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Algérie - Mohammed Bellatrèche. Docteur d’Etat en écologie: La décision de la réouverture de la chasse paraît être beaucoup plus politique qu’écologique



Algérie - Mohammed Bellatrèche. Docteur d’Etat en écologie: La décision de la réouverture de la chasse paraît être beaucoup plus politique qu’écologique


- Le 12 septembre, lors de l’installation du Conseil supérieur de la chasse, le ministre de l’Agriculture a annoncé la réouverture pour le 15 septembre. Une annonce tombée comme un couperet après 25 ans de fermeture. Comment expliquez-vous cette décision qualifiée d’historique par le ministre?

Le ministre de l’Agriculture a annoncé la réouverture de la chasse trois jours seulement après la réunion du Conseil supérieur de la chasse. Ce délai est très court, et il y a un problème, voire incohérence après une suspension qui a duré 28 ans. En temps normal, l’ouverture doit être précédée par un certain nombre de mesures: l’information à tous les acteurs concernés par la chasse (fédérations et associations de la chasse, les wilayas et les APC, les forêts, les médias et les citoyens), car la chasse est une activité très importante dans la vie d’un pays. La première loi sur la chasse de 1982, un arrêté du ministre chargé de la chasse est rendu public au moins un mois avant la date d’ouverture effective.

«Dans la nouvelle loi de 2004, cette disposition n’est pas assez claire. L’article 33 énonce «les modalités d’application des conditions d’exercice de la chasse sont fixées par voie réglementaire.» Mais ces modalités n’ont pas encore été portées à la connaissance des parties concernées. Par exemple, celles énoncées dans l’article 6 «les différentes espèces concernées par la chasse, le nombre de pièces de gibier susceptibles d’être abattues par chasseur, par journée de chasse, et par région de chasse, les conditions de transport, de colportage, de vente, d’achat, d’importation et d’exportation du gibier».

Les détenteurs des 5.000 permis de chasse déjà délivrés sont-ils informés quant à décision de réouverture de la chasse en Algérie, elle nous paraît être beaucoup plus politique qu’écologique, et personnellement je trouve discutable le caractère «historique» de cette décision.

- La loi de la chasse date de 2004, promulguée pendant la fermeture, et qui modifie celle de 1982, n’a jamais été mise concrètement en application. On dit qu’elle a aurait été modifiée pour autoriser la chasse des étrangers dite «touristique», brèche qui a surtout justifié la présence des émirs du Golfe qui braconnaient des espèces protégées. A votre avis, 16 ans après, cette loi contient-elle encore des incohérences?

La loi de 2004 a été promulguée pour «combler les insuffisances de la loi de 1982. Elle énonce un certain nombre de principes directeurs, comme les règles et les conditions de l’exercice de la chasse, l’organisation des groupements de chasse», La mise en place des institutions et des instruments susceptibles d’assurer la protection, le développement du patrimoine cynégétique national. Seize ans après sa promulgation, la loi de 2004 se caractérise par certaines avancées mais aussi par des incohérences. Je ferai trois remarques

Premièrement, les modalités d’application des conditions d’exercice de la chasse sont méconnues du grand public parce que non relayées par les canaux d’information.

Deuxièmement, la «chasse touristique» est pratiquée partout dans le monde et dans le Maghreb. En Algérie, durant les années 1980, il y avait une chasse réservée aux étrangers, pour un seul gibier: le sanglier. Seulement il se trouve que cette ouverture a entraîné des prélèvements excessifs effectués depuis plusieurs décennies par des chasseurs de pays «amis» du Moyen-orient qui perpètrent un véritable massacre du gibier et pas seulement, car ces «invités» ne se limitent pas à chasser «l’outarde houbara» espèce protégée par décret et par ordonnance présidentielle, mais ils tirent sur d’autres espèces protégées, comme les gazelles,le mouflon à manchettes et les rapaces diurnes ou et même sur le loup africain (chacal).

Troisièmement, l’introduction de la «chasse à courre» dans la loi de 2004 me semble en contradiction avec nos traditions de chasse en Algérie et dans le Maghrébin, ce type de chasse été abandonné par plusieurs pays de par le monde. Une pratique du Moyen-âge européen, réservée aux seigneurs et plus tard à l’aristocratie. Elle demande des moyens particuliers comme une meute de chiens conduits par plusieurs personnes,des chevaux, des rabatteurs et des sonneurs de cors. Le gibier poursuivi jusqu’à épuisement total est achevé à l’arme blanche. J’imagine mal ce genre de cavalcades dans nos campagnes.

La loi de 2004 autorise encore «la passée» c’est le meilleur moyen d’en finir avec les populations d’oiseaux d’eau. Cela consiste à tirer au vol sur le gibier lorsqu’il entre ou sort de son reposoir. Les chasseurs se mettent sur des endroits élevés du passage et provoquent des hécatombes sur les oiseaux qui passent à quelques mètres au-dessus du sol.

- Des amoureux de la nature et protecteurs des animaux nous ont fait part de leur crainte de voir se multiplier les massacres de la faune avec, en plus des braconniers, ces milliers de nouveaux fusils lâchés dans la nature, ceci malgré les garde-fous prévus par la loi. Qu’en pensez-vous?

La crainte des amis de la nature est légitime. Le braconnage est l’un des principaux facteurs de menace sur la faune sauvage en Algérie. Cette pratique illégale a toujours existé mais n’a jamais pu être contrôlée en Algérie. Elle concerne plusieurs régions du pays. A cause du braconnage,deux espèces remarquables de mammifères ont été exterminées durant les années 1970: l’Addax à nez maculé et l’Oryx dammah.



Par Slim Sadki


Bio-express

Docteur d’Etat en écologie et titulaire d’un magistère en agronomie, le Pr Mohammed Bellatrèche a pris sa retraite après un demi-siècle d’études et d’enseignement à l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ex- INA d’El-Harrach). Il a enseigné la cynégétique et il est expert en écologie. Il a mené des recherches sur la faune et l’ornithologie dont il est par ailleurs un pionnier. Auteur de plusieurs publications internationales et nationales, il a collaboré avec l’Unesco au programme MAB (l’homme et la biosphère).
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