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Algérie - Kamel Eddine Fekhar. Défenseur des droits de l’homme «J’ai été emprisonné pour mes idées»




Algérie - Kamel Eddine Fekhar. Défenseur des droits de l’homme «J’ai été emprisonné pour mes idées»




- D’abord, comment va le moral après ces deux années de détention?

Ces deux années passées derrière les barreaux sont une expérience dure, très dure et très amère. C’est une injustice sur base de racisme. Et quand ça vient de tes propres concitoyens et des responsables de l’Etat, c’est encore plus amer. Cela m’a poussé à réfléchir sur beaucoup de choses et des remises en question.

Mais, fort heureusement, j’ai pu tenir grâce au précieux soutien de ma famille, des militants en Algérie et ailleurs, surtout amazighs et les avocats, à leur tête Me Salah Debouz. Cette période carcérale m’a appris que le combat pour les droits de l’homme, la démocratie, la citoyenneté et les libertés pour tous les Algériens sans exception sont une obligation morale. Un combat nécessaire qui vient dans la continuité de la lutte pour l’indépendance.

- Quelles étaient les conditions de votre détention?

Au début, j’ai subi un acharnement pendant presqu’une année. J’ai été dans un isolement total. J’ai été dans le pavillon réservé aux criminels dangereux, sans le droit de parler à aucun prisonnier et les prisonniers n’avaient pas le droit de me parler. Je n’avais pas le droit non plus de parler à mon propre frère qui était aussi dans la même prison à El Ménéa.

C’était dur à supporter. C’était intenable psychologiquement. J’ai vécu cela comme une torture morale intense. On a voulu me pousser à la folie ou autre chose. Je dois vous avouer que durant les premières semaines, j’avais peur pour ma vie. A la prison d’El Goléa, au moindre bruit pendant la nuit je sursautais, paniqué, avec la peur qu’il m’arrive un malheur. J’avais peur tout le temps.

- On vous a accusé de porter atteinte à la souveraineté du pays, à l’unité nationale et d’autres faits d’une extrême gravité. Comment avez-vous réagi à cela?

Ce n’est pas la première fois, j’en ai fait l’amère expérience en 2004 avec presque les mêmes chefs d’inculpation. Et d’autres cabales judiciaires avec l’affaire Bab Nedjar et celle où on a tenté de me coller une accusation d’avoir brûlé un véhicule de police en 2010. Mais cette fois, nous étions avec une vingtaine d’amis à avoir été arrêtés alors que nous étions en train d’accomplir la prière durant le mois de carême, on a braqué sur nous des kalachnikovs alors que nous sommes des militants pacifiques qui récusent fondamentalement la violence.

- Vous avez fait une longue grève de la faim qui a failli vous coûter la vie ; jusqu’où étiez-vous près à aller?

Ce n’était pas ma première grève de la faim. J’en avais entamé une dès mon arrestation en juillet 2015, et ce, pendant 22 jours pour protester contre les conditions de ma détention. Il n’y avait pas de prise en charge médicale alors que j’ai une maladie. Pendant cette grève, je n’ai été ni hospitalisé ni pris en charge médicalement. On a voulu me laisser mourir. Mais lors de la dernière grève, