Algérie - Parc et sites naturels, zone humides

Algérie - PARC NATIONAL D’EL-KALA: Une réserve dénaturée



Algérie - PARC NATIONAL D’EL-KALA: Une réserve dénaturée


Classé réserve de biosphère par l’Unesco en 1990, le majestueux Parc naturel d’El-Kala, connu notamment pour ses lacs, change de visage. Éventré par une autoroute, son écosystème est menacé.

Située à proximité du poste-frontière d’Oum Teboul, la petite ville de Souarekh marque la limite nord-est du Parc national d’El-Kala, dont elle est partie intégrante. Cette portion de territoire de 80.00 hectares, où la faune et la flore sont d’une exceptionnelle beauté, pourrait être, en plus de sa valeur pédagogique incontestable, un atout pour le tourisme local.

L’urbanisation sauvage au sein même de cet écosystème et les attaques inconscientes à l’environnement contrarient, cependant, les attentes des uns et des autres. “Notre situation n’était déjà pas reluisante en temps normal, elle s’est aggravée au point de devenir désespérante avec ce maudit coronavirus. La fermeture du poste-frontière, depuis maintenant trois mois, a lourdement affecté la vie économique de Souarekh. Ici c’est ‘dégoûtage’ permanent”, marmonne Abderraouf, sans même lever les yeux de son smartphone.

Ce trentenaire, qui a fait des études en agronomie, ayant déjà plusieurs années de chômage derrière lui, se morfond comme bon nombre de ses camarades dans la monotonie ambiante. Plus bavard, son compagnon Fayçal, qui se prévaut, quant à lui, d’un diplôme d’informatique, signale que les jeunes du village attendent avec impatience la réouverture de la frontière algéro-tunisienne, synonyme pour eux de retour au “bizness” et à la débrouillardise, entendre par là la contrebande.

“Le change informel avec les gens de passage des dinars algérien et tunisien et le commerce des divers produits des deux pays sont pratiquement les seules activités de la population. Nous aurions tellement aimé bénéficier, plutôt, d’emplois durables dans cet immense espace naturel, où il est possible de créer tant et tant d’activités lucratives et surtout sans avoir à enfreindre la loi”, regrette-t-il.

Un argumentaire qui prend tout son sens pour le visiteur, à la vue des merveilles que recèle le Parc national d’El-Kala, le PNEK, comme on le désigne dans la région. Il y a tellement d’avantages à tirer de ces richesses, comme la promotion et la valorisation des savoir-faire locaux, ou encore l’extraction des huiles, le démasclage de liège, l’arboriculture et l’apiculture. Il y a aussi des possibilités à explorer dans le cadre du montage de projets de développement durable, de la stratégie de la communication, l’éducation environnementale et l’écotourisme.

. Les écologistes exigent une plus grande protection du site

Plus nous nous enfonçons dans ce jardin et plus nous nous rendons compte de l’immensité de cette “réserve de la biosphère”, tel qu’il a été classé par l’Unesco en 1990. Le Parc national inclut, en effet, toute la partie littorale de la commune d’El-Kala et une portion importante de la plaine d’El-Tarf.

Le massif végétal, constitué de chêne-liège, de chêne-zen et d’une multitude d’espèces végétales typiquement méditerranéennes, couvre la majeure partie de la ville balnéaire d’El-Kala, depuis le cap Rosa, à l’ouest, jusqu’à la Pointe Segleb, à la limite de la frontière tunisienne, à l’est, pour former, en allant vers le sud, une pointe végétale, qui descend au-delà de la commune voisine de Bougous.

Le moment de ravissement passé, on ne peut s’empêcher de remarquer la présence choquante de ces dizaines de constructions rurales et d’exploitations agricoles, un peu partout et surtout à proximité des zones boisées du Parc naturel.

“Le statut particulier dont devraient jouir, dans la pratique, les parcs nationaux, au regard de la loi n° 03-10 du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement, n’est pas en vigueur. Il n’est même pas pris en considération par ceux qui sont censés veiller à sa stricte application”, s’indigne Fayçal L., un des membres de l’association locale de protection de l’environnement, qui militent pour l’application stricte des lois régissant les zones protégées s’agissant de la conservation des paysages, des écosystèmes et de leur valeur.

Notre interlocuteur exhibe, pour étayer son propos, un document officiel du Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement publié en 2011, dénonçant, à cette époque déjà, les piétinements du PNEK, à travers la multiplication et l’extension d’un grand nombre d’agglomérations, sous l’effet de la croissance démographique.

