Algérie - Gestion, récupération et recyclage des déchets

Algérie - Portrait. Lyès Ouarab, un recycleur engagé pour l’environnement: Quand le recyclage devient un art


Algérie - Portrait. Lyès Ouarab, un recycleur engagé pour l’environnement: Quand le recyclage devient un art


Il s’appelle Lyes Ouarab. Il a 49 ans. Fervent défenseur de l’environnement, il s’est lancé dans un défi fou: réaliser des sculptures d’art à partir de canettes de soda ramassées un peu partout. Précurseur dans cette activité, il appelle les autorités à lui apporter une aide, surtout que le recyclage artistique jouit d’un triple bénéfice: environnemental et économique, mais aussi artistique.

«J’ai ramassé quelque 130.000 canettes en 15 ans. De ce déchet, j’ai pu réaliser 4.600 œuvres artistiques», confie fièrement Lyes Ouarab, un Algérois de 49 ans.

A partir de ces déchets, qui on le sait mettent entre 100 et 500 ans à se désintégrer, Lyes confectionne des avions, des motos, des fleurs et autre œuvres artistiques.

«A travers mes réalisations, je veux montrer qu’on peut sublimer des objets aussi simples que des canettes d’aluminium, destinées à la base au rebut, pour en faire quelque chose d’inédit et d’exceptionnel», affirme-t-il.

L’idée lui est venue un peu par hasard. Et c’est sur le balcon de Saint-Raphaël à El Biar que tout est parti.

«J’avais l’habitude de retrouver des amis sur ce balcon. C’était notre moment de détente après la journée de boulot. Un jour, j’aperçois 4 canettes de bière. 3 grandes et une petite. Je décide alors de les ramasser pour les mettre dans une poubelle», se souvient-il.

Sauf qu’arrivé à la maison, Lyes se rend compte que les canettes sont toujours en sa possession. Il décide alors d’en faire un pot à stylos.

«Au lieu de les laisser se dégrader dans la nature, autant qu’elles soient utiles. Sauf qu’au moment de commencer la découpe, je me suis raté. J’ai donc décidé de les couper entièrement à l’aide de ciseaux».

Lyes dessine alors le plan d’un avion. Car oui, Lyes arrive, malgré le fait qu’il n’a pas fait d’études, à dessiner différents plans aussi compliqués soient-ils. A cet effet, il raconte: «Je n’ai certes pas été au bout de ma scolarité, mais cela ne m’a pas empêché de bouquiner, suivre des reportages et avoir un attrait à tout ce qui touche aux documentaires scientifiques. J’ai d’ailleurs dessiné mon premier navire frégate à 6 ans. C’est un don!» Ayant comme objectif de réaliser en premier l’esquisse d’un avion, Lyes coupe des ailes dans la feuille d’aluminium qu’il a préalablement découpée et ouverte et tente de les coller de part et d’autre d’une nouvelle canette. «Malheureusement, ça n’a pas tenu. J’ai donc suspendu l’opération jusqu’à racheter une meilleure colle».

Lyes ne désespère pas et croit en son idée. Il en vient d’ailleurs au bout quand il a enfin pu terminer sa première œuvre. «J’ai flairé le potentiel dans quoi que je m’apprêtais à me lancer. Je me suis donc longuement documenté sur le Net. J’ai beaucoup appris sur la canette et ses conséquences sur l’environnement». Lyes s’est donc lancé dans la quête aux… canettes. Il commence par son quartier qu’il nettoie de tous ses récipients en aluminium. «A Bouzaréah, plus aucune canette ne traîne sur le sol. Je les ai toutes ramassées. Puis, j’ai rallongé mon périmètre et j’ai commencé à me rendre dans les forêts où je ramassais toutes celles qui traînaient», raconte-il.

Et il y en avait beaucoup. ça sera la matière première de son art. Même si de prime abord on peut penser que c’est facile et accessible, Lyes avoue qu’il faut s’armer de patience si on veut faire ce qu’il fait: «Je les laisse tremper toute une journée dans un tonneau rempli d’eau et de la Javel. Puis, je les nettoie une à une afin que je puisse m’en servir pour mes œuvres.»

