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Après l'agression de Bab-Ezzouar



Après l'agression de Bab-Ezzouar
L'agression d'un ressortissant chinois à Alger a fatalement instauré un sentiment d'inquiétude mais aussi de malaise au sein de la communauté chinoise qui s'exprime dans ce reportage sur l'affaire en elle-même mais aussi sur des conditions de vie et d'intégration beaucoup moins évidentes qu'on ne pourrait le supposer.Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Vendredi 6 janvier. Une vidéo postée sur les réseaux sociaux fait rapidement le buzz. La scène qu'elle révèle est effarante. Dans un quartier de Bab-Ezzouar, un groupe de jeunes intercepte un véhicule utilitaire, ouvre la malle et embarque toutes les marchandises qui s'y trouvent. Le tout appartient à un ressortissant chinois qui s'attelait à transporter, de nuit, un nouvel arrivage pour sa boutique.Ses agresseurs sont au nombre de trois, mais la scène filmée indique la présence de plusieurs autres personnes, toutes jeunes, autour du lieu de l'agression. Des habitants du quartier assistent au vol sans réagir. Il fait nuit noire, une grande tension règne sur la capitale en raison des évènements qui secouent certaines wilayas limitrophes comme Béjaà'a.Les forces de l'ordre sont en état d'alerte et sont organisées au sein d'un impressionnant dispositif prêt à intervenir à la moindre occasion. Très rapidement, ils ont vent de ce qui se produit. Lorsqu'elles arrivent sur les lieux, les auteurs du forfait ont déjà eu le temps de prendre la fuite, mais les informations qu'elles recueillent leur permettent de procéder à l'arrestation de deux d'entre eux, deux jours plus tard. Un communiqué de la DGSN annonce qu'un troisième complice se trouve toujours en fuite.La même source nous apprend que les agresseurs s'étaient également rendus coupables d'attaques menées contre des magasins appartenant à des ressortissants chinois. Des armes blanches ont été utilisées.La réaction des commerçants chinoisLe contexte général dans lequel est survenue cette affaire soulève des interrogations. Les auteurs de l'agression ont-ils profité du climat de tension pour se livrer à ce comportement ' L'hypothèse est très probable, mais elle interpelle les consciences car elle survient peu de temps seulement après une autre affaire, tout aussi dramatique, liée à un comportement singulier observé au sein de la population contre les réfugiés subsahariens. A travers de nombreuses wilayas, et même au sein de la capitale, la communauté africaine a été à plusieurs fois ciblée et attaquée de manière honteuse (jets de pierres notamment) par des groupes de citoyens reprochant un mode de vie contraire aux traditions algériennes.Cette situation avait même contraint récemment les autorités à expulser (reconduire selon le terme officiel) des centaines d'entre eux vers leur pays d'origine dans des conditions décriées par les organisations des droits de l'Homme. Mais la communauté chinoise établie en Algérie est loin d'en être là . Le dernier bilan officiel livré par l'ambassade de Chine lui-même annonçait, il y a une année, que près de 40 000 Chinois se trouvaient dans le pays. Ils constituent la plus grande communauté étrangère établie en Algérie. Un simple regard dans les rues d'Alger renseigne sur l'importance de leur présence.Ming Zhong travaille depuis plusieurs années à El-Biar. Elle tient un magasin où elle propose des tas d'articles de maison à un prix raisonnable. Des couvre-lits, des taies d'oreiller, des draps et même des tenues traditionnelles chinoises venues tout droit de Pékin, dit-elle dans un français ponctué de ravissantes connotations chinoises. Ming est naturellement au courant de ce qui s'est passé à Bab-Ezzouar.Un tel évènement ne peut pas passer inaperçu. Elle aborde pourtant difficilement le sujet : «On ne sait pas ce qui se passe, ils nous ont dit que la situation n'est pas très bonne ici, il y a beaucoup de voyous.» La vendeuse qui l'assiste