Algérie - Arboriculture

Algérie - Reportage. Sa culture connaît un franc succès à Batna et Khenchela: La pomme, l’autre reine des Aurès


Algérie - Reportage. Sa culture connaît un franc succès à Batna et Khenchela: La pomme, l’autre reine des Aurès


En quelques années, la pomme des Aurès s’est taillée une belle réputation de produit de terroir de grande qualité au même titre que l’orange de la Mitidja, la Deglett Nour de Tolga, la figue de Beni Maouche ou la fraise de Skikda. A une altitude moyenne variant entre 1.200 et 1.800 mètres, la route de la pomme court en une ceinture verte autour du Mont Chelia. Nous l’avons suivie de Oued Taga, sur les hauteurs de Batna, jusqu’à la ville de Bouhmama à Khenchela, en passant par Ichmoul, Innoughissen et Msara. Cette année, à Batna, on s’attend à une production qui avoisine les 1,5 million de quintaux. Un record pour une filière nouvelle mais très prometteuse.


Reportage réalisé par Djamel Alilat


Adossés au mur d’une station-service, de jeunes vendeurs proposent des corbeilles et des caisses de fruits frais aux nombreux automobilistes de la Route nationale 31 tentés par une halte. Pêches, pommes, pruneaux, figues et des mûres sauvages de très bonne qualité à des prix plutôt abordables. Le soleil est au zénith en cette matinée du dernier jeudi aoûtien, mais un vent très frais souffle sur le col de Aïn Tinn qui culmine à plus de 1.800 mètres d’altitude.

Sur la route d’Ichmoul, les forêts de chênes laissent bientôt la place aux vergers de pommiers couverts de filets anti-grêle. Étrange spectacle. On dirait que des araignées géantes se sont amusées à prendre au piège ces arbres qui ploient sous le poids de leurs fruits verts ou d’un beau jaune qui tire vers le rose. On peut l’affirmer sans trop courir le risque d’être contredit, Ichmoul est le cœur des Aurès.

Ce petit village tire son nom de la montagne en forme de cœur renversé sur laquelle il a pris racine. Ich m wul, littéralement la pointe du cœur. Sur ses hauteurs, nous sommes à un jet de pierre de Timgad, d’Arris, des gorges de Ghouffi et du mont Chelia, le plus haut sommet des Aurès à 2.328 mètres d’altitude. La région a l’habitude recevoir beaucoup de visiteurs et de touristes des quatre coins du pays. On y vient aussi pour acheter des pommes car ces dernières décennies, sans tambour ni trompette, la région s’est transformée en pôle national de production de la pomme. Ce beau fruit charnu tire toute l’économie locale derrière lui et la pomme des Aurès est désormais renommée à travers toute l’Algérie. Le produit s’est fait connaître sous le nom de la pomme d’Arris, car à l’époque Ichmoul faisait partie d’Arris.

- La pomme adore le froid et l’altitude

A la Direction de l’agriculture de Batna, on nous apprend que l’on s’attend, cette année, à une production de 1,2 et 1,5 million de quintaux sur la surface de 4.826 hectares occupée par le pommier. La pomme est produite à travers tout le territoire de Batna et l’ensemble des 61 communes de la wilaya.

«Le pôle de production est la zone de montagneuse, celle d’Ichmoul, à l’est, et celle de Hidoussa, du côté de Merouana, à l’ouest», nous apprend la chargée du dossier pomme au niveau de la direction de l’agriculture.

Cependant, c’est dans les communes les plus montagneuses que la pomme trouve l’altitude, le climat, l’eau et le terroir qui font son bonheur: Arris, Ichmoul, Innoughissen, Foum-Toub, Oued Taga et Kimmel. La Golden Delicious vient en tête des variétés cultivées, suivie de près par la Star Krimson et la Royal Gala. En fait, le pays de la pomme est une ceinture verte qui court autour du mont Chelia, à cheval entre les wilayas de Batna et Khenchela, à une altitude qui varie entre 1.200 et 1.800 mètres.

Tous les paysans vous le diront, la pomme adore le froid et l’altitude. Pourtant, tout n’est pas aussi rose que la peau d’une Golden Delicious sous le soleil éclatant des Aurès. Les conditions climatiques sont en train de changer et le problème de la disponibilité de l’eau commence à se poser sérieusement. Cette année, la sécheresse a été très sévère, disent de manière unanime les agriculteurs. Blotti au milieu des vergers dans une étroite vallée qui court du mont Chelia vers Arris et la vallée d’Ighzer Amellal, le village d’Inoughissen est considéré comme le cœur historique de la pomme. On y pratique l’arboriculture depuis des temps immémoriaux.

