Algérie - Parutions de livres de littérature

Ass-nni d'Amar Mezdad, (Roman) - Auto-Édition, Ayamun, 2006



Ass-nni d'Amar Mezdad, (Roman) - Auto-Édition, Ayamun, 2006
Un roman à lire et à réfléchir

Ass-nni est le troisième roman de Amer Mezdad qui boucle ainsi sa trilogie et termine le tableau panoramique de la société kabyle commencé dans son roman id d wass,en 1990 suivi de Tagrest urghu, en 2000.

Ass-nni, raconte l’histoire de Mezyan et Tawes, un couple moderne qui échappe à la pesanteur sociale et conçoit autrement la vie conjugale. Un couple qui refuse le diktat de la belle-mère symbolisant une norme sociale. Voyant sa belle-fille sans enfants, après dix ans de mariage, cette dernière décide de “répudier’’ Tawes et de marier son fils Mezyan avec «tin ara ieemren axxam-is (celle qui lui remplira la maison)». Mais son fils n’est pas de cet avis. Il fait la sourde oreille.
«Muhend Amezyan yesmuzgut, timesliwt ulac (Muhend Amezyan entend sans écouter)». Il aime sa femme Tawes. Cet amour, la belle-mère n’arrive pas à l’admettre et, encore moins à le comprendre. Pétrie d’archaïsmes dans une société masculine plurielle où la femme est confinée dans ses rôles utilitaires, «cette fonction de seksu d wussu», la vieille ne digère pas qu’une femme puisse être aussi bien traitée alors qu’elle et toutes les femmes de sa génération ont supporté le joug du père, du mari, du beau-père, de la belle-mère… du mâle.
Tawes travaille à l’usine avec mari. C’est à l’usine qu’ils se sont d’ailleurs rencontrés et ont sympathisé. Le fait qu’elle travaille ne l’empêche cependant pas d’être une excellente épouse et une véritable maîtresse de maison. Ce que sa belle-mère Malha reconnaît à «contrecœur».
Tawes finit par tomber enceinte. Elle porte deux jumeaux dans son ventre. La belle-mère le sait. Mais cette heureuse nouvelle ne change rien à ses ressentiments. Il s’agit donc «D lkerh-nni gar temeghart d teslit (cette haine qu’entretient la belle-mère avec sa bru)», lui explique une vieille avec qui elle a l’habitude de partager des discussions. «atan n temgharin, dayen ikcem-itt (ça y est, elle est atteinte de la maladie qui ronge les vieilles)» il ne s’agirait donc pas de pure méchanceté et de haine fondamentale suggère Id d wass qui réussira quelquefois à «arracher» de la compassion au lecteur à l’endroit de la belle-mère. D’autant plus que le narrateur nous apprendra qu’elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elle est donc pardonnée.
A travers le personnage de la mère de Mezyan, l’auteur met en exergue la condition et le statut de la femme kabyle de jadis, son courage mais surtout ses souffrances, sa douleur. A travers le personnage de Tawes, l’auteur exprime l’évolution du regard de la société vis-à-vis de la femme. Elle est émancipée, elle travaille et affronte avec son mari le quotidien avec tout ce que cela suppose de hauts et de bas. Id d wass met en évidence la volonté de la femme de changer sa condition et d’aller de l’avant tout en gardant tout ce qui la caractérise : patience, sacrifice, générosité…
Le roman est par définition un récit à deux pôles différents mais complémentaires : il est définit comme une histoire et comme un discours au même temps. L’histoire désigne l’univers créé, l’histoire telle qu’elle est ‘’cousue’’ par les personnages, l’espace, le temps. Le discours, quant à lui, est défini comme les choix techniques ( créatifs) selon lesquels la fiction est mise en scène : racontée par qui ? selon quelle perspective ? Ainsi une histoire peut être ‘’mise sur scène’’ par mille manières différentes en fonction de ces choix opérés par l’auteur pour des objectifs esthétiques, politiques, idéologiques….
L’histoire du roman Ass-nni se résume à l’histoire de Mezyan qui s’est marié avec Tawes. Tawes a eu une grossesse tardive. Le jour de l’accouchement arrive. C’est en pleine nuit que Tawes a senti les premières douleurs, mais elle n’a pas réveillé son mari. Vu l’insécurité qui règne dans le pays, elle n’avait pas le droit de l’exposer au danger terroriste. A l’aube, son mari se réveille et il la trouve dans un état pitoyable. Il appelle tous de suite un chauffeur de taxi qui les emmène à la maternité.
