Ali Ouali Tarmoul, musicien et membre du groupe mythique Ideflawen : «La culture et les libertés doivent être réhabilitées»

-Comment est venue l'idée de créer le groupe Ideflawen et qu'elle en était la principale raison 'C'est d'abord une rencontre entre des amis artistes qui ont voulu travailler ensemble pour partager leurs sentiments et leur vécu à travers la poésie et la musique. Chacun apportant ses connaissances artistiques et son savoir faire au service d'éléments ayant les même ambitions.
-Qui sont justement les membres fondateurs '
Le groupe Ideflawen a été créé en 1977 par la rencontre de trois éléments, à savoir le chanteur et musicien Ali Ait Ferhat, le guitariste Zahir Adjou et le parolier L'Hacen Ziani).
-Comment avez-vous intégré le groupe '
En 1980, j'étais étudiant en médecine à Alger et c'est à cette période que j'avais rejoins le groupe déjà créé. Le trio ainsi formé était à la recherche d'un guitariste soliste et c'est le frère de l'Hacene Ziani, également étudiant en médecine qui m'a mis en contact avec eux. L'entrevue a eu lieu à la cité universitaire Bouraoui de la ville El Harrach où je résidais. Tout s'était bien déroulé. Je venais de réaliser un rêve de jeunesse, celui de faire partie d'un groupe de musique et quel groupe !!!! Je voulais progresser et améliorer mes connaissances musicales. J'ai beaucoup travaillé au début pour apprendre les premières chansons du groupe afin de les jouer. Par la suite, les spectacles et galas s'enchaînaient l'un derrière l'autre, les invitations pleuvaient de partout. Sur scène, le groupe se produisait à trois, chacun avec sa guitare, Ali, Zahir et moi-même. L'Hacen faisant de l'animation. Nous avons fait toutes les grandes salles d'Alger et toutes les cités universitaires. Nous avons aussi joué dans presque toutes les régions du pays.
-Pourquoi Ideflawen, le nom donné au groupe '
Ideflawen désigne en kabyle «les neiges» qui renvoient aux montagnes, donc aux montagnards, à leur difficulté de vie dans leur village, à la rudesse des hivers qu'ils subissent et à leur résistance face au déni culturel. C'est grâce à eux que le patrimoine culturel et linguistique a été préservé.
-Quel était l'impact de la secousse du 20 avril 1980 sur le groupe ' Et comment l'avait-il vécu '
Avant cette date, Ideflawen s'était déjà fait connaître par ses compositions qui dénonçaient le déni identitaire et le blocage des libertés démocratiques. La pertinence des textes superbement écrits par L'Hacen, adaptés aux douces mélodies jouées par le groupe attiraient l'attention des fans par leur simplicité et la profondeur des thèmes. Il y avait une certaine concordance d'idées défendues à cette époque entre les admirateurs et le groupe. Nous avons vécu cette date avec tristesse et colère, comme tout Algérien aimant son pays qui voyait s'abattre sur lui une répression des plus féroces, alors qu'il ne faisait que revendiquer légitimement et pacifiquement ses droits.
-Quelles sont les raisons du succès du groupe '
Ideflawen est un groupe de musique engagé qui a porté les aspirations de toute une région et de tous ceux qui ont subit par le fait des anciens gouvernants une répression pour leurs idées. Le groupe n'a jamais dévié de sa principale trajectoire revendicative. C'est aussi par sa présence à toutes les manifestations culturelles auxquelles il a toujours répondu et qui maintenait à travers ses chansons, l'espoir d'un changement. La scène a beaucoup aidé à faire connaître le groupe et Ideflawen, grâce au génie d'Ali Ideflawen à être présent dans beaucoup de scènes, il a ainsi propulsé le groupe et l'a encore rendu plus populaire. La scène, c'est l'oxygène de l'artiste. Le groupe a aussi adapté en chansons des textes du grand poète Mohia dont Berwaguia, un hommage aux détenus politiques), ce qui a relevé la popularité du groupe. Hormis la décennie noire où la culture a été bâillonnée dans toutes ses expressions, la présence de tous les éléments du groupe dans le pays a permis de maintenir le cap, contrairement aux autres groupes de musique d'expression kabyle qui, il faut le souligner, ont eux aussi porté les mêmes revendications culturelles et identitaires. Plusieurs groupes engagés bien connus sur la scène artistique ont vu certains de leurs membres immigrer dans d'autres pays, ce qui a freiné leur élan. On assiste, heureusement, à la reconstitution de ces groupes, soit par leurs anciens éléments ou bien par l'arrivée de nouveaux, ce qui est de bonne augure.
-La chanson Egget-iyi abrid ad 3eddiy, (Cédez-moi le passage ndlr) est d'une brûlante actualité...
En effet, cette chanson qui date de quarante années déjà est encore d'actualité car elle inspire tous ceux, épris de liberté, de démocratie et tous ceux se sentant opprimés et oubliés. Son texte est d'une profondeur incroyable montrant la révolte contre le verrouillage des libertés démocratiques par l'ancien pouvoir. Egget-iyi abrid ad 3eddiy est un cri de révolte de toute une jeunesse exhortant pacifiquement les gouvernants pour leur permettre de réoccuper les espaces qui leur ont été interdits et participer ainsi au développement du pays. Elle est devenue la chanson phare de tout un peuple, car reprise en choeur lors des marches récentes du Hirak à travers toutes les contrées du pays.
-Est-ce-que vous êtes toujours en contact avec le reste des membres du groupe Ideflawen '
Le contact entre nous, éléments du groupe, est toujours maintenu grâce à notre présence permanente dans nos localités, malgré la situation chaotique que vit toute la communauté artistique. Seul L'Hacen, le parolier réside au Canada. Il a laissé au leader du groupe Ali Ideflawen de nombreux textes qui n'attendent qu'à être adaptés en chansons. Pour ce qui est des projets, je dirais qu'un artiste qui en a plein la tête ne s'arrêtera pas de produire, donc d'autres albums sont à venir. Un coffret de tous les albums d'Ideflawen est également en projet. Je souhaiterais qu'on redonne à l'artiste la place qu'il occupait auparavant. Les salles de spectacles doivent être rouvertes pour lui permettre de s'exprimer. La culture dans tous ses aspects et les libertés doivent être réhabilitées.
Entretien réalisé par Amar Fedjkhi