Algérie - A la une


Au degré zéro
Dans ses mémoires, Mahieddine Bachtarzi évoque, avec force détails, un séjour haut en couleur à Marrakech puis à Fès en compagnie de Rachid Ksentini. C'était en 1929, du temps où l'idéal maghrébin était encore vivace et partagé. L'Etoile nord-africaine, parti indépendantiste, se référait déjà d'une manière explicite à l'Afrique du Nord à travers sa dénomination. Avec le Destour et l'Istiqlal, il formait une sorte de trépied qui portait le poids des revendications dans des pays soumis au même occupant.Un courant d'échanges culturels existait entre les trois pays et se prolongeait au sein de l'émigration. On dit que le père de Warda, gérant du Tam Tam, haut lieu artistique de l'émigration, ne choisit pas par hasard ce nom. Les trois premières lettres désigneraient les trois pays du Maghreb. Un chanteur comme Akli Yahiaténe a toujours avoué sa dette envers le luthiste marocain Hocine Slaoui, l'auteur de la célèbre « Kaman bye bye ». Dans les orchestres, les musiciens des trois pays se mélangeaient. Dans le catalogue de Pathé Marconi, sous le label « club du disque arabe » ou chez d'autres éditeurs, Louiza Tounsia, Ali Riyahi de Tunisie côtoyaient Slimane Azzem, cheikh el Khaldi et les cheikhates du Haut Atlas. On connaît l'apport du Tunisien Mohamed El Djamoussi qui fut l'arrangeur de nombreux artistes algériens de langues arabe ou kabyle. Les artistes d'origine juive, comme Salim Hellali étaient rois de Tunis à Rabat. Faut-il rappeler aussi le rôle de la Zitouna dans la formation de certaines élites politiques ou culturelles 'Une fraternité exista dans les milieux estudiantins à Paris. Elle est si bien décrite dans les écrits de Lacheraf, Redha Malek, Harbi ou Ibrahimi qui ont connu cette époque. Ils évoquent souvent l'AEMNA, une association des étudiants d'Afrique du Nord. Dans son livre « Des noms et des lieux », le premier raconte une visite de trois étudiants du Maghreb au Bey Moncef exilé après la Seconde Guerre mondiale par les autorités du protectorat à Pau. Celui-ci avait pris en charge, à ses frais, la restauration des tombes des compagnons de l'Emir qui furent assignés à résidence au même endroit, presque un siècle auparavant.Carcan d'incompréhension Longtemps, les échanges culturels ont continué entre les trois pays. Des semaines culturelles furent organisées et l'influence se sentait dans des domaines aussi divers que la chanson ou le théâtre. Tayeb Seddiki, qui vient de mourir il y a quelques jours, a influencé le théâtre d'Alloula et la chanson marocaine de Nass El Ghiwane à Latifa Raeft ou Naima Samih fut très appréciée. Il y a à peine une vingtaine d'années, des réalisateurs tunisiens comme Nouri Bouzid, Farid Boughedir étaient des figures familières à Alger. Carthage avec ses journées du cinéma rayonnait sur les pays voisins. Il était même possible de trouver un journal comme La Presse dans les kiosques d'Alger.Depuis les années 90, les échanges ont repris notamment après le rétablissement des relations avec le Royaume du Maroc. Des éditeurs, des cinéastes, des associations ou même des partis politiques ont renoué des liens restés longtemps distendus. Un artiste comme Abdelawahab Doukali connu et apprécié dans notre pays et d'autres se sont produits en Algérie. Sa dernière prestation remonte au gala d'hommage, rendu l'an dernier, à Guerouabi qui, il faut le rappeler, a acquis sur commande son mandole guitare au Maroc d'où il ramena par la même occasion plusieurs qcids de poètes, précurseurs du genre Melhoun, tels que Kaddour El Alami, Bensahla, Benmessaib... Pour l'anecdote, lorsqu'une question fut posée au célèbre chanteur de chaabi Abderrahmane El Kobbi sur le v?ux qu'il rêve de réaliser, il répondit spontanément : « Me produire au moins une fois dans ma vie au Maroc. » Des chanteurs de rai, Idir et d'autres sont connus et appréciés au Maroc. Le flux des échanges reste néanmoins en deça des attentes, réduit à des manifestations ponctuelles comme le Sila et quelques manifestations cinématographiques et festivals. Internet, les télévisions ou les rencontres dans les pays d'Europe brisent difficilement ce carcan d'incompréhension et d'ignorance partagées. Mohamed Arkoun attribue aussi celles-ci à l'absence de recherches anthropologiques sur une mémoire partagée depuis des siècles et à l'émergence d'un islam politique qui s'enferme dans des récits, une religion ritualisée à l'excès en contradiction totale sinon différente avec le vécu culturel. Autres temps, autres m?urs, on parle davantage des contrebandiers que des créateurs qui ont rêvé d'un rapprochement de peuples qui partagent tant de choses.




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