Algérie - Ecologie

Algérie - LE PATRIMOINE SUBIT UN PILLAGE INTENSIF: Menace sur les forêts jijeliennes


Algérie - LE PATRIMOINE SUBIT UN PILLAGE INTENSIF: Menace sur les forêts jijeliennes


Le massif forestier de Jijel ne cesse de subir des agressions en tous genres. En plus des incendies qui ravagent des centaines d’hectares chaque année, des bandes organisées pillent le liège, réduisant dangereusement la production de cette matière.

L’agression dont a été victime une brigade de gardes forestiers par une bande de trafiquants de liège, lors d’une opération de contrôle, quelques jours avant la fin du mois sacré du Ramadhan, a remis au goût du jour le phénomène du pillage du patrimoine forestier à Jijel. Cette attaque n’est qu’un échantillon des agressions directes ou indirectes dont est la cible le patrimoine forestier de la région.

Ainsi, en dépit des efforts consentis par la Conservation des forêts pour entretenir et surtout reproduire cette richesse, on ne fait que constater les dégâts causés à la forêt jijelienne, de surcroît l’une des plus denses et des plus riches en liège à l’échelle nationale. La superficie de cet espace forestier de la région est estimée à 137.457 hectares, soit 57% de la surface globale du territoire de cette wilaya.

Le chêne-liège, l’espèce la plus répandue, occupe 78.324 hectares et le reste des espaces forestiers est couvert par des espèces aussi diverses que le chêne-zen, le pin maritime et d’autres espèces. Chaque année, des superficies entières sont décimées par de multiples phénomènes. Le fléau le plus ravageur reste les incendies de forêt, qui emportent en moyenne, chaque année, lors de la période caniculaire, quelque 1.200 hectares, dont 900 ha de chêne-liège.

L’inexorable avancée du béton complète le massacre porté aux surfaces forestières, pourtant protégées. À elle seule, cette avancée a englouti dans son sillage de vastes espaces à la périphérie des villes et des agglomérations rurales. C’est ce qu’on constate au quotidien, à la vue de ces chantiers d’habitation, lancés souvent au grand mépris des règles de l’urbanisme, qui prennent forme à la place de la forêt qu’on décime. Le cas des nouveaux sites d’habitation de Mezghitane, à Jijel, et d’Asserdoune, à El-Milia, est le parfait exemple de cette urbanisation qui grignote sans arrêt les zones forestières.

Le défrichement, les activités illicites dans ces espaces, le vol et l’exploitation illégale des produits forestiers sont entre autres phénomènes qui s’ajoutent à cette agression, rendant difficile la sauvegarde de ce patrimoine. À cela s’ajoute encore une autre activité dévastatrice par laquelle des personnes sans scrupules déciment les arbres pour la fabrication du charbon de bois, avec une cadence qu’il est difficile de renouveler. D’importantes quantités, issues du charbonnage illégal, sont vendues à des restaurants et des hôtels à prix d’or.

La multiplication des saisies et les opérations régulières de contrôle effectuées par des gardes forestiers n’ont pas dissuadé ceux qui pratiquent ce massacre et qui ruinent davantage cette richesse naturelle. En 2019, selon des données de la Conservation des forêts, 178 sacs de charbon ont été saisis. Pour tenter de mettre un terme à cette pratique, une opération de sensibilisation a été lancée en milieu rural sur les effets sur la forêt de la fabrication du charbon.

Durant la même période, cette opération a permis la fabrication de 8.151 sacs par 15 personnes qui ont été agréées dans cette filière. Dans le registre de l’exploitation du liège sans autorisation, 24 affaires ont été enregistrées cette même année 2019. Durant cette année, l’exportation de cette matière en direction du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de la Chine, de l’Inde et de la France a permis de rapporter la somme de 3.211.585 euros.

Le liège exporté est apprécié pour sa qualité dans l’industrie, notamment dans la fabrication de rondelles et du bouchonnage, comme le fait remarquer, Mohamed El Hadi Kadjour, expert dans le domaine forestier et chargé de communication à la Conservation des forêts de la wilaya de Jijel. Notre interlocuteur note que depuis l’attaque des gardes forestiers, la filière d’exportation du liège a été revue.

“Aucune quantité de liège ne sera plus exportée sans être supervisée par nos services”, assure-t-il.

À ce titre, indique-t-il, une réunion a été récemment tenue, juste après cette attaque, en présence des services de la Conservation des forêts, des douanes, de sécurité et du commerce, ainsi que de la Chambre de commerce afin de mettre au point un mécanisme pour suivre la traçabilité de toute opération d’exportation. Cette mesure a été prise pour mettre un terme à des filières clandestines d’exportation en usant du subterfuge de la transformation du liège en granulés.

Durant l’année 2019 et jusqu’au premier trimestre de l’année en cours, 470 sacs de liège granulé ont été saisis. Pendant ce temps, des initiés déplorent une atteinte à l’équilibre écologique de la région et avertissent que “bientôt elle deviendra invivable” par la multiplication de la construction des barrages et son impact sur l’environnement dont l’augmentation du taux d’humidité parallèlement à cette forêt qu’on détruit.

