Algérie

Bejaïa, Le centre historique du Vieux Bougie et sa restauration (2e partie et fin)



Lorsque l’Algérie est passée au régime civil au début de la seconde moitié du XIXe siècle, Béjaïa s’est vue érigée en commune de plein exercice (6) rattachée au département de Constantine, un statut politico-administratif qui lui a permis de se doter d’une gestion locale plus ou moins autonome et qui est révélateur de la sensible évolution du processus d’urbanisation de la ville par la conquête de nouveaux espaces vitaux pour la ville. Un nouveau système d’occupation de la ville est apparu, dont les tracés sont bien visibles dans le cadastre de 1871-72 et qui se voulait comme une opération d’urbanisation de la ville, calquée sur le modèle de la métropole. Il tenait compte des spécificités topographiques du site bougiote, avec l’apparition de nouveaux quartiers dédiés aux nouveaux colons et autres fonctionnaires et qui consacrait par la marginalisation de ce qu’ils appelaient les quartiers arabes que sont les quartiers de Bab Ellouz, Sidi Soufi, Qaraman, et le quartier Acherchour Sidi Touati, au profit du nouveau tissu colonial établi en contrebas de la ville faisant face au port. L’analyse de ce processus, mis en évidence par le plan directeur actuellement en vigueur concernant cette période, est on ne peut plus explicite. « Au début de la colonisation, la présence militaire avait donné lieu à des installations militaires qui marquent l’espace urbain camp inférieur, camp supérieur, hôpital civil, ensuite un second type d’intervention vient s’ajouter sur l’aménagement d’un espace à l’image de la métropole, l’armée coloniale a remodelé l’espace urbain en superposant une trame nouvelle sur le tissu primitif la structure obtenue dénote l’intérêt donné à la rigueur géométrique et à la ligne droite. La place a été le centre du pouvoir européen autour de laquelle les premiers bâtiments de la ville ont été construits progressivement : poste, banque, théâtre symbolisant un nouvel ordre. La forme d’appropriation de l’espace urbain n’a pas laissé coexister une médina à côté d’une ville européenne nouvelle mais l’espace a été utilisé dans une vision de rapports discriminatoires et ségrégatifs. Une organisation dualiste de la ville a vu le jour entre les quartiers hauts et la partie basse de la ville (7). » Cette tendance est confirmée durant toute la première moitié du XXe siècle où la rupture est marquée entre ces deux tissus même si certaines opérations engagées dans les hauteurs de la ville semblent amoindrir cet effet. Ainsi, dans un rapport décrivant l’évolution des tissus urbains de la ville, on relève ce constat : « Toutes les hauteurs à l’intérieur des anciennes enceintes se sont à nouveau peuplées. La période allant de 1848 à 1902 voit le remblaiement des zones marécageuses, les travaux d’aménagement du port, de la gare et l’établissement sur la plaine d’un quartier d’entrepôts et de petits bâtiments industriels et ce qui est le moins indiqué d’un assez vaste secteur d’habitation les croupes libres même celles assez haut placées ont été peu à peu utilisées ainsi que les pentes qui s’étagent sous le fort Clauzel. La ville haute présente la particularité d’être en quelque sorte scindée en deux agglomérations séparées par un vaste espace vert d’une quarantaine d’hectares, le bois sacré doublé d’un cimetière musulman. En 1870, Bougie ne dépassait pas 4000 habitants pour parties égales entre Européens et musulmans. Mais à partir de 1870, la population progresse, elle atteint 10 000 habitants en 1880, 15 000 en 1910, plus de 20 000 en 1930. Le mouvement s’accélère. Les 30 000 sont atteints peu après 1940, 32 000 en 1950 et c’est la brusque poussée proposée par l’afflux des réfugiés de la campagne proche on peut estimer à plus de 50 000 habitants la population de 1958 (8). » Depuis l’indépendance, l’actuel centre historique a toujours joué le rôle de pôle urbain de premier ordre car l’essentiel des équipements de la ville et des infrastructures en sont concentrés mais les prémisses amorcées des les années 1920 en occupant la plaine ou l’ex-Camp inférieur de la ville, en l’occurrence le quartier où a lieu le marché hebdomadaire par la nécessité d’étendre la ville sur les terres agricoles a été le déclic à une expansion urbaine qui a englobé, par la suite, de très grands territoires de la plaine ces deux dernières décennies.