Et pour sculpter ces formes parfaitement géométriques, l’Algérois a comme principal instrument… ses mains. Fort de son expérience de 10 ans en bijouterie, il arrive à sculpter toutes sortes de modèles.

«J’ai commencé comme apprenti en bijouterie à l’âge de 13 ans. L’expérience m’a tellement plu que j’y suis resté 10 ans. C’est quelque part grâce à ce métier que j’arrive aujourd’hui à exceller dans ce que je fais», dit-ilfièrement.

Si, auparavant, Lyes taillait du corail, aujourd’hui il taille des canettes et ça lui procure tout autant de plaisir, voire plus: «C’est bizarre à dire, mais la canette m’envoûte. Je suis constamment submergé par des idées nouvelles que je ne peux m’empêcher de réaliser quelle que soit l’heure», confie-t-il.

Après de longues années de persévérance, Lyes affirme fièrement que sa passion est devenue son gagne-pain, non sans peine.

«On s’est beaucoup moqué de moi et de ce que je faisais. On n’arrivait pas à admettre que ce que je faisais été non seulement utile pour l’environnement et artistique par la même occasion. On ne m’a pas pris au sérieux, mais j’ai cru en moi et en mon idée qui s’est avérée novatrice», confie-t-il.

Aujourd’hui, Lyes ne compte pas ses heures. Que ce soit pour le ramassage des canettes, ou la réalisation de ses œuvres, Lyes ne se ménage pas.

«J’ai constaté qu’en dehors du manque de civisme dont font preuve quelques-uns, on manque cruellement de poubelles un peu partout. Et les différentes initiatives de nettoyage m’enchantent. Mais ce qui me désole, c’est que les gens nettoient certes mais n’innovent plus», ajoute-il.

C’est pour cette raison que Lyes passe autant de temps pour sublimer ce «déchet».

«Mon chez moi est mon atelier. Je commence vers 10h du matin. Les petites réalisations me prennent la demi-journée, tandis que les plus grosses peuvent me prendre jusqu’à 4 jours car je travaille seul», explique-t-il.

Aujourd’hui, Lyes avoue ne pas pouvoir ramasser davantage depuis le début de la pandémie par crainte de choper le virus. Ce dernier ne cache d’ailleurs pas sa tristesse quant à cette situation: «L’angoisse s’empare de moi à chaque fois que je me retiens de ramasser une canette qui traîne sur le sol. Mais je ne peux pas faire autrement en ce moment.» Toutefois, il a encore de quoi faire. En effet, chez lui, Lyes avoue avoir plus de 10.000 canettes qui attendent d’être «transformées». S’il considère ne pas avoir atteint tous les objectifs qu’il s’est fixés, Lyes est fier de voir l’engouement des gens quant à ses œuvres.

«Mes réalisations sont appréciées et achetées même à l’étranger. On commence à reconnaître mon art», dit-il.

Seul fait qui le désole et le préoccupe désormais: ne pas avoir la possibilité de partager son amour pour le recyclage artistique en animant des ateliers de formation.

«On a refusé de m’octroyer la carte d’artiste, considérant que ce que je fais n’était pas de l’art. Cela m’empêche de protéger mes œuvres, ce qui me désole profondément», confie-t-il.

Selon lui, nombreux sont ceux qui sont intéressés d’apprendre ce métier qu’il nomme le recyclage artistique.

«Mais je ne peux pas le faire tant que nous ne sommes pas protégés, mes œuvres et moi. Cela fait 19 mois que je bataille pour obtenir une carte, mais le chemin est semé d’embûches. Mais je ne désespère pas pour autant», dit-il, optimiste.

Son idéal: protéger l’environnement en ramassant un objet dont la dégradation prend des siècles et en faire des œuvres d’art uniques qu’il exposera et vendra dans sa propre boutique.

«Je mets tout en œuvre pour innover dans ce domaine et développer ma touche artistique. Je compte d’ailleurs bientôt lancer mon site web pour faire découvrir ce que je fais au plus grand nombre», conclut-il.



Sofia Ouahib
souahib@elwatan.com


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