Cet écrit signalait, en gras dans le texte, “l’accroissement de la pression anthropique en milieu rural, le développement du réseau routier, la multiplication des réseaux de transport d’énergie, d’eau ou d’assainissement, la création de barrages-réservoirs et l’augmentation des flux touristiques”. Des invasions, aggravées par les incendies de forêt, le défrichement et le sur-pâturage, est-il ajouté dans ce rapport.

Réservoirs de la biodiversité dans cette oasis, les fameux lacs Oubeira et Mellah, et plus loin le lac Tonga en allant à l’est. “Ces trois réserves intégrales concernées par la convention de Ramsar font partie du complexe de dépressions humides dudit Parc naturel d’El-Kala. Elles sont un site d’accueil pour les oiseaux d’eau, qui y font escale et s’y reposent, durant leur migration, s’alimentent avec les poissons, invertébrés et bivalves, qui y abondent ou viennent y nicher”, explique patiemment Rafik Baba Ahmed.

Cet ancien cadre universitaire rattaché à la station de recherche et d’expérimentation de l’INRF signale, à regret, que le nombre des oiseaux migrateurs, nicheurs et hivernants, une soixantaine environ qui étaient enregistrés au niveau du lac Mellah, dans les années 80, a sensiblement baissé au fil des ans, à cause de la pollution de l’environnement.

“Le gradient de salinité et la productivité élevée de cette lagune contribuent à une riche biodiversité de phytoplancton, de zooplancton et de poissons. Cet écosystème a malheureusement été bouleversé, depuis que des apprentis sorciers ont entrepris d’y introduire, début 1990, l’aquaculture et celle de la carpe, un poisson allochtone, qui n’est pas de chez nous.

Résultat: nous n’avons non seulement plus de carpe, mais nous avons perdu le mulet, un poisson commercialement très rentable, ainsi que le loup et la daurade, qui ont totalement disparu de cet habitat”, dénonce Rafik Baba Ahmed. Et de signaler, en rappelant que “l’équilibre entre préservation de l’écosystème et activités humaines est si fragile qu’un rien pourrait le faire basculer, irréversiblement, que les abords des trois principaux lacs du PNEK et leurs ceintures d’aulnaies sont devenus des décharges à ciel ouvert”.

C’est le constat désolant que nous avons fait, nous aussi, à la vue de tas d’ordures ménagères, de gravats et de détritus de toutes sortes, en empruntant le tronçon de la RN 44 qui mène, à travers bois, de la localité de Souarekh vers la zone littorale.

“L’atteinte à l’environnement vise notamment le lac Oubeira, qui est une recharge des eaux souterraines de la zone humide, où l’on trouve quantité de poissons et une riche vie végétale”, explique encore notre guide, en faisant noter que “c’est le seul site algérien où l’on trouve la mâcre nageante ou châtaigne d’eau et le nénuphar jaune, entre autres espèces rares”, charge Rafik Baba Ahmed. Ce dernier regrettera l’extinction déplorée, au cours des trois dernières décennies, de dizaines d’espèces de mammifères sauvages.

. Le cerf de Barbarie a déserté la région

Il évoque celle, entre autres, du cerf de Barbarie, qui a pratiquement disparu dans la région, au niveau tant du massif végétal, qui lui a été exclusivement réservé à proximité du parc animalier de Brabtia, que des autres espaces boisés où il vivait naturellement.

“Au début des années 90, nous avions tenté avec succès de réintroduire le cerf et avions recensé quelque soixante individus au moyen des brames, mais cette population, au lieu de croître, a été la proie des braconniers avant d’être exterminée, hélas”, se souvient notre interlocuteur. Et de signaler, comme à regret, que ce même animal, qui est une sous-espèce du cerf élaphe, a été réintroduit avec succès et jouit d’une attention particulière de l’autre côté de la frontière, chez nos voisins tunisiens, lesquels lui ont consacré un parc, à titre exclusif.

. L’autoroute Est-Ouest finira par achever le PNEK

Le tronçon d’autoroute en cours d’achèvement de l’autoroute Est-Ouest serait le coup qui risque d’être fatal, à terme, au Parc national d’El-Kala, de l’avis de la plupart des personnes rencontrées, entre forestiers, hydrauliciens et géologues. La détermination des politiques à faire passer, vaille que vaille, cet axe routier à travers cette aire protégée a fini par l’emporter, malgré les mouvements citoyens de protestation qui ont eu lieu à l’entame des travaux, en mars 2008. “La balafre”, comme l’appellent les membres du collectif “SOS parc en danger !”, est là, bien évidente, dans ce bel ensemble, à proximité du parc animalier à hauteur du PK 412.

