Algérie

11 ans déjà; onze ans seulement



 Le Quotidien d’Oran porte sa ville d’édition dans son nom, comme pour marquer un territoire de naissance, afin que nul n’oublie les motivations profondes de ses créateurs, animés de la volonté de faire dire à une région marginalisée, ce qu’elle est seule à pouvoir dire.

En surfant sur Internet à la recherche de quelques connaissances à faire avec la presse algérienne, on est tenté d’ouvrir le site «Courrier international.com» et cliquer sur notre journal pour voir s’afficher des éléments de présentation, qui paraissent a priori relever de l’information générale. On y lit alors «titre: Le Quotidien d’Oran; région: Afrique; pays: Algérie; ville: Oran; langue(s): français; périodicité: quotidien; genre: généraliste; diffusion (exemplaires): 190 000; remarque: quotidien régional fondé en 1994 à Oran, devenu national en 1997, c’est désormais le premier quotidien francophone du pays. Sérieux, surtout lu par les cadres, il rassemble les meilleures signatures de journalistes et d’intellectuels d’Algérie dans son édition du jeudi». A elles seules ces informations suffisent à identifier le journal du point de vue géographique, linguistique, de son ancienneté et financier, pour peu que l’on sache faire une multiplication par dix dinars et compter le nombre de pages publicitaires. Il est dit que le journal se trouve en Afrique et c’est précisément à cette Afrique dont il est si fier et orgueilleux, qu’il consacre nombre de ses analyses et articles d’information, pour dénoncer la misère qui y sévit et les retards qu’elle accumule au cours de son Histoire. Parce qu’elle n’arrive pas à se défaire de ses innombrables complexes, dont celui de gouverner démocratiquement des nations déchirées par des guerres fratricides. Celui aussi de tuer définitivement le primitif refoulé. Cette Afrique acculée à expédier ses enfants dans des négriers d’un genre nouveau, vers une Europe qui ferme ses portes, ses oreilles, ses yeux et n’ouvre que sa bouche, pour leur faire regretter leurs indépendances. Fermée pour inventaire des banlieues. L’Afrique d’Alan Paton décrite dans son roman «Cry the Beloved Country» (Pleure, ô pays bien-aimé) en 1948 lorsqu’il écrivait déjà face à l’Apartheid «Pleure, ô pays bien-aimé, sur l’enfant qui n’est pas encore né et qui héritera de notre peur. Puisse-t-il ne pas aimer trop profondément cette terre. Puisse-t-il ne pas rire avec trop de joie lorsque l’eau coulera entre ses doigts, ne pas se taire trop gravement lorsque le couchant fera flamboyer le veld». L’Algérie, à laquelle Courrier international.com identifie Le Quotidien d’Oran, est un pays tellement grand qu’on finit par ne plus le reconnaître. L’Algérie est une suite de souffrances et de pleurs, pendant que son soleil, ses montagnes et ses plaines, son désert aux couleurs juvéniles, ses hommes et surtout ses femmes invitent les passants de tout temps à venir y apprendre le sourire. L’Algérie du coeur et de la raison fuyant son Histoire comme on fuit une ombre, dont on ne sait trop si elle est à soi. L’Algérie d’en haut comme celle d’en bas font les unes de notre journal et, souvent, elles nous énervent de ne pas être plus loin que ce destin imposé par ceux d’en haut, qui oublient de plus en plus ceux d’en bas. Les unes des journaux sont faites pour attirer le lecteur par des titres accrocheurs. Elles finissent par décevoir, tant les contenus restent parfois disproportionnés par rapport au piège tendu par la taille démesurée des polices. Mais peut-on tout dire dans un journal ? Parfois oui, parfois non. C’est selon les chaleurs des uns et des autres. C’est selon le prix qu’on accorde au crédit de ses dires, à la croyance en leurs effets sur l’opinion, sans tricherie, sans infidélité. Cela ne réduit en rien l’amour souvent innocent du métier, du lecteur et de cette terre qu’on n’a pas choisie, mais qui sait transmettre ses odeurs au bout de la plume de celui qui écrit, ou dans la profondeur de son clavier. La nationalité du journal n’est pas qu’une simple identification géographique. C’est une preuve qu’il est bien de chez nous avec ses qualités volontaires et ses défauts involontaires. Le Quotidien d’Oran porte sa ville d’édition dans son nom, comme pour marquer un territoire de naissance, afin que nul n’oublie les motivations profondes de ses créateurs, animés de la volonté de faire dire à une région marginalisée, ce qu’elle est seule à pouvoir dire. Ils étaient nombreux. Certains ont disparu, d’autres ont vieilli, d’autres encore ont de belles années devant eux, mais tous traînent El-Houari ou Lahouari ou encore Houari comme surnom, par choix d’une identité