Algérie - Revue de Presse

Ali Kader, Écrivain, à L’Expression «La société est le meilleur terreau»



Ali Kader, Écrivain, à L’Expression «La société est le meilleur terreau»
Publié le 30.10.2023 dans le Quotidien l’Expression
Auteur de plus de dix romans édités, Ali Kader a dédicacé ses livres au stand des éditions Enag (Entreprise nationale des arts graphiques). Il nous a accordé cet entretien où il évoque son expérience dans l'écriture et l'édition.

L'Expression: Quand et comment a eu lieu le déclic qui vous a poussé à écrire votre premier roman?

Ali Kader: C'est un plaisir et un honneur que d'être interviewé par un journal et un prolifique journaliste qui donne la parole aux gens de culture, notamment les écrivains. Il est vrai que pour n'importe quel créateur (auteurs, chanteurs, cinéastes, etc.), il y a un déclic, un moment précis où ses dons le débordent et éclatent au grand jour. Pour ma part, le déclic s'est invité à travers le soutien et les encouragements du regretté Salah Mouhoubi, auteur et grand commis de l'État qui, après avoir feuilleté le journal intime que je tenais, m'a incité à écrire. Il faut dire que la période, les années quatre-vingt-dix, n'étaient pas des plus faciles. Le lieu, non plus, une wilaya à un jet de pierre d'Alger, infestée de groupes terroristes, à feu et à sang, n'était pas fait pour de la villégiature. C'est peu dire du décor planté d'avance à qui savait observer les tragiques événements qui s'y déroulaient.

Pouvez-vous nous parler de votre tout premier roman?

Justement, mon premier ouvrage ne pouvait mieux découler d'une situation aussi dantesque que nous vivions. Avec autant d'événements se bousculant, les uns chassant les autres, il y avait matière à écrire des milliers de livres. Hélas, force est de reconnaître que peu de récits sont publiés sur cette période qui, peu à peu, s'efface de la mémoire collective nationale. C'est donc le plus naturellement du monde, quoiqu'avec peu de recul, que «Le vieux fusil», est écrit. Quoi de plus facile que de débuter une carrière d'écrivain sur la base de faits réels, vécus par-ci par-là, mais romancés.

Par la suite, vous n'avez pas cessé d'écrire et vous êtes actuellement l'auteur de plus de 10 romans, d'où puisez-vous votre inspiration?

Après? Hé bien après ça coule de source. On y prend goût et l'on se fait prendre à son propre jeu. À peine un ouvrage terminé, que voilà, l'idée déjà en gestation se transforme en récits. Comme souligné, pour l'heure, j'en suis à 11 ouvrages (entre romans et essais), trois traductions en langue arabe et une en langue amazighe. Chez nous, il y a matière à écrire des milliers de livres, car il suffit d'observer les soubresauts qui traversent la société pour comprendre que la scène littéraire nationale est en friche. Voilà d'où provient l'inspiration. Après ce n'est qu'une question de volonté et de plaisir quand bien même le chemin de l'auteur, seul créateur s'échinant à enfanter des récits, est parsemé d'embûches. La cupidité quasi généralisée a pris le pas sur la beauté du verbe. Il est vrai que les temps sont durs, pour tous

En rédigeant vos romans, y a-t-il des auteurs qui vous inspirent de manière directe?

D'abord, il y a une vérité à asséner, à savoir «qui ne lit pas n'écrit pas!» La lecture est l'abreuvoir de tout auteur. J'ai eu la chance d'aimer les classiques français, russes et surtout algériens. Depuis, je ne choisis plus mes lectures, je n'hésite pas à lire tout ce qui me tombe sous la main et, ainsi, aller à la découverte d'une panoplie d'auteurs locaux. Hélas, délibérément, faute de promotion, leur aura ne dépasse pas nos frontières. C'est comme si quelque part, un dôme de fer est tombé sur les têtes pour que jamais, la littérature algérienne d'expression française, pourtant prolifique, belle et envoûtante, ne s'exporte pas. Une à deux hirondelles n'ont jamais fait un printemps.

Tous vos romans sont basés sur un ou des faits réels, et votre imagination fertile fait le reste? Comment se fait le choix de l'événement qui deviendra un roman? Y a-t-il des critères précis dans vos choix?

