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Aux premiers pas de l'ethnomusicologie algérienne




Si le chant traditionnel de l'Ahellil du Gourara a été classé sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2008, c'est en partie grâce à son travail et, bien évidemment, à celui de Mouloud Mammeri et Si Moulay Seddik Slimane.Pierre Augier, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est le tout premier ethnomusicologue à avoir travaillé en Algérie au lendemain de l'indépendance. Pour El Watan, il a bien voulu égrener ses souvenirs de l'époque. «Je suis venu à l'étude des musiques d'Algérie après être passé en Côte d'Ivoire. J'ai eu la chance de passer par une école qui était un internat avec des élèves qui venaient de toutes les régions du pays. Je leur ai demandé de me raconter la musique de leur pays et j'ai fait de même. Ils m'ont interprété des chants de leur pays et ont apporté leurs instruments et joué pour moi.
Malheureusement, à l'époque, on n'avait pas de magnétophone, mais ils m'ont fait connaître des choses merveilleuses», raconte Pierre Augier. Après la Côte d'Ivoire, Pierre Augier est nommé en Algérie en tant que coopérant technique en 1963, et il fait la même chose avec ses élèves du lycée Ben Badis d'Oran.
«En 1963, quand j'ai demandé à mes élèves de me chanter des chants de leur pays, tous se sont crus obligés de me chanter Kassamane. Je n'étais pas déçu de l'entendre, mais au bout de la 250e fois, j'avais l'impression qu'il n'y avait pas autre chose dans la musique algérienne. Heureusement, il y avait un orchestre symphonique au conservatoire dans lequel on jouait chaque dimanche», se rappelle-t-il avec le sourire.
«Il n'y avait que des véhicules pour se rendre dans le Sahara»
Pierre Augier se promène à Oran et à Tlemcen et rencontre des musiciens qui jouent sans partition, de mémoire et qui jouent très bien. Et il découvre le patrimoine algérien. C'est à cette époque qu'il demande à un inspecteur qui venait de France l'autorisation de travailler sur ce répertoire algérien et celui-ci l'envoya à Alger voir Marceau Gast au Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnographiques.
Ce dernier était en train de corriger sa thèse de 700 pages sur l'alimentation des Touareg du Hoggar. «Il m'a conduit dans une petite pièce du centre de recherches avec, sur la porte, une petite plaque où il était écrit ethnomusicologie. Sauf qu'il n'y avait jamais eu d'ethnomusicologue au centre. J'étais le premier à le devenir.
Marceau Gast a mis à ma disposition une grande quantité d'enregistrements quand il était instituteur nomade au campement de l'Aménokal du Hoggar et il m'a révélé l'existence d'un instrument dont je n'avais jamais entendu parler. C'était l'Imzad. Une vielle monocorde jouée par les femmes.
J'ai commencé à travailler sur ses enregistrements», se souvient-il. C'est également à cette époque que le ministère de l'Education nationale le nomme pour organiser l'enseignement de la musique. Pierre Augier s'installe dans les locaux du Crape où dit-il : «Il n'y avait pas beaucoup de matériel mais des véhicules pour se rendre au Sahara.» Il commence alors à publier dans Libyca, la revue du centre, et s'offre un magnétophone.
«J'étais coopérant et plutôt bien payé et je me suis acheté un Nagra que je suis allé chercher en Suisse», raconte-t-il. Un jour, Pierre Augier reçoit un courrier d'une collègue d'un musée de Londres qui lui demande si elle pouvait venir en Algérie pour étudier les musiques des nomades. Il en parle à Mouloud Mammeri son directeur, qui donne son accord. «On est alors allés à Tlemcen, puis à Metlili des Chaambas.
A ces premières années d'indépendance, une Anglaise qui vient de Londres et un professeur français qui se baladent dans le désert pour voir des nomades, c'est quand même assez louche», se rappelle-t-il. Au ministère de l'Intérieur, on a un peu froncé le sourcil et on a décidé à toute fin utile de leur adjoindre un «guide». Sait-on jamais ' «On parlait anglais, mais on ne savait pas trop s'il comprenait ou non.
