Algérie

Algérires de Habib Amar, Un récit plaisant et des non-dits



On dit souvent qu’il y a toujours une part d’autobiographie dans le premier récit d’un écrivain, mais là, l’auteur, natif de la région de Mostaganem, se livre presque entièrement à sa manière. Sauf que, n’ayant apparemment aucune prétention de pondre un « roman d’une vie », il s’est laissé guider par le fil de sa mémoire restituant pêle-mêle, de préférence avec humour, des pans de récits, à la limite des petites histoires qu’on se raconte entre potes, autour d’un pot, pour rester dans le registre langagier du narrateur, vaguement à la manière de San Antonio, héros de feu Frédéric Dard.
Avoir 20 ans en 1970 est sans aucun doute ce qui a pu arriver de mieux à un Algérien. Entre le sacrifice des générations d’avant (et là on peut faire remonter l’axe des temps à une époque très lointaine) et la désillusion de celles qui sont venues juste après, il y a cet intermède des premières années de l’indépendance, nos glorieuses qui restent aujourd’hui dans la mémoire collective et chez beaucoup de gens comme un paradis perdu. « Un rêve à consommer une seule fois », avait dit le narrateur au sujet de son rêve, une intrusion inconsciente peut-être mais hautement symbolique. Justement, l’intérêt du récit est à chercher dans ce qu’il raconte implicitement et non pas dans le feu de l’action des péripéties (celle du narrateur ou des autres personnages) qui, hormis leur caractère plaisant, paraissent dénués d’un intérêt. Le narrateur note lui-même ses aventures au-dessous de la moyenne. Cet enfant du peuple, de l’Algérie profonde, même si son père est originaire du Rif marocain, passe avec une aisance déconcertante les étapes de la vie. L’école garantie, on rentre à l’université de manière très naturelle, la cité universitaire est mixte et ouverte à tous, on ne rencontre aucun problème pour intégrer le monde du travail, car le chômage est un mot inexistant. La cerise sur le gâteau, on voyage avec une relative aisance (le narrateur effectue un voyage de 24 h en France pour un concert de Bob Dylan) et, « pour dépanner », on fait de la colonie de vacances en Europe (même dans les pays de l’ex-Est, mais c’est toujours ça), etc. On se demanderait alors ce qu’on pourrait reprocher aux « années socialistes ». De qui se moque-t-on (il s’agit d’humour dans le récit) alors, car l’enfer est à vivre après, avec les compressions d’effectifs, la fermeture d’entreprises, la crise de logement amplifiée, la rareté du travail, la ségrégation à l’université, l’injustice, les grosses fortunes mal acquises et enfin la violence. Dès le début des années 1980, les jeunes de 20 ans ne connaissent en général de l’étranger que les brefs séjours pour ramener de gros sacs et alimenter le « trabendo ». Les années hippies (un contexte mondial particulier) paraissent un paradis d’insouciance avec les musiques d’époque (un accès à la culture) cités par le narrateur : the Doors, Yes (de la première époque avec close to the edge), Deep Purple, Pink Floyd, etc. C’est peut-être au niveau politique que les années Boumediène posent problème, mais cette question est complètement évacuée dans le récit. A peine a-t-on évoqué le coup d’Etat de juin 1965, le lendemain d’un match Algérie-Brésil auquel le narrateur a assisté. Celui-ci nous a restitué une fresque d’une vie paisible (plage, camping sauvage, voyages le long de la côte, etc.) Un calme qui précède la tempête, celle où l’Algérie est passée de l’exemple révolutionnaire à celui de l’horreur. Habib Amar aurait pu intituler son ouvrage Amarires. Il n’y aurait rien à redire, mais c’est justement parce que le titre porte l’emblème national et qu’il s’agit (de l’« amour du pays ») que le lecteur est en droit de s’interroger sur cette part de responsabilité d’une partie de cette génération instruite qui s’est laissée aller, qui n’a peut-être pas su (ou pas assez) faire avancer les fragiles acquis anticoloniaux vers la modernité, la démocratie et la justice sociale. Telle qu’elle est justement vécue par eux mais sous d’autres cieux avec ce qui peut s’apparenter à une fuite. Cela dit, le livre reste à lire. C’est d’autant plus qu’il porte dans sa préface la griffe de l’écrivain marocain Driss Chraïbi, quelque peu complaisante mais bon !

Algérires, Habib Amar Editions Lapeyronie (2005)


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