Un livre n'est qu'une idée qui se transforme en récit. Chaque auteur a son parcours. Je n'aime pas investir des terrains irréels où le lecteur ne pourra peut-être pas me suivre. Le mieux est de narrer des faits que je romance pour que tout un chacun trouve ses repères. Dans la société, il y a de tout. Du bon et du mauvais, du brave et du poltron, de l'honnête et du bravache, c'est le meilleur terreau. Il suffit d'abord que l'idée germe, qu'elle fermente un moment, après l'éclosion ne sera que plus belle. J'ai eu à écrire des récits sur la décennie noire, les haraga, les mariages mixtes, les mariages blancs, les martyrs disparus, l'exploitation de la femme, le suicide et la mal-vie des jeunes couples, etc.

En lisant vos romans, on ne butte sur aucune lourdeur de style. Votre façon d'écrire est très fluide. On a l'impression que vous écrivez vos livres sans interruption, pouvez-vous nous parler de cet aspect?

Tant mieux si vous trouvez mes récits fluides et sans lourdeur même si les sujets abordés sont d'une gravité et d'une actualité brulantes. Il se trouve que quelquefois, quand bien même, je n'ai rien à voir, je me retrouve moi-même au coeur du récit à gigoter. Le temps de l'écriture, de tout mon tréfonds, je le vis et il m'arrive de me mettre dans la peau de mes personnages. Sans un minimum d'informations, ou sans y avoir vécu une partie de l'histoire, il est difficile de traiter de tels sujets sociétaux. Allez, racontez la misère et la faim à quelqu'un qui est né avec une cuiller en or à la bouche!

En plus de vos romans édités, vous avez aussi une pile d'autres romans que vous avez écrits et qui restent inédits. Pouvez-vous évoquer ce point?

Effectivement, il y a une bonne dizaine de livres en attente. Le dernier en date, «Les démunis» que je projette en quatre tomes dont deux sont déjà complètement terminés «Guerre et faim», suivi de «Ombres et lumières». Cette saga traite le vécu d'une famille pauvre à travers un fils qui arrivera à s'en sortir et à devenir une personnalité. Il y a aussi «les amours interdites», «Moi, Djoul, l'élu de Dieu et des hommes», «Vous pouvez nous tuer, car nous sommes déjà morts», «L'évasion» «Identités et valeurs plurielles: et après (essai)» et bien d'autres.

Contrairement à beaucoup d'auteurs, écrire ne représente pas une thérapie pour vous. Vous écrivez pour le plaisir, n'est-ce pas?

Ah oui! Là, vous pouvez bien l'affirmer. J'écris par plaisir et pour le plaisir de sentir cette magnifique langue que certains voudraient éradiquer.
Un ‘'butin de guerre'' n'est pas fait pour être rendu à l'ennemi, il est fait pour être exploité au mieux. Il se trouve qu'il y en a deux que j'essaie de cultiver. Pour mon cas, donc, pas de thérapie mentale.
Juste un pur moment de plaisir. Et si ce plaisir est partagé par les lecteurs, c'est le nirvana. Il est vrai que souvent ce moment de délectation se transforme en angoisse de se voir passer à côté du sujet.
Les deux mélangés, l'euphorie est assurée. Quant à la thérapie financière, je doute qu'elle existe chez nous. On est loin des standards internationaux en matière d'édition, de distribution, de promotion et de rétribution des auteurs. Je ne connais pas d'écrivains qui vivent du livre uniquement.
Ecrire ne fait pas bouillir la marmite! Souvent, il l'assèche. Entre la cupidité des uns et l'absence réelle de perspectives de développement culturel et littéraire des autres, la scène littéraire nationale vogue.

Avez-vous un roman que vous rêvez d'écrire un jour, mais dont le moment n'est pas encore arrivé?

On dit que les meilleurs jours à vivre sont ceux à venir. C'est ainsi aussi pour tous les auteurs. Chacun a en tête une idée qu'il se promet de mettre en récit le moment voulu.
Pour ma part, je ne rêve plus, j'écris, car le temps m'est décompté. Je dois profiter du moment présent ainsi que de l'inspiration et de la volonté qui m'animent. Il n'y a plus de temps à perdre. Aussi, étant presque terminé, l'ouvrage ‘'identités et valeurs plurielles: et après'' ne peut être édité pour des raisons sur lesquelles il est vain de s'étaler.
Chaque chose en son temps!
Aomar MOHELLEBI

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