je crois que l'antagonisme arabisants-francisants a été créé de toutes pièces au nom de l'idéologie. Moi, je m'entends à merveille avec les bilingues et les médersiens, dont mon ami Ali Benmohamed, ancien ministre de l'Education». Son départ de la télévision, Abderrezak l'a ressenti comme une frustration vite amortie par sa nomination en tant que directeur des sports de la Ligue arabe, de 19981 à Tunis jusqu'à 1997 au Caire.La télé fascine et envoûte«Le premier responsable algérien que j'ai rencontré à Tunis, c'était Ali Kafi, alors ambassadeur. J'étais à la Ligue arabe, et un jour le SG, Chedli Klibi, m'a délégué pour assurer la cérémonie protocolaire de la clôture des Jeux panarabes à Casablanca. Comme il y a une sensibilité et une suspicion récurrentes avec les Marocains, ceux-ci sont venus me voir à plusieurs reprises pour connaître la teneur du discours que j'allais prononcer. Ils avaient peur que je prononce quelque mot hostile, d'autant que le souverain était présent au stade. Je suis resté sur mes positions en ne divulguant pas le contenu.Les Marocains, la peur au ventre, n'étaient rassurés que lorsque j'eus terminé mon intervention solennelle. Je leur ai dit que ??vos préjugés étaient de trop''. Ils on ri? jaune.» Abderrezak rend hommage aux hommes dont la compétence avérée a permis l'émergence de notre sport, à l'image du ministre Abdallah Fadel «qui n'a pas eu la considération méritée», ou encore Si Mohamed Baghdadi, Chaour Mostefa, ou Sekkal Benali? Autres temps autres m?urs, semble signifier Abderrezak en faisant un clin d'?il à certains dirigeants actuels, dont le scrupule n'est pas leur fort : l'argent a investi le foot et l'a dénaturé et gangrené. «On ne voit du foot professionnel que le côté pécuniaire.La gestion du foot doit se faire par des gens intègres et compétents ; l'absence de formation, d'infrastructures, d'écoles de foot a fait que nous importons à un taux considérable des Algériens expatriés qui ont leur place en équipe nationale, mais tout de même.» La crise du football national est-elle une fatalité ' «Non, répond Abderrezak, persuadé qu'on peut remonter la pente en revenant aux fondamentaux.» Mais la crise du foot, quoi qu'on dise, vient des tréfonds de la société.Elle vient sans doute de la misère civique de la nation, de la désagrégation du lien social, de l'irrespect des règles, de l'indulgence extrême pour toutes sortes de corruptions, de tricheries, «du tag ala man tag», à l'affairisme des grands et à la résignation des petits. Le sport lié à la société ne peut en être épargné. Ne voulant pas terminer sur cette note sombre, Abderrezak nous assène cette anecdote véridique racontée par un de ses amis. Deux sots se rencontrent, l'un d'eux interroge :- «Connais-tu le nom complet de Bekenbauer '» L'autre répond du tac au tac.- «Salah !».- «Comment tu l'as su '»- «J'ai vu à la télé Zouaoui annoncer??Moukhalafa li Salah Bekenbauer''?» Cette anecdote fait toujours rire Abderrezak?







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