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Avec les «comités populaires», police des m'urs du PJD International : les autres articles


Avec les «comités populaires», police des m'urs du PJD International : les autres articles
A la périphérie de Fès, adhan el asr retentit dans toute la ville.
Commerçants, fonctionnaires, militants associatifs se dirigent comme un seul corps vers la mosquée. A chaque prière, ces fidèles se rencontrent lors d'une halaka pour parler de leur sujet de prédilection : «La bonne conduite et la morale publique». Badaoui , 29 ans, est militant d'une association contre la pauvreté, l'une des nombreuses associations proches du Parti de la justice et du développement. «Je ne rate jamais la prière à la mosquée, assure-t-il, surtout depuis l'instauration des comités populaires.» Les comités populaires, une sorte de police parallèle qui a vu le jour au Maroc début 2012, juste après l'investiture du gouvernement islamiste de Abdelilah Benkirane, dirigeant du PJD. Leur objectif : «Lutter contre la débauche.» «Une organisation similaire à celle des milices, pour intimider ceux ou celles qui ne se soumettent pas à leur bon vouloir», décrit le magazine de l'opposition TelQuel. A Aïn Leuh, dans la région de Khenifra, c'est une véritable chasse aux prostitués qui a été organisée.
Le gouvernement Benkirane, par le biais du ministre de l'Intérieur, s'est dépêché de minimiser les faits : «Il s'agit de simples initiatives personnelles isolées.» Malgré ces affirmations, les militants du PJD ont continué à observer des sit-in devant les grandes surfaces dotées de rayons de boissons alcoolisées, à Mekhnès, à Témara et même à Casablanca. Les débits de boissons alcoolisées ont même été attaqués. Ces comités populaires continuent à sévir, mais en catimini. Selon un connaisseur du PJD, «le gouvernement a fait marche arrière. La situation devenait intenable et risquait d'exploser à tout moment. Aujourd'hui, ils ont opté pour une autre stratégie : discrétion et intimidation. L'administration prendra la relève plus tard.» Badaoui accepte que nous le suivions à ces rencontres quotidiennes. La prière est faite par un salafiste connu dans la région et craint de tous.
«C'est un homme de savoir. Nous l'écoutons et nous nous conformons à son enseignement et à ses directives, il a toujours été juste avec nous», confie le militant qui, au fil du temps, est devenu son disciple et un de ses émissaires. Le cheikh commence par la leçon du jour, un mélange entre l'enseignement de la sunna et de la morale islamique. Le cours dispensé, le cheikh tire de sa poche une feuille où est noté l'ordre du jour qu'il a pris soin de préparer à l'avance. «Le bilan est maigre. Les débits de boissons alcoolisées continuent à travailler et nos jeunes sont de plus en plus fidèles à ces commerces de Satan. La faute à qui '», interroge-t-il. Yassine, un jeune commerçant et militant du PJD, prend la parole : «La faute à l'Etat qui n'arrive pas à réglementer ce commerce et qui n'arrive pas à trouver de l'emploi à nos jeunes !»
La réponse ne semble pas plaire au cheikh qui observe un silence avant de lancer, furieux, devant une assistance médusée. «Non ! C'est à vous qu'incombe la faute. Sans vous, l'Etat ne peut rien faire. Vous avez été missionnés pour lutter contre cela et ramener nos frères sur le droit chemin. Mais vous vous occupez d'autre chose ! Je vois que nous ne sommes pas nombreux. Vous n'arrivez pas à recruter nos frères égarés !» Le cheikh quitte la réunion qui se transforme en débat virulent entre les membres. Leur «gourou» ne leur a donné aucune orientation, mais les fidèles ont leur lecture de ce discours. «Il veut que nous fassions davantage de descentes dans les lieux de débauche et que nous sensibilisions les vendeurs d'alcool sur la nécessité de fermer, quitte à le faire par la force», assure Badaoui.
Intimidation
Dans la foulée, trois groupes de cinq personnes se forment. Leur cible : trois grands bars de la ville et un jardin abandonné, fréquenté par les jeunes dés'uvrés. Badaoui prend son téléphone et informe ses amis absents à la réunion des «directives» du cheikh. «Ils vont me rejoindre après la prière du maghreb.» La nuit tombée, Badaoui et ses «frères» partent à la rencontre de patrons de quelques brasseries de la ville, à bord d'une vieille berline blanche. Destination, un bar très fréquenté. Badaoui descend de la voiture, accompagné par deux de ses acolytes. Ils demandent au «videur» posté à l'entrée d'appeler le patron. Ce soir-là, le patron est absent. «Prévenez-le de notre visite, nous reviendrons plus tard», lance Abderrahmane, un des jeunes bénévoles des «comités populaires». Plus loin, un jeune au «comportement douteux» attire l'attention du militant. «Vous voyez ce jeune '
C'est un homo, il travaille pour de l'argent. Arrête la voiture, je vais lui parler», ordonne-t-il. Le garçon, 22 ans, nie en bloc. L'échange tourne à la bagarre. Il prend la fuite. «Je lui règlerai son compte après», promet Abderrahmane. Badaoui intervient pour le calmer : «Non, mon frère, ce n'est pas comme ça qu'on doit procéder. Pas de violence, parfois des paroles divines suffisent à les ramener à la raison. Laisse-moi m'occuper de ça.» Intimidés ou convaincus, les commerçants visités promettent tous de fermer boutique. «Mais je dois trouver un autre business ! se défend le gérant d'un bar fréquenté pourtant par des responsables sécuritaires de la région. Je fais ça depuis plus de vingt ans. Comment voulez-vous que je ferme comme ça, subitement ' Accordez-moi du temps.» Le soir, le rituel est le même : après la prière, halaka puis débriefing des actions menées ce jour-là.
Enthousiaste, Badaoui commence à énumérer le nombre de «lieux de débauche» visités. Les patrons rencontrés sont recensés dans un calepin. «Nous avons visité six bars. Que Dieu nous pardonne. Trois d'entre eux acceptent de fermer sans résistance à la volonté d'Allah. Un autre était absent. Nous reviendrons demain à la charge.» Abderrahmane proteste devant le cheikh contre les méthodes pratiquées par ses collègues et prône «plus de sévérité face à ces gens-là». Le cheikh l'arrête et profite pour répéter le mot d'ordre : «Discrétion». «Si vous ne voulez pas que la population se retourne contre nous», avertit-il. Dans ses paroles, aucune référence aux autorités qui laissent faire. Les membres du groupe sont tous militants du PJD, indique Badaoui, qui jure «que tous ces signes de débauche et ces lieux seront, avec la volonté d'Allah, éradiqués dans quelque mois.»
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