La sage-femme ausculte Tawes et demande à Mezyan de revenir vers l’après-midi, d’ici là tout sera fini. Il revient à l’usine pour travailler, mais le cœur n’y est pas. Le temps s’allonge et fait languir Mezyan qui ressent une boule d’angoisse qu’il n’arrive pas à expliquer. A midi, Mezyan ne peut rien avaler. Son ami Lxewni l’oblige à prendre quelque chose. En vain. Cette boule d’angoisse l’étrangle et il a hâte de partir voir sa femme. Lxewni l’accompagne.
A la sortie de l’usine, un certain Qebbad lerwah tire sur Lxewni et tire aussi sur Mezyan, alors qu’il n’est pas sur la liste des gens à éliminer. Il l’a éliminé de sa propre initiative pour faire plaisir a ses commanditaires et parce que Mezyan l’a vu et l’a reconnu quand il a tiré sur son ami Lxewni. Il se trouve que ce Qebbaed lerwah n’est autre que son cousin «Redwan», le fils aîné de son oncle auquel il a rendu visite récemment sur la demande de sa mère inquiéte pour son frère qu’elle n’a pas vu depuis des années.
L’histoire de Ass-nni se termine quand la mère de Mezyan rentre chez elle l’après midi, après un brin de discussion avec son amie. Quelle est grande sa surprise de voir sa maison pleine de femmes venues la consoler et la soutenir dans son malheur. Un malheur annoncé en filigrane dans Id wass. Le lecteur reste sur sa faim: qu’est ce qui advient de Tawes ? de son accouchement ? A-t-elle accouché ou non ? une fille ou un garçon ? Deux filles ? deux garçons ? Ou une fille et un garçon comme l’a annoncé le médecin ?
L’histoire de Ass-nni est fragmentée sur plusieurs chapitres qui traitent de thématiques différentes et qui, parfois, n’ont rien à voir avec l’histoire racontée. D’ailleurs c’est au lecteur de reconstituer le puzzle de cette histoire pour comprendre comment sont agencés les faits. A titre d’exemple, nous avons sauté tous les chapitres où il n’est pas question de Tawes et Mezyan. Nous avons donc terminé avant de revenir lire et digérer le reste tranquillement.
L’histoire de ce roman peut être résumée dans une page ou deux. Le discours, par contre, s’étale sur plusieurs chapitres et pages où l’auteur, à travers son instance narratrice, nous livre ses points de vue politiques idéologiques, critiquant, dénonçant l’état actuel des choses de l’Algérie et de la Kabylie de manière particulière.
A l’instar de la plupart des romans kabyles, l’histoire du roman Ass-nni est un prétexte pour un discours qui dénonce le rejet de l’identité berbère, l’obscurantisme, l’absence de l’autorité étatique laissant ainsi le peuple livré à lui-même. C’est un discours qui dénonce aussi le diktat de la norme sociale qui réduit l’être humain à l’asservissement dans une perspective de la baraka de lwaldin et la reconnaissance sociale. Mais entre-temps, cette société est propulsée vers l’avant et avance quand même, mais, encore une fois, cette avancée tant souhaitée est freinée par les lois de l’obscurantisme qui refusent tout espoir à la vie et à l’amour.
A l’instar de Balzac, Mammeri, Feraoun, Amer Mezdad fait vivre et évoluer ses personnages à travers tous ces romans, c’est une continuité. On ne peut comprendre Ass-nni si on a pas lu Id d wass et Tagrest, urgu. Amer Mezdad avait déjà jeté les prémices de l’histoire de Mezyan et de Tawes dans son roman «Id d wass», c’est là qu’ils se sont connus et appréciés. Leur histoire d’amour, qui n’est qu’une continuité, est implicite, le lecteur l’a saisie à travers le discours de la vieille qui reste scandalisée devant le comportement de son fils qui est aux petits soins avec sa femme.
Mezyan et Tawes ont évolué à travers les deux romans. Lxewni est aussi un personnage familier pour le lecteur de Amer Mezdad, un démocrate et un opposant acharné pris au piège par son franc-parler, ses positions audacieuses. Dans Id d wass, lxewni a été dégradé, il s’est retrouvé agent de cuisine alors qu’il était comptable. Dans Ass-nni il a perdu carrément la vie. Peut-être que le lecteur retrouvera Mezyan et Lxewni comme souvenir dans un roman prochain de Amer Mezdad comme il a retrouvé le souvenir de Tahemmut, une bonne femme au cœur généreux qui a laissé un grand vide dans la vie de la mère de Mezyan.
