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Algérie - Lakhdar Bouregaâ. Ancien chef militaire de la wilaya IV historique: «Le peuple a prouvé sa maturité»


Algérie - Lakhdar Bouregaâ. Ancien chef militaire de la wilaya IV historique: «Le peuple a prouvé sa maturité»


C’est toujours un plaisir de discuter avec Lakhdar Bouregaâ et pas seulement pour son humour sarcastique ou ses succulentes anecdotes. Il suit l’actualité au jour le jour. Le Commandant Lakhdar, son nom de guerre, a été au cœur de la lutte de Libération nationale dès 1956 à la wilaya IV.

Député dans la première Assemblée nationale, il s’oppose à l’armée des frontières et le paiera chèrement. Comme il a croupi en prison de 1967 à 1975 à la suite du coup d’Etat avorté de Tahar Zbiri. Si Lakhdar a été fondateur du FFS en 1963. Auteur d’un livre au titre significatif, Témoin de l’assassinat de la Révolution, Si Lakhdar n’est guère enchanté par la manière dont est dirigé le pays. Il le dit haut et fort dans son domicile sur les hauteurs d’Alger.

- Quel est votre sentiment après les manifestations qui ont eu lieu le vendredi 22 février?

Mon constat est que ce mouvement émane du peuple, sans tutorat, sans manipulation, et ce qui est encore extraordinaire, sans leader ni guide! Le message que j’ai compris me renvoie à un vieil adage: «Arrêtez le mal avant qu’il n’existe, calmez les esprits avant qu’ils n’éclatent.» J’ai observé que les esprits étaient calmes, mais les citoyens en ont ras-le-bol. Le fait que plusieurs citoyens sont sortis dans plusieurs régions du pays est un signe fort.

Et ce qui l’est davantage, c’est que les gens ont marché d’une manière civilisée, pacifique et conviviale, assurément pas comme certains l’appréhendaient. On comprend par là qu’il n’y a pas de mauvais citoyens. Le pouvoir considérait tous ceux qui n’adhéreraient pas à ses thèses comme des perturbateurs, voire comme des traîtres.

Il s’avère donc qu’il n’y a pas de mauvais citoyens, mais de mauvais dirigeants. La deuxième chose, et qui à mes yeux est importante, c’est qu’il n’y a pas de meneurs. Les partis politiques sont mis à nu et démasqués par l’opinion publique.

On voit que le peuple qui va vers son destin n’est actionné par qui que ce soit. Car le peuple a constaté que ce sont ces partis, dits d’opposition, qui sont la cause principale de la continuité du système politique actuel.

Pourquoi? On a vu l’épisode des rencontres de Mazafran et celle, récemment, où ils ne sont pas arrivés à dégager un consensus autour d’un seul représentant pour l’élection présidentielle.

Ils n’ont pas pu le faire lorsque les conditions étaient propices, comment le peuvent-ils dans l’urgence et la précipitation? Ces partis ne sont que des coopératives politiques. Ils ont pondu un communiqué pour appeler à une réunion à une date indéterminée!

- Est-ce que, selon vous, les revendications vont au-delà du 5e mandat?

Ce qui est demandé aujourd’hui, c’est que l’Algérie sorte des crises multidimensionnelles générées par une gestion catastrophique. Que ce soit aux plans socioéconomique, moral, financier ou sécuritaire. La crise est incarnée par un groupe qui s’est constitué autour du frère du Président qui n’a pas de fonction institutionnelle, sinon celle de conseiller du Président.

Du point de vue de l’opinion, c’est lui qui est à l’origine de l’essentiel des décisions, suppléant son frère malade. Aussi, je suis d’accord pour dire que ce n’est pas le 5e mandat, mais le 2e mandat de Saïd Bouteflika.

Je suis d’accord avec l’auteur de cette thèse.

- Pensez-vous que les réseaux sociaux, malgré les tentatives de les bloquer, ont été décisifs dans la mobilisation des masses?

Ces réseaux, pour désigner le pouvoir, l’affublent de mafia politico-financière. Je pense que c’est la seule mafia au monde qui a une Constitution interchangeable en fonction des humeurs et des appétits, et qui est reconnue par les instances internationales.