On cultivait une espèce de pomme locale qu’on appelait Adhefou en berbère. Les vergers sont en terrasses de part et d’autre des gorges étroites qui abritent un oued aux eaux de montagne pures. Selon les saisons, ce cours d’eau est tantôt un ruisseau qui chante avec les oiseaux, tantôt un torrent qui gronde et charrie des flots furieux et des blocs de pierre arrachés à la montagne. La pomme est arrivée dans les années 70’.

«Ce sont les gardes-forestiers qui l’ont introduite en donnant quelques plants à des paysans d’Inoughissen. Ce qui était juste une expérience est devenu une réussite totale», dit Hamid Saoudi, cadre de l’administration et enfant du village.

Les arbres plantés ont grandi merveilleusement bien et donnent chaque saison de magnifiques fruits. Inoughissen où la culture en terrasse est une tradition héritée des premiers ancêtres offrait des conditions idéales pour la culture de la pomme.

- Inoughissen, berceau historique de la pomme

«C’est grâce à la pomme que j’ai pu me construire une maison et me marier», dit Azzedine, agriculteur de père en fils.

Il y a quelques années, un projet d’aide de l’Union européenne est miraculeusement arrivé dans ces contrées oubliées. Il a permis de tracer quelques pistes et, surtout, de mettre en place un réseau d’irrigation qui permet d’arroser pratiquement tous les jardins. 100 à 150 DA le kilo en vente sur pied.

«La pomme a beaucoup de dépenses et beaucoup de charges, la main-d’œuvre, les produits phytosanitaires, le transport, les filets anti-grêle, le stockage à perte, etc. Nous ne recevons aucune aide de l’Etat. Avant cette piste réalisée avec des aides européennes, on transportait les pommes de nos jardins à dos d’âne», dit Azzedine.

«Notre ‘‘doula’’ est absente sur le terrain. Elle n’est bonne qu’à créer de la paperasse», intervient Hakim, un autre agriculteur du village.

Pour ces agriculteurs qui doivent faire face à de grosses dépenses et un fruit sensible qui doit être stocké dans des conditions qui n’altèrent pas sa qualité, les aides de l’Etat sont tout simplement inexistantes ou très insuffisantes.

«Il n’y a plus d’aide, par exemple, pour les chambres froides. Comment je vais faire pour les 200 ou 300 quintaux que je produis? Je suis obligé de les vendre directement quel que soit le prix».

En général, au pied de l’arbre, le kilo de pomme est cédé entre 100 et 150 DA selon sa qualité.

«L’eau d’irrigation ne suffit pas à faire de beaux fruits. Il lui faut de la pluie pour prendre de belles couleurs. Avant, à la fin août, on avait des orages à la fin, au point qu’on n’avait même plus besoin d’irriguer. Là, c’est la sécheresse», se désole Azzedine.

Qu’à cela ne tienne, les progrès techniques et scientifiques sont là.

«Avant, il fallait six mètres entre un arbre et un autre. Maintenant, il n’y a plus qu’un mètre et demi entre deux arbres des nouvelles espèces importées. Et ces arbres donnent des fruits au bout d’une année seulement», dit encore Hakim.

Vergers, chambres froides, pépinières, magasins d’outils agricoles ou phytosanitaires, forages de puits, construction de bassins, taille, greffe, vente en gros ou en détail, beaucoup d’activités directes ou annexes tournent autour de la pomme.

«Près de 80% de la population en vit», dit Hamid.

Cette monoculture intensive a cependant des répercussions négatives qui se font sentir de plus en plus.

«Les produits chimiques qu’on nous ramène sont trop puissants et nous rendent malades en nous provoquant des allergies et des maladies. L’Etat devrait nous aider à aller vers le bio», dit Azzedine.

Malgré tout, à Innoughissen, la culture de la pomme ne cesse de s’étendre et de partir à la conquête de nouveaux espaces comme Tafrent et Chir. Sur la chaîne de montagne d’Ihezamen, de vastes terrains ont été déboisés pour créer de nouvelles banquettes et terrasses exploitables.

- Nouvelles plantations, grands investissements

Farouk Benlembarek a bien voulu nous faire visiter ses nouvelles plantations à Chir.

«On vient de planter 3.000 pommiers d’une nouvelle variété importée de Grèce», dit ce jeune homme issu d’une famille de paysans qui cultivait les légumes de base avant de se tourner vers la pomme à partir de 1978.

Passés à l’agriculture intensive, Farouk et ses frères entretiennent près de 5.000 arbres fruitiers, principalement des pommiers et produisent entre 500 et 600 quintaux de pommes chaque année. Les 5 chambres froides qu’ils possèdent suffisent à peine à stocker les 500 à 600 quintaux de pommes qu’ils produisent chaque année et qu’ils écoulent sur les marchés de Bouhmama et Chelghoum El Aïd.