Ass-nni est un roman social. Amer Mezdad décrit, à travers ce roman et les deux autres, la société algérienne de manière générale, et la société kabyle de manière particulière ; il a touché à plusieurs thèmes dont la politique du pays, la culture, les fléaux sociaux…Dans ces romans, l’histoire est réduite dans le temps et dans l’espace. Le temps romanesque dans Ass-nni est réduit à une journée et peut-être moins. Il commence quand Mezyan s’est réveillé pour emmener sa femme à la maternité, à midi, il sort de l’usine avec Lxewni pour aller la ramener avec les deux jumeaux qu’elle va mettre au monde.
Mais, la mort les guettaient et elle les fauchera, avant d’arriver à destination.. Le temps s’arrête quand la mère de Mezyan revient à la maison prise d’assaut par des femmes venues partager la douleur de la belle-mère que la vie n’a pas épargnée. Certes, le temps de l’histoire s’arrête là mais le temps du discours est beaucoup plus éclaté. Le narrateur fait un va-et-vient dans le passé et le présent. Le narrateur renvoie le lecteur loin dans le passé puis le ramène vers le présent pour suivre les périples de l’histoire amorcée. Ces retours en arrière sont souvent nécessaires pour expliquer certains faits pour la compréhension de l’histoire.
La narration est prise en charge par un conteur omniscient qui arrive à lire et à décrire les pensées les plus intimes des personnages du roman. Aucun des personnages n’a de secret pour lui. Il s’invite même dans leurs rêves, leurs sentiments les plus refoulés. Le narrateur et le lecteur savent plus qu’en sait le personnage. Pour chaque personnage, le narrateur fait un portrait psychologique.
Ass-nni vient enrichir la bibliographie romanesque kabyle. Mais il faut souligner que la plupart des romanciers donnent beaucoup plus d’importance au discours qui véhicule leurs idées et leur engagement dans cette mouvance de la revendication. Par contre, ils réduisent explicitement l’histoire racontée au rôle d’histoire prétexte à ce discours. Alors que l’histoire est la pièce maîtresse du roman, elle tient en haleine le lecteur, l’oblige à lire à relire le roman et saisir, à travers cette lecture plaisir, le message transmis par l’auteur.
La lecture du roman Ass-nni reste difficile : l’histoire est éclatée en fragments dans ce long discours politique, social,…En fait, le discours prend beaucoup d’espace dans les romans kabyles et l’histoire est toujours prétexte à ce discours. Un agencement qui rend la lecture du roman kabyle difficile, ce qui pourrait être néfaste pour ce genre littéraire qui commence juste à faire ces premiers pas en littérature kabyle.
Quand bien même l’œuvre était intéressante, combien de lecteurs ont, quelques pages après, abandonné un roman d’expression kabyle.
Pour capter le lecteur et du coup créer une dynamique lecteur-ungal, le roman kabyle gagnerait à donner beaucoup plus d’importance à l’histoire qui pourrait tenir en haleine le lecteur jusqu’à la dernière page. Mais cette parenthèse qui invite l’auteur ‘’à…’’ n’obéir qu’à un seul souci : la fabrication d’un lectorat. Sinon écrire c’est aussi donner à réfléchir. C’est pourqoui Id d wass est un roman à lire et surtout à réfléchir.
azul c'est avec plaisir que j'ai eu la dédicace du DR MEZDAD . La trame des romans de AMAR sont toujours d'actualité, il a su raconté la souffrance du peuple à travers ses personnages qu'il a admirablement épuisé de notre patrimoine ancestral et habillé de notre présent, sa critique politique, ses positions vis à vis de la condition féminine que vit toutes les femmes soumises à travers le monde sont quasiment identiques, l'expression culturelle qui diffère, la société algérienne en générale et kabyle en particulier n'échappe pas à cette règle l'histoire de notre société ancienne et récente est l'émanation de cette société sclérosée et ayant subi toutes les contre coups des différents envahisseurs . bravo pour notre poète , médecin et amusnaw que notre élite ignore. pas à cette règle.
HADJ AHMED LOUNES - médecin - Livry-Gargan, France

11/11/2011 - 22061

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