Au bout de quelques jours, il nous a dit : ??Puisque vous vous intéressez à la musique, j'en ai de la musique''.» Le «guide» sort de sa poche un petit magnétophone Phillips et leur fait entendre une cassette. «J'ai enregistré ça dans un gourbi à Charouine», dit-il. De retour à Alger on a fait écouter l'enregistrement à Mouloud Mammeri. «Ça s'appelle Ahellil et ça vaut la peine», lui disent-ils.
La collègue anglaise repartie à Londres, Mouloud Mammeri signe un ordre de mission à Pierre Augier pour aller à Charouine. Aussitôt débarqué dans ce petit lieu-dit du Gourara, Pierre Augier lance : «Je viens d'Alger et je voudrais entendre de l'Ahellil.» «On m'a regardé avec de grands yeux en me demandant de quoi je pouvais bien parler.»
«Tu veux voir de l'Ahellil, ce soir prépare tes affaires»
Personne ne semblait savoir de quoi parlait ce «roumi» qui avait l'air de venir d'une autre planète. Il va alors voir le chef de daïra à Timinoun pour lui annoncer que sa mission est un échec. Celui-ci fait alors venir un jeune de la région. «Tu veux voir de l'Ahellil, eh bien ce soir prépare tes affaires. Le jeune en question s'appelait Moulay Si Seddik Slimane. C'était Si Moulay. Il était jeune. Donc Si Moulay m'a fait découvrir l'Ahellil et je suis remonté à Alger avec quelques enregistrements que j'ai fait entendre à M. Mammeri.
Et comme chaque semaine on faisait une réunion avec tous les chercheurs du centre, ils ont tous dit que c'est quelque chose qu'il faut étudier, et on a organisé à ce moment-là une mission avec six ou sept chercheurs à bord de deux voitures au moment de la grande fête de Timinoun, le Sbouaâ, et on a passé une semaine à faire des photos et des enregistrements», relate-t-il.
De retour à Alger, pendant la séance traditionnelle de débriefing, Fanny Colonna, chercheure au centre, émet l'idée qu'il fallait faire un disque avec ces enregistrements. «J'ai alors demandé à Mammeri de retourner à Timimoun pour compléter les enregistrements et faire un panel complet des répertoires du Gourara, puis j'ai envoyé la maquette d'un premier disque à l'Unesco. A ma grande surprise, ils ont accepté et le disque est sorti en 1975 à un moment ou j'avais quitté l'Algérie», raconte encore Pierre Augier.
Mammeri, un homme extraordinaire à tout point de vue
Ce disque, bien évidemment, a été le premier pas pour la sauvegarde de ce patrimoine culturel. Le travail de Mouloud Mammeri est venu ensuite enrichir et compléter l'?uvre de l'ethnomusicologue. «Le travail de Mammeri est très important. Si Moulay aussi a joué un rôle très important dans la découverte de l'Ahellil, sans compter cet obscur agent du ministère de l'Intérieur dont j'ai perdu le nom.
C'est lui le vrai découvreur de l'Ahellil», dit-il. Mammeri a remplacé Gabriel Camps. De Mammeri, Pierre Augier garde l'image d'un homme «extraordinaire à tout point de vue». «C'était un homme d'esprit et un excellent directeur qui avait ce regard malicieux, ce demi-sourire fascinant et il avait l'art de trouver les bons mots, la bonne répartie quand on lui posait des questions.
J'en garde le souvenir extraordinaire à tout point de vue d'un homme d'une très grande valeur. Il était connu surtout comme écrivain, mais Mammeri mérite le nom de savant car il avait beaucoup de connaissances dans tous les domaines, comme l'anthropologie, la linguistique, la sociologie, la préhistoire? Il avait une culture encyclopédique et il pouvait s'intéresser à tous les sujets, pas en spécialise dans tout, mais il avait la philosophie de chaque discipline», se rappelle Pierre Augier.


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