Un de ces initiés, industriel du liège de son état, fait d’ailleurs un constat des plus alarmants sur les atteintes répétées aux espaces forestiers et leur impact sur l’écosystème et la baisse de production de cette matière, à Jijel, et d’une manière plus globale en Algérie. Pendant que des pays comme le Portugal et l’Espagne, qui souffrent des mêmes aléas, des incendies chaque année, parviennent, soutient notre interlocuteur, à se maintenir aux premiers rangs des producteurs de liège, l’Algérie voit sa production baisser drastiquement.

À Jijel, cette production est en constante baisse, atteignant actuellement des chiffres dérisoires par rapport à ce qu’elle était avant. Avant les grands incendies du début des années 1980, le liège produit à Jijel et dans le grand massif de Collo représentait 60% de toute la production en Afrique du Nord, selon cet industriel, qui se targue d’avoir une longue expérience dans la filière qui s’étend sur une trentaine d’années. Celui-ci note qu’un enchaînement d’événements a contribué au coup fatal porté à cette richesse à Jijel, mais aussi dans les autres régions du pays.

À commencer, regrette-t-il, par les grands incendies des années 1980, suivis par l’avènement de la décennie du terrorisme et, enfin, remarque-t-il encore, la mise en place d’une politique qui a tout achevé sous le règne de l’ex-président. Durant toutes ces décennies, les multiples tentatives de reproduire les surfaces de liège, selon le même interlocuteur, ont subi un cuisant échec.

Les chiffres sur l’emploi dans le secteur du liège, selon la même source, sont révélateurs de cette politique et de ces événements qui ont rendu la production du liège à Jijel quasi insignifiante par rapport à ses capacités forestières d’avant. Jusqu’à 2002, le secteur du liège employait, si l’on se fie aux chiffres avancés par cet industriel, jusqu’à 5.000 personnes, pour atteindre actuellement quelque 500 travailleurs employés dans la filière de cette industrie. Pour ce dernier, la revalorisation de cette filière passe par l’implication de l’investissement privé dans un secteur confié actuellement à la seule prérogative des entreprises régionales de génie rural.

Selon les statistiques de la Conservation des forêts dans le domaine concernant la récolte et la production du liège, on les estime, selon Mohamed El Hadi Kedjour, à une moyenne de 12.000 q par an. En 2019, les quantités produites, qui sont encore en cours de transport, selon notre interlocuteur, sont estimées à 14.619 q. Pour les quantités saisies, elles sont de l’ordre de 186 q.

Ces saisies ont été menées lors de 18 opérations menées dans les massifs forestiers de la wilaya. Au-delà de ces chiffres, la sauvegarde de la forêt à Jijel, qui est de plus en plus en péril, devient une mission des plus délicates. D’abord par l’importance de la surface forestière à surveiller et à protéger, ensuite par le nombre également important des mechtas éparpillées dans cette forêt et des communautés qui y vivent.

Le manque de moyens et d’un personnel suffisant, pouvant assurer la mission de sauvegarde et de protection des massifs forestiers, est l’un des plus importants aléas qui rendent difficile cette mission. Cela dit, et pour faire impliquer les communautés vivant dans la forêt dans sa protection, des programmes sont en cours d’élaboration, notamment à la faveur du recensement des zones d’ombre.

Pour la reproduction de la forêt, les programmes lancés peinent à donner leurs fruits, même si 633.000 plants de chêne-liège ont été plantés en 2019. Pour voir ces plants tenir, il faut attendre au moins quatre ans, indique-t-on à la Conservation des forêts, une période au cours de laquelle un nombre important de ces plants se perd sous les coups de boutoir des multiples contraintes sus-énumérées. Sans une prise de conscience pour sauvegarder toute cette richesse à Jijel, c’est ce patrimoine forestier, qu’on assimile à de l’or vert, qui risque de disparaître, avec ces incessantes activités illicites et destructrices que des mains criminelles n’arrêtent pas de mener.

. Les agresseurs des gardes forestiers arrêtés

Six suspects d’une bande composée de huit individus impliqués dans l’agression de gardes forestiers, il y a deux semaines, ont été arrêtés par des éléments de la brigade de la Gendarmerie nationale d’El-Milia. Deux autres individus composant cette bande d’agresseurs demeurent en fuite.

À rappeler que, lors d’une opération de contrôle dans la région, un groupe de gardes forestiers a été agressé par une bande de pilleurs de liège encagoulée et munie d’armes blanches. Lors de cette agression, le véhicule à bord duquel se trouvaient les agents forestiers s’est renversé et, fort heureusement, aucune victime n’a été enregistrée.



Photo: Des centaines d’hectares de forêts ravagés chaque année par les incendies. © D. R.

Reportage réalisé par ZOUIKRI AMOR
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