régionale, qu’il suffit de déclarer pour savoir d’où vous venez. D’Oran, Le Quotidien d’Oran connaît Saint-Pierre où se situait son premier siège. Saint-Pierre, l’autre quartier de la pauvreté, aux rues insalubres avec ses trottoirs étroits et le goudron de la chaussée qui casse aux moindres averses. Le quartier des pentes, celui qui fait peur. Celui de Alloula, tombé du haut de sa grandeur, assassiné d’une balle tirée par un enfant de Saint-Pierre, quittant son humanité, perdu sur les chemins tortueux d’une adolescence détournée, un soir de Ramadhan, à quelques pas du journal. C’est le drame d’«Oran vile» chantée par les plus grands de ses amoureux inconditionnels, celle qui a été surnommée «le petit New York» ou «El Bahia» et dont les fidèles du journal souhaiteraient qu’elle y occupe toute la place. Parce que, le matin avant de siroter leur «press bien serré» dans leur café habituel, les Oranais se rendent dans leurs kiosques habituels, pour acheter leur journal habituel et se lancer à la recherche de ce qu’ils ne savent pas encore sur leur ville habituelle, pour y pêcher de quoi parler pendant la journée. Y chercher les intrigues locales et nationales. C’est que les Oranais font tout par habitude et ont fini par s’habituer à la dégradation de leur ville que dénonce le journal par habitude. Mais le journal, resté d’importance locale par modestie jusqu’en 97, n’a pu résister à se lancer dans l’aventure, combien périlleuse, de se faire lire par tout le pays. Au diable la modestie lorsqu’elle ne sert qu’à tuer une ambition légitime ! 190 000 exemplaires ? Plus ou moins ? Qu’importe ! Dès lors que les 100 000 sont atteints, on pénètre dans la cour des grands, une plume dans la main droite, une feuille blanche dans l’autre main, pour séparer Raïna de Raïkoum par la beauté du texte qui ose, parce que son auteur sait comment dompter la prose. En face, l’analyse des événements du jour refuse d’être aussi maigre que le corps de son auteur en livrant les éléments utiles à la clairvoyance. Contrairement à ce qu’affirme Courrier international.com, Le Quotidien d’Oran n’est pas le journal des seuls cadres du fait de sa capacité à fédérer plusieurs couches de lecteurs, qui y trouvent toujours «quelque chose à lire», avant de se détendre en remplissant plus facilement les grilles des mots fléchés, mots codés, mot secret, que celle des mots croisés réputés pour leur difficulté. La langue française est un choix imposé par l’Histoire d’une colonisation devenue «positive» depuis peu, et ce «butin de guerre» a tendance à se rétrécir, du fait de sa mauvaise distribution entachée d’arrière-pensées. La langue française adoptée par le journal est celle avec laquelle les textes fondateurs de l’Algérie indépendante ont été rédigés. Celle de Yacine à Boudjedra et de tous ceux qui n’ont jamais eu peur de chanter «Min djibalina». Celle aussi du code de l’information. Mais comme, dit Mahmoud Derwich, «je ne suis que ma langue» et le journal gagnerait à promouvoir une édition en langue arabe en prévision du futur lectorat, qui monte et qui monte. Le jeudi, Le Quotidien d’Oran sort ses griffes pour faire semblant de les tailler en les mordillant, puis les utilise pour décrire une «actualité autrement vue» et il devient méconnaissable par ses cris assourdissants. Il accompagne alors le lecteur durant son week-end jusqu’au samedi d’après et le laisse espérer que toute la semaine soit ainsi faite. Ainsi soit-il ? Il le laisse aussi espérer que sa gourmandise soit satisfaite par la publication d’éditions spéciales, autour de thèmes d’importance nationale et internationale, du fait même que le journal a dépassé les frontières sans visa que celui accordé par sa crédibilité. Il voyage via le net que quelques exilés partis à la recherche d’un meilleur consultent chaque jour, pour mesurer la distance qui les sépare du retour. Né en pleine guerre du projet social pour la faire à sa manière et résister à la décrépitude des idées, Le Quotidien d’Oran a aujourd’hui 11 ans d’existence. Déjà onze ans qui en paraissent plus par le nombre d’idées qui s’y sont développées et l’usure des femmes et des hommes qui se sont battus pour qu’il survive. Onze ans qui paraissent insuffisants par rapport au chemin qui l’attend dans un pays qui attend beaucoup de sa recherche d’un chemin, de sa presse. Une presse qui a payé un prix fort afin que nul n’oublie la mémoire collective. Et si les lecteurs ne sont pas satisfaits, c’est qu’ils ont bien raison d’être exigeants car c’est par leur exigence que s’amélioreront les choses. Disons alors par tradition, Happy birthday to you !


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