prend la parole : «Il n'y a jamais eu de gros problèmes, mais depuis quelque temps, on sent que les choses vont moins bien, d'ailleurs depuis cette affaire elle a décidé d'engager un jeune Algérien.» Ce dernier habite dans l'immeuble qui se trouve juste au-dessus du local. Ming lui donne 8 000 DA uniquement pour monter la garde devant la porte du magasin.Manil, 23 ans, est également chargé de veiller sur un autre local tenu par une Chinoise, quelques mètres plus loin. Il est là , il veille, sans plus. Sa présence rassure et sert de double protection. C'est un enfant du quartier, et en cas de besoin, ses amis pourront lui prêter main-forte. Manil servira également de bouclier contre les railleries et plaisanteries de bas niveau auxquelles font fréquemment face les Chinois. «Certains aiment bien nous taquiner, dit Ming en riant, mais parfois, cela fait mal, ça touche», dit-elle en mettant le poing sur le cœur.Des plaisanteries mal placéesA Bab-el-Oued, des commerces du même genre foisonnent. A proximité du marché, un local tenu par un Chinois reçoit de vieilles dames à la recherche d'une paire de draps pour une prochaine mariée. Une discussion avec le propriétaire est entamée : «J'ai été volé à plusieurs reprises, une fois un ami que j'avais envoyé très tôt pour ouvrir le magasin à ma place a même reçu un coup à la tête. Un voyou a tenté de l'assommer pour rentrer voler la marchandise. Mais maintenant si quelqu'un vient, je l'attends. Les Chinois sont forts pour le karaté.»Comme beaucoup d'autres commerçants chinois, celui-ci a appris à s'appuyer sur le voisinage, les jeunes en particulier, pour éviter d'être confronté à de mauvaises surprises. «Ils sont plus vigilants depuis l'affaire de Bab-Ezzouar. Le vol est partout, mais faire cela contre des étrangers est une honte, certains Algériens sont racistes», commente Mourad un quinquagénaire qui vient acheter des cacahuètes toutes chaudes près du magasin chinois.A Alger-Centre, comme sur les hauteurs, à Dély-Brahim, les commentaires des commerçants chinois se ressemblent : «Certaines périodes, tout va bien, nous sommes grands amis avec les Algériens, mais d'autres fois, rien ne va, comme en ce moment, on ne sait pas ce qui se passe, la police dit que ce sont des voyous.»A Dély-Brahim toujours, des rumeurs annonçaient hier un nouveau vol dans un magasin. Le propriétaire aurait été délesté de toute sa marchandise. Intox ou psychose 'Les témoignages recueillis révèlent, cependant, que de nombreux Chinois ont été forcés de quitter l'Algérie au cours de ces derniers mois. Certains font état de difficultés d'intégration. D'autres, et ils sont plus nombreux, avouent avoir été à leur tour frappés de plein fouet par la crise économique qui touche le pays.L'information conforte cette déclaration faite il y a près plus d'une année par l'ambassadeur chinois à Alger qui, au cours d'un déplacement à Tizi-Ouzou, annonçait à la presse que sur les 40 000 Chinois établis en Algérie, 30 000 s'apprêtaient à quitter le pays. Le problème d'intégration avait été à nouveau évoqué par son entourage. Très vite, une dépêche de l'APS annonçait, à son tour, que le chiffre avancé par le représentant de la République de Chine allait être revu à la baisse.Explications : seule une partie des travailleurs chinois, notamment employés dans le secteur de la construction, allaient être libérés et rapatriés, les entrepreneurs ayant opté pour le recrutement d'une main-d'œuvre locale.Des milliers d'ouvriers étaient arrivés à Alger vers la fin 2010 lors du lancement de grands chantiers dans le BTP. Une bonne partie d'entre eux avait cependant privilégié de se lancer dans le commerce et de rester sur place après l'expiration de leur contrat. Dans des situations parfois peu évidentes, ils tentent de poursuivre une vie normale et une intégration sous le regard admiratif d'Algériens qui condamnent unanimement des attaques et des regards d'un autre âge.
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