«Aujourd’hui, le plus grand problème que l’on rencontre est celui de l’eau. L’eau manque de plus en plus», dit-il.

Pour Mahfoudh Lehmadi, 60 ans, ancien chauffeur de taxi reconverti dans la pomme depuis 10 ans et qui possède 1.000 pommiers à Chir, l’eau n’est pas vraiment un souci.

«Nous avons deux grands problèmes: la route et l’électricité, c’est tout. Nous espérons que le gouvernement nous aide à les régler. Sinon, nous avons planté des milliers d’arbres, réalisé des forages et des bassins pour l’irrigation au goutte à goutte».

Un simple forage peut coûter jusqu’à 300 millions de centimes et un tel forage peut irriguer jusqu’à 3.000 pommiers. Le risque n’est cependant pas à écarter. On nous rapporté le cas de certains investisseurs qui n’ont pas trouvé d’eau même après avoir englouti entre 500 et 700 millions de centimes dans un seul forage. Mahfoudh possède 40 arbres vieux de 30 ans qui lui rapportent jusqu’à 150 millions de centimes.

«Mais pour avoir ces 150 millions, je dois investir plus de 30 millions», dit-il encore.

Sur place, les travaux sont impressionnants. Farouk avoue que les travaux des nouvelles plantations ont nécessité la réquisition d’engins lourds pendant près de 3 années.

«Vous voyez ce bassin ?», lance Farouk.

«Il a une profondeur de 20 mètres et peut contenir jusqu’à 30.000 mètres cubes». dit-il.

Il a fallu que les pompes de refoulement travaillent pendant quatre mois, 24 heures sur 24 pour le remplir.

«Cela m’a coûté une facture d’électricité de 22 millions», sourit Farouk.

En tout, c’est un investissement de 3 à 4 milliards de centimes et il faudra attendre quelques années pour que les arbres atteignent leur pleine maturité et productivité pour espérer rentrer dans ses frais. Et prier que dans ce pays connu pour ses orages d’une violence inouïe la grêle ne tombe pas.

- Bouhmama, plaque tournante du commerce de la pomme

Autre capitale de la pomme dans les Aurès, la ville de Bouhmama, dans la wilaya de Khenchela. Une immense plaine verdoyante au pied du mont Chelia dont les cèdres rappellent un peu la station climatique de Tikjda dans le Djdurdjura. Bouhmama offre à perte de vue le même paysage de vergers emprisonnés dans leurs filets. Il est 10 heures du matin en ce vendredi frais et ensoleillé et le marché de la pomme tire presque à sa fin. Au milieu d’une belle anarchie qui caractérise tous les souks du pays, vendeurs et clients négocient encore des pommes en cagettes, cageots ou filets selon leur qualité. L’offre va de petites pommes fourguées dans un sac de jute à 13 DA le kilo jusqu’à de magnifiques Golden Delicious à 200 DA le kilo. Messaoud, vendeur d’emballages en plastique, accueille ses derniers clients.

«Bouhmama a toujours été une place forte de la pomme. Quand j’étais encore petit garçon, je me rappelle de mon père qui vendait les pommes rab3in dourou (deux dinars) le kilo», dit-il.

Depuis ces temps bénis ou les pommes ne coûtaient pas grand-chose, beaucoup d’eau sous les ponts d’Inoughissen et les paysans des Aurès ont fait beaucoup de chemin pour faire de ce fruit une référence et un label de qualité. Il reste peut-être aux autorités à leur accorder un peu plus d’attention et un peu plus de moyens, à organiser une filière qui a largement fait ses preuves et, pourquoi pas, à labelliser et à protéger un produit de terroir et d’origine avant d’envisager son exportation.



Photo: Pour Mahfoudh Lehmadi, 60 ans, ancien chauffeur de taxi reconverti dans la pomme depuis 10 ans et qui possède 1000 pommiers, l’eau n’est pas vraiment un souci. «Nous avons deux grands problèmes : la route et l’électricité.»


CHIFFRES-CLÉS

. Production attendue: 1,2 à 1,5 million de quintaux pour Batna.
. Superficie dédiée aux pommiers: 5.000 hectares
. Principales communes productrices: Ichemoul, Foum-Toub, Inoughissen, Oued-Taga, Kimmel, Hidoussa, Ouled Fadel, Aïn Touta.
. Principales variétés: Golden Delicious, Star Krimson, Royal Gala, Hanna, Red Top et Granny Smith.
. Principaux marchés: Bouhmama et Chelghoum El Aïd.


D. A.


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