Long de 7 km, selon les indications du panneau, cet empiètement, qui traverse une zone humide et instable, devrait être livré dans quelques mois. “Ce tronçon a coupé en deux le parc naturel, et c’est là qu’est le grand danger pour l’environnement. Qu’on le veuille ou non, cet empiètement autorisé va fragmenter l’aire protégée, et cela va à l’encontre de l’esprit même du concept de parc national, un outil de gestion censé protéger, préserver in situ l’environnement, la faune et la flore. L’effet de fragmentation est forcément néfaste pour la nature avec le défrichement qui va avoir lieu, tous les spécialistes le savent.

Nous, en tant que collectif, nous ne voulions pas axer notre action de protestation sur cet argumentaire, qui aurait abouti sur un débat scientifique sans fin. Nous avons exigé l’application de la loi et le respect du statut du Parc national, qui stipule qu’il n’y a pas de voie à grande circulation à l’intérieur d’une aire protégée, mais rien n’y a été fait. Ils ont eu le dernier mot”, s’indigne encore notre guide, qui a été de ce combat aussi. Une position que n’agréent pas les habitants des mechtas riveraines de cet axe routier, qui perçoivent cette autoroute comme une aubaine.

“La transmaghrébine va amener beaucoup d’automobilistes jusque chez nous. Elle donnera l’occasion aux jeunes des agglomérations d’Asfour, de Aïn Assel et d’Elfrin de trouver du travail à proximité, au lieu d’aller en chercher à Bouhadjar ou à El Hadjar. Ce projet est au contraire porteur de progrès dans notre région”, soutient Farid M., un enseignant résidant à Dréan, commune d’où part le dernier tronçon de l’autoroute A1.

Nous aurions aimé savoir où en est le projet d’extension marine du Parc national d’El-Kala (PNEK), dont le plan de gestion a été élaboré, en 2004, dans le cadre du Projet régional pour le développement d’aires marines protégées dans la région méditerranéenne, mais il n’a pas été possible d’entrer en contact avec la directrice du PNEK, constamment occupée. Des sources qui ont requis l’anonymat nous ont toutefois affirmé que ce plan initié en 2014 est resté au fond d’un tiroir, malgré son importance.

La zone côtière marine du Parc national d’El-Kala présente en effet la particularité de combiner, dans un étage bioclimatique humide, l’interface d’un écosystème forestier, lacustre et marin. Elle comprend une richesse faunistique et floristique exceptionnelle : grandes roselières entrecoupées d’aulnaies, macrophytes, espèces boréales et tropicales, poule sultane, fuligule morillon, foulque macroule et autres espèces avicoles nicheuses ou migratrices, expliquent nos sources.

“La frange marine du Parc national d’El-Kala avait fait l’objet d’investigations à travers deux études visant à étendre le parc terrestre déjà existant à son domaine marin, en 1990 et en 1997. À l’époque, la priorité avait été accordée aux zones géographiques non étudiées lors des précédentes missions. En outre, un intérêt particulier a été porté à l’inventaire de la faune et de la flore des substrats durs et à la répartition des herbiers à Posidonia oceanica. Mais on en est resté là”, confie l’un de nos interlocuteurs.

Au terme de cette percée sylvestre, nous atteignons la vieille Calle et sa plage de sable fin à l’embouchure de la lagune Mellah, en plein cœur du Parc national. Là, nous nous émerveillons à la vue de la grande bleue baignant une anse parfaitement incrustée dans un écrin de chênes-lièges et de sous-bois avec au loin, à l’ouest, le cap Rosa. Notre surprise ne s’arrêtera pas là, car notre guide se fera un devoir de nous faire visiter les ruines et les remparts du fameux Bastion de France, qui surplombe le site.

Parfaitement documenté, il nous raconte dans quelles circonstances a été bâti, entre 1628 et 1633, ce fortin par Sanson Napollon, l’un des descendants de la famille Lenche, ces Corses propriétaires du comptoir commercial qui avaient fait fortune, à l’époque, dans la pêche et le négoce du corail d’El-Kala et de Béjaïa. Nous apprendrons ainsi comment “la Magnifique Compagnie du corail” a pu se faire délivrer cette concession par le dey d’Alger, en 1550.

Cette halte enrichissante nous permet, par ailleurs, de découvrir, outre la multitude d’essences, qui font la particularité du PNEK, le genévrier de Phénicie, un arbre à croissance très lente, qui a la particularité de pousser sur les sols rocailleux, d’où sa plantation en abondance tout autour de la vieille Calle, au grand bonheur des estivants, qui s’en servent comme parasol naturel.


Réalisé par A. Allia
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)