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Avril 1980, catalyseur des luttes pacifiques


La célébration du 39e anniversaire du Printemps berbère intervient dans un contexte particulier, cette année, en raison du mouvement populaire enclenché le 22 février réclamant le départ du système politique.Il s'agit d'une période de protestation caractérisée notamment par les grandioses marches chaque vendredi, qui drainent des millions de personnes dans la capitale et des centaines de milliers de citoyens dans les autres grandes villes du pays.
«Comme les militants et manifestants d'avril 1980, les citoyens sortent aussi, aujourd'hui, dans la rue pour demander plus de liberté et de la démocratie», nous confie un étudiant qui estime que la jonction entre les deux événements est amplement possible dans le mesure, a-t-il ajouté, où «la communauté estudiantine avait joué un rôle prépondérant durant le Mouvement culturel berbère (MCB)», tout comme dans la mobilisation citoyenne pour le départ d'un régime qui avait réprimé et emprisonné des militants pour avoir demandé que tamazight soit langue nationale et officielle.
Les étudiants avaient même invité Mouloud Mammeri pour donner une conférence sur la poésie kabyle ancienne. Il devait parler de Si Mohand Ou M'hend et bien d'autres poètes du terroir, enterrés et interdits dans leur propre pays.
La conférence était, tout simplement, interdite. Face à cette interdiction, la Kabylie s'est révoltée pacifiquement. La rue était le théâtre de la contestation populaire durant plusieurs semaines, jusqu'à la libération des 24 détenus du MCB.
Mobilisation
La mobilisation était grandiose. «Le combat d'idées provenait de la communauté estudiantine qui, durant les années 1980, était le catalyseur de la mobilisation à même de donner une large dimension à la revendication identitaire en des moments où mener le combat pour tamazight n'était pas une sinécure», affirme un enseignant, qui parle du combat de la jeunesse qui avait, il y a 39 ans, déjà conscience de la revendication identitaire et de la lutte pour la consécration de la démocratie en Algérie.
Oui, ils avaient l'âge de ces jeunes qui, aujourd'hui, occupent la rue pour le changement. Saïd Sadi, Mouloud Lounaouci, Mustapha Bacha, Ferhat Mehenni, Saïd Khelil et Djamel Zenati, entre autres, dont la moyenne d'âge ne dépassait pas la trentaine, ont marqué de leur empreinte une page dans l'histoire. Cela dit, la révolte populaire en Algérie n'est pas née du néant.
Il y a des précurseurs qui ont puisé leur combat dans la clandestinité des années 1970, soit après l'insurrection du FFS en 1963 contre le coup de force de l'armée des frontières qui s'est emparée du pouvoir pour renier carrément le fait amazigh, au lendemain de l'indépendance.
L'époque où réclamer le droit d'existence dans son propre pays pour tamazight, militer pour l'identité nationale dans toute sa diversité et dans toutes ses dimensions, était perçu comme une haute trahison. «On a assisté à la déviation de l'histoire.
Tamazight a été déniée et même combattue par les adeptes du nihilisme culturel», clame un ancien maquisard qui, à 25 ans, avait repris le maquis contre, dit-il, la dictature du régime de Ben Bella.
Là aussi, la jeunesse avait mené un combat pour les causes justes qui a inévitablement servi de repère incontournable pour les animateurs d'Avril 1980. «J'avais 17 ans en 1980, j'étais scolarisé au lycée Ali Mellah de Draâ El Mizan, quand commença mon combat dans le MCB, un peu timide par rapport à mon âge et au manque de contact et d'expérience. Nous nous sommes mobilisés pour libérer les 24 détenus de 1980.
En 1985, bon nombre de ces détenus et d'autres militants ont été arrêtés et traduits devant la Cour de sûreté de l'Etat à Médéa. J'étais, à l'époque, étudiant en croit au campus de Hasnaoua, à Tizi Ouzou», lit-on sur la page Facebook de Salah Brahimi, enseignant universitaire et président de l'Ordre des avocats de Tizi Ouzou, qui se rappelle aussi de la révolte sanglante des jeunes en Kabylie.
«En avril 2001, une répression sans précédent s'est abattue sur la Kabylie. Et comme avocat, avec d'autres cons?urs et confrères, nous avons défendu les détenus et nous avons déposé des plaintes contre les assassins des 128 martyrs qui réclament, à ce jour, justice.
J'avais interpellé, en ma qualité de député, le ministre de l'Intérieur pour savoir qui a donné l'ordre de tirer sur des manifestants pacifiques et sans défense», ajoute le juriste qui continue, aujourd'hui, son combat, avec ses confrères, dans le sillage des actions du mouvement populaire pour le départ du système.
Eveil
L'éveil identitaire s'accompagne toujours d'une demande de libertés individuelles et de démocratie. La jeunesse d'Avril 1980 qui a fait dans la revendication culturelle sous le manteau, est dans la rue ; celle d'aujourd'hui mise sur la révolution technologique mettant à plat un pouvoir qui a, jadis, muselé toute voix aspirant au changement, réprimé, torturé et emprisonné des militants.
Si la médiatisation des événements du Printemps berbère de 1980 était vraiment insignifiante en raison du monopole qu'exerçaient les décideurs sur la presse, il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, la question de la censure échappe au pouvoir.
L'outil internet, fortement maitrisé par la nouvelle génération, est devenu l'un des moyens incontournables et efficaces pour les manifestants. «Les réseaux sociaux ont créé une proximité entre les citoyens. C'est, d'ailleurs, la force du mouvement de protestation en Algérie : l'unité nationale et la cohérence du message.
Ceci n'est possible que grâce à Facebook, entre autres, qui permet l'instantanéité du message et sa personnalisation», nous explique Nassim Belouar, entrepreneur et blogueur.
Notre interlocuteur estime que cela a permis de «démocratiser la parole. Les nouvelles technologies vont nous permettre de créer un vrai pays démocratique. Non seulement pour avoir une information parfaite sur la volonté du peuple mais aussi faire participer le peuple dans la prise de décision au quotidien».
Le lien peut aisément se faire aussi entre ce qui s'est passé durant le Printemps berbère et la mobilisation d'aujourd'hui, notamment dans le caractère pacifique et la solidarité citoyenne qui ont caractérisé les deux événements.
Pour le Rassemblement pour la Kabylie (RPK), cette année, le double anniversaire du Printemps de 1980 et des événements sanglants de 2001 ayant coûté, sous la violence aveugle de l'Etat, la vie à 127 personnes en Kabylie, intervient dans un contexte inédit.
«En ces moments de résurrection citoyenne qui force l'admiration et nourrit plein d'espoirs, notre pensée va d'abord à ces jeunes qui nous ont quittés dans des conditions effroyables et aux milliers de blessés sur lesquels ont été laissées des cicatrices indélébiles.
La formidable mobilisation populaire que nous vivons depuis le mois de février dernier, l'éveil salutaire de l'ensemble des Algériens et des Algériennes à la nécessité d'en finir avec un pouvoir corrompu et autoritaire, trouvent, pour une grande partie, leurs origines et leur signification dans le combat démocratique permanent de la Kabylie», lit-on dans une déclaration signée Hamou Boumediene, coordinateur du RPK.
En somme, les événements d'Avril 1980 ont fait éclore le combat démocratique, comme ils ont servi aussi de catalyseur pour les luttes pacifiques en Algérie.
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