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Algérie - MOHAMED HENNAD, POLITOLOGUE: “Le mouvement populaire est inscrit dans la durée”


Algérie - MOHAMED HENNAD, POLITOLOGUE: “Le mouvement populaire est inscrit dans la durée”


Professeur en sciences politiques à l’Université d’Alger, Mohamed Hennad est parmi les rares intellectuels qui s’expriment sans détour sur la situation politique du pays. Dans cet entretien, il s’exprime sur le maintien de la mobilisation populaire face à un pouvoir ”qui veut se maintenir”.

- Liberté: Les Algériens célèbrent une année du hirak. Malgré la tenue de l’élection présidentielle et les multiples annonces du pouvoir, la mobilisation ne baisse pas. Comment expliquez-vous cela?

Mohamed Hennad: Justement, c’est à cause de l’élection présidentielle imposée et de la tendance continue du pouvoir de décider seul que la mobilisation ne baisse pas.

Le moins que l’on puisse dire est que le hirak a fait, tout au long de l’année écoulée, preuve d’une persévérance incroyable et d’une lucidité infaillible, et ce, malgré les diverses manœuvres du pouvoir! Celui-ci pensait qu’organiser une élection présidentielle au pas de charge finira par imposer un fait accompli dont le mouvement populaire prendra note et essaiera de faire avec.

Mais c’était compter sans la profonde conscience du mouvement populaire, lequel s’est fixé comme ultime but le dégagement de tout un système autoritaire et corrompu, et non pas se contenter de la disparition de quelques-unes de ses figures ou de quelques mesures à effets d’annonce. Le hirak a toujours eu conscience du fait que le pouvoir en place allait tout essayer pour se maintenir, quitte à sacrifier quelques-uns des siens. C’est même dans l’ordre des choses!

Par ailleurs, il faut attirer l’attention, tout particulièrement, sur un slogan scandé durant la marche d’hier. Les marcheurs criaient “Ce n’est pas une fête, c’est une marche”, en réponse au cynisme du pouvoir qui avait décidé de célébrer le premier anniversaire du hirak comme si celui-ci était le sien! Il faut se rendre à l’évidence que cette décision a été une manœuvre grossière de folklorisation du mouvement populaire, lequel demande, justement, le dégagement du système. Cette manœuvre du pouvoir démontre aussi la perception que celui-ci a des citoyens qu’il a toujours pris pour des simples d’esprit.

La marche de ce 53e vendredi et celle du samedi marquant le premier anniversaire du hirak (deux jours de suite) indiquent, clairement, que le mouvement populaire s’inscrit dans la durée pour imposer le changement escompté. En outre, pour ceux qui craignent la routinisation du hirak ou doutent de sa force, la marche anniversaire de ce samedi porte un message tout à fait particulier à travers la tentative de se diriger vers le palais présidentiel. Cela pourrait être le prélude à un changement qualitatif dans le mouvement populaire. Espérons que le pouvoir va bien comprendre le message.

- Depuis deux mois, le pouvoir s’efforce de répondre “aux revendications du hirak”.A-t-il les moyens de changer le système?

Pour ma part, je ne pense pas que le pouvoir s’efforce, depuis la dernière élection, de répondre aux revendications du hirak, loin s’en faut! Il s’efforce plutôt à se maintenir en opérant certains ravalements de façade!

Pour vraiment répondre à ces revendications, il lui aurait fallu, justement, surseoir à cette élection le temps d’arriver à un minimum de consensus national. Au lieu de cela, le pouvoir, incarné par le haut commandement des forces armées, décida unilatéralement l’organisation de cette élection pour laquelle il a, par la suite, instauré un “panel de dialogue et de médiation” qui n’en était en fait pas un !

Par ailleurs, la révision de la Constitution que le pouvoir considère comme la “priorité des priorités” n’a jamais constitué une revendication du hirak, lequel se suffit déjà des articles 7 et 8 de l’actuelle Constitution dont il continue d’exiger l’application depuis une année.

- Le départ de certaines figures du régime Bouteflika n’a pas dévié les manifestants de la revendication principale: “Yetnehaw gaâ.” À quoi cela peut-il renvoyer concrètement?

Cela signifie que le hirak est bien conscient du fait que la simple disparition de certaines figures ne signifie pas, pour autant, la disparition du système. En effet, plusieurs faits indiquent la continuité des anciennes pratiques politiques, telles que le black-out décrété contre le hirak, les restrictions imposées aux manifestants, les barrages insupportables dressés sur l’autoroute pour décourager les gens à rejoindre la capitale, ou encore les interdictions dont font l’objet des rencontres citoyennes, à l’image de la Conférence nationale des dynamiques de la société civile et activistes du hirak prévue pour le jeudi 20 février 2020.

Cela étant, d’aucuns se posent beaucoup de questions quant à la manière de réaliser ce “Yetnahaw gaâ”.

Il faut se rendre à l’évidence que cela reste possible pour peu que le pouvoir actuel se convainque de la nécessité de travailler, ensemble, avec les forces politique et sociale du pays en vue de s’entendre sur une procédure pour y parvenir. Il y va de l’avenir du pays!

- Le slogan “État civil et non militaire” semble être carrément ignoré par le pouvoir. Quel peut être le rôle de l’armée dans l’Algérie nouvelle qu’appellent de leurs vœux les millions de manifestants?

Je considère ce slogan comme le plus important de tous les autres parce qu’il met en évidence la source du problème.

Il va sans dire que l’Algérie ne retrouvera sa sérénité et ne pourra aller de l’avant qu’après une retraite franche de l’institution militaire de la politique.

On n’a de choix que d’œuvrer, avec détermination, dans ce sens, au lieu de continuer à faire l’éloge de l’armée comme s’il s’agissait d’une divinité dont dépendrait notre sort!

Quant au rôle qui pourrait être celui de l’armée dans l’Algérie nouvelle, il est évident qu’il restera toujours celui de la défense nationale sous une autorité civile élue. Car même la défense nationale est une affaire trop importante pour être confiée aux seuls militaires!


Entretien réalisé par : A. Boukhlef


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