Fausses solutions pour de vrais problèmes

Rançon du progrès d’une urbanisation engagée ou conséquence de l’absence d’une stratégie de recomposition sociale et spatiale des fonctions urbaines de l’actuelle ville, le tissu urbain historique se meut dans ce dilemme sans fixer son sort, pour le moins, à court terme. La ville historique qui n’a jamais fait l’objet d’une attention particulière de la part des gestionnaires locaux depuis longtemps et qui s’est soldée par des opérations d’altération de certains aspects architecturaux et par une indifférence quasi assassine quant à la nécessité d’une prise en charge sérieuse des anciens quartiers et qui semble se poser comme une problématique essentielle à la face des pouvoirs publics ; car, réellement sur le terrain, aucune tentative sérieuse n’est relevée quant à cette prise de conscience, exceptée, il faut le reconnaître, celle ayant un aspect folklorique et superfétatoire. Pourtant, depuis que des études urbaines sur la ville de Béjaïa ont vu le jour, à commencer par celles engagées en 1953 et en 1958 dans le cadre du plan de Constantine, on n’a jamais cessé d’insister sur le degré de vétusté du cadre bâti bougiote notamment au niveau des quartiers anciens traditionnels ou du degré de sensibilité de son cadre architectural. Dans une étude annexée à un plan directeur d’avant l’indépendance on relève : « dans le quartier de sidi touati, sur 1,8 ha sont groupées 160 maisons de 2 à 3 pièces au rez-de-chaussée où vivent 300 familles représentant 2300 personnes. dans le quartier de sidi soufi, la densité est plus forte encore, 7000 personnes se partagent 1100 logements sur 4,5 ha. ajoutons que la plupart de ces logements, quoique très proprement entretenus, s’inscrivent dans des bâtiments tous délabrés. » (9) Il n’y a pas meilleure alerte, et pourtant ! En effet, on relève l’absence de toute stratégie inscrite dans le temps quant à une réelle prise en charge de ce périmètre historique depuis des années de la part des autorités quand bien même il est couché sur papiers, sur des rapports et autres plans directeurs. Si le PUD de 1978 avait relevé l’aspect sensible et la nécessité de réhabiliter les anciens quartiers, cette stratégie s’avère salutaire pour ce tissu quand on observe une tendance lourde et inquiétante vers une occupation effrénée et surtout une densification démesurée du cadre bâti sans commune mesure avec les spécificités du relief mais surtout de la structure socio-urbaine existante, caractérisée par des modèles d’organisation sociale anciens nécessitant de grandes opérations de restructuration, un cadre bâti vétuste et menaçant ruine, une structure sociale qui a évolué avec l’élargissement de la cellule familiale qui trouve ses répercussions dans les opérations d’extension et de démolition-reconstruction des anciennes maisons qui restent d’une façon ou d’une autre des témoins solides du passé et d’un vécu social bien particulier. Ces opérations spontanées engagées par les propriétaires des maisons vétustes pour les reconstruire sont de loin légitimes et socialement compréhensibles, eu égard à la crise du logement qui frappe, de plein fouet, la grande majorité des habitants mais il n’empêche qu’il y a lieu de poser de légitimes interrogations quant aux conséquences fâcheuses de ce phénomène qui a commencé à se généraliser sans aucun suivi ni assistance et orientation de la part des services concernés de l’administration ; ce phénomène est d’autant plus sérieux que des mouvements d’ordre hydrogéologiques affectent sensiblement les sols du tissu ancien. Même si le fait est latent, il n’en demeure pas moins que des signes visibles sur les façades et l’état des constructions renseignent sur la gravité de la chose. Et vu la valeur culturelle de l’ensemble bâti à préserver. On ne saurait oublier les accrocs perpétrés au paysage architectural et urbain. Même si la ville de Béjaïa a vu son centre névralgique se déplacer vers la plaine à la faveur des grandes opérations d’urbanisation engagées depuis l’indépendance qui a forgé la nouvelle physionomie urbaine qui est totalement en rupture de ban avec les référents culturels et architecturaux du centre historique, celui-ci garde, paradoxalement, cet attrait qui lui est propre, un attrait social par la charge culturelle et religieuse qu’il incarne pour les habitants, touristique et urbanistique pour la splendeur du site dans lequel il s’insère.

De la nécessité du classement du site

La stratégie est loin d’être une sommation de solutions disparates dans le temps ou dans l’espace à des problèmes ponctuels au gré des événements survenus ou aux éventuelles contestations de citoyens mais un ensemble cohérent et structuré de solutions pour un problème qui semble être le dénominateur commun de tous les tissus historiques du pays avec les caractéristiques qui lui sont propres : juridiques, urbanistiques et techniques ; qui engagent ou hypothèquent l’avenir de ces centres historiques. Le dernier plan directeur approuvé et en vigueur a encore confirmé le caractère sensiblement historique de la vielle ville et en tant que périmètre bâti à sauvegarder, il est stipulé qu’il doit être classé en tant que tel. Inséré dans le périmètre d’un POS, le périmètre englobe les quartiers suivants qui occupent 109 ha que sont : Sidi Yahia, cité Sidi Bouali, Parc des Oliviers, Cité Gouraya, Les Oliviers, Sidi Abdelkader, Les Cinq Fontaines, Bordj Moussa, Le Centre-ville, Sidi Soufi, Bab Elouz, Acherchour, Les Remparts, cité Amimoun, et la cité Sidi Ouali, dont les limites préfigurées, dans les plans restent à peaufiner et en mesurer les portées si ce site urbain sera classé comme un périmètre de sauvegarde à la faveur de la loi sur la protection du patrimoine culturel (10). La commune de Béjaïa dans son habituelle précipitation s’est crue capable d’initier ce genre d’études ; le projet de lancement du plan d’occupation des sols à révélé son échec cuisant faute d’une meilleure maîtrise de(2e partie et fin) la question lorsque l’on sait que l’encadrement de celle-ci laisse à désirer. Deux vaines tentatives en matière d’appel d’offres ont fini par achever les illusions des pseudo-restaurateurs. Le premier élément de cette stratégie est l’identification de ces tissus historiques pour mieux cerner l’ensemble des problèmes de sa gestion. La nécessité de le classer en tant que site historique s’avère un des éléments essentiels dans l’objectif de le réhabiliter et cela ne peut se faire que par l’institution d’un office local de restauration et de sauvegarde du Vieux Bougie.

De l’importance d’une structure chargée de la restauration

Elle se chargera ainsi de :
 Saisir les éléments de la problématique posée dans la sauvegarde de ces centres anciens.
 Engager une réflexion sérieuse sur les meilleurs moyens de sauvegarde et de restauration des grands quartiers à grande valeur architecturale et culturelle, tels que les quartiers de Bab louz, du quartier de sidi touati-acherchour, et le quartier de karaman.
 Arrêter des prescriptions architecturales d’ordre local, propre au centre ancien du Vieux Bougie comme il est dicté dans la réglementation en vigueur relative au patrimoine architectural.
 Préparer les moyens conséquents de toute nature afin de classer ce site en tant que périmètre de sauvegarde, du moins sur le plan national.
 Sensibiliser la communauté de la ville ancienne et les citoyens en général quant à l’importance du processus de réhabilitation, car ils en sont les usagers premiers et éventuellement les heureux bénéficiaires.
 Rechercher les moyens de faire renaître une certaine activité par la reconversion de certains secteurs d’activités, en particulier pour en faire des pôles d’activités de l’artisanat, de l’art, et de la culture ; compte tenu de l’atout touristique que recèle l’ancienne ville. Faudrait-il insister que la question de la prise en charge de ce centre historique s’accommode mal de mesures conjoncturelles sans lendemain au gré des humeurs d’élus où l’intérêt récolté dans l’immédiat compte beaucoup plus que les œuvres de longue portée. La question doit en effet transcender ces contingences politiciennes et étroites pour s’engager dans une politique d’appropriation d’un des aspects majeurs de notre patrimoine, néanmoins enrichi par les apports extérieurs de l’architecture coloniale. il est vrai que les textes dans ce sens ne manquent pas, surtout ces derniers temps (12) où l’Etat s’est rendu compte de ses égarements, des décennies durant, quant à la préservation de son patrimoine ancestral. Mais que valent les lois et autres édits lorsque confrontés sur le terrain, c’est le désert total. Le vide. Malheureusement, c’en est un, lorsque l’on se rend compte que la ville a fait l’objet dernièrement d’une opération de « toilettage » des plus bizarres à l’occasion du déroulement d’un séminaire à la sauce méditerranéenne. Les gestionnaires locaux de « l’illustre commune » ont jugé utile de pasticher les façades de la ville à la mode des villages helléniques, comme si cela pouvait cacher le mal qui rongeait le Vieux Bougie, celles d’un dépérissement, sans précédent, de son cadre bâti.

L’engagement de la communauté des citoyens résidents

Aussi, sur un autre chapitre, l’adhésion des citoyens et plus particulièrement les habitants de ces « îlots d’histoire » est perçue comme un simple acte civilisé de sensibilisation mais beaucoup plus comme étant l’implication de partenaires privilégiés du fait qu’ils constituent le corps social objet de toute opération de restauration ou de sauvegarde, car l’aspect social doit être pris en considération, notamment dans les conditions d’habitat en vigueur. Ces considérations apparaissent aussi bien sur le plan de la prise en charge sociale des habitants en matière de logement par la nécessité de mettre en place un programme spécial pour le relogement des habitants afin de libérer les quartiers menaçant ruine ou en état de vétusté très avancé. Les habitants, les propriétaires, les exploitants sont appelés à jouer un rôle actif à même d’identifier les contraintes réelles et les aspirations exprimées sur le terrain. Car il s’agit de la réhabilitation du Vieux Bougie, en particulier, et de l’appropriation de l’identité de la ville dans l’un de ses aspects les plus significatifs, en général.

 Notes de renvoi :

 (6) Par décret datant du 17 juin 1854, Bougie a été élevée au rang d’une ville gérée par un conseil municipal.
 (7) Plan directeur de 1997.
 (8) Extrait du rapport annexé au plan d’urbanisme de Bougie de 1961.
 (9) Idem.
 (10) Loi n098-04 du 15 juin 1998 et les textes subséquents.


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