- Ne pensez-vous pas que les partis n’ont pas pu jouer leur rôle, car «encadrés» et parfois brimés?

Notre multipartisme, si tant est qu’il existe chez nous, n’a rien à voir avec ce qui se fait de par le monde. En réalité, il n’y a que deux partis en Algérie. Le premier est incarné par le système politique, son administration, ses moyens et son pouvoir, ainsi que son despotisme. Le second parti, qui n’a pas encore reçu son agrément, ce sont les fortunes mal acquises, la corruption généralisée et démocratisée.

On pensait à l’époque, même si on était en porte-à-faux avec nos convictions, que ce n’était qu’une tempête passagère. Moi aussi je veux transmettre les appréhensions de la rue, abasourdie par les scandales de corruption, de drogue, révélées chaque jour par la presse.

Pourquoi le Président n’a pris aucune décision concernant cette catastrophe? S’il ne le sait pas, la catastrophe est encore plus grave! Ce second parti a pour ennemi principal la transparence. Il n’est pas contrôlé et encore moins ne rend pas des comptes devant le peuple.

Aussi, comment peut-on concevoir que des gens qui étaient considérés comme des traîtres à la nation, accusés d’intelligence avec des puissances étrangères incarnées, sont devenus du jour au lendemain des responsables officiels d’entreprises économiques importantes et vitales?

- Pensez-vous que ce frémissement est plus qu’un signal?

Pour moi, le problème du Président est un problème humanitaire. Il est malade, inconscient et je lui souhaite la guérison. Mon reproche va aux gens qui l’entourent (Ahl el beit), occupant des postes sensibles, qui sont connus et qui doivent quitter les commandes. Ce que je veux dire aussi, c’est que ce pouvoir a peut-être tous les défauts, sauf un: il n’est pas imbécile.

A chaque échéance électorale, il nous répète la même rengaine en nous donnant l’espoir que la prochaine élection sera celle de l’instauration de la vraie démocratie. Le peuple n’est pas dupe, contrairement à ce que pensent ses dirigeants.

Ce peuple s’est soulevé aussi parce que les promesses n’étaient que du vent. Lors du 4e mandat en 2014, Sellal n’avait-il pas promis que Mascara allait devenir une seconde Californie? Ce même Sellal n’avait-il pas fixé l’allocation voyage à 500 euros? Qu’en est-il de tout cela en 2019? Rien.

- L’hégémonie du FLN comme parti constitue le socle du pouvoir. Qu’en pense le moudjahid qui a combattu sous la bannière de ce parti?

J’ai dit à maintes occasions que le FLN symbole avec son projet a pris fin à Tripoli en 1962. L’actuel parti FLN s’est constitué sur les décombres du Front historique. Le FLN a vu son aventure terminée lors du coup d’Etat de 1962. La preuve? Ils sont restés de 1962 jusqu’au 16 avril 1964 pour organiser le premier congrès du parti FLN au cinéma L’Afrique à Alger, avec ce slogan: la réorganisation du FLN.

C’était fini et définitivement pour le Front historique détenteur du projet de la Révolution pour laisser place à un parti comme les autres, dont certains s’escriment à toujours laisser planer l’amalgame pour tromper l’opinion et jouer sur sa fibre patriotique.

Ces militants sincères, et il en existe fort heureusement, dénoncent cette supercherie, car ils savent que le FLN dont ils tirent leur fierté est celui qui a été à l’avant-garde des mouvements de libération qui ont accédé à l’indépendance bien avant que l’Algérie ne recouvre la sienne!

- Pour conclure?

Je crois que le mouvement constaté lors de ces marches est un signe de vitalité et de citoyenneté, car, hélas, en Algérie la citoyenneté est devenue une fonction et non une qualité qui n’est pas accessible à la grande majorité.

Il faut que les Algériens se réapproprient leur citoyenneté pour une société homogène, apaisée et engagée pour relever les difficiles défis qui l’attendent…


Propos recueillis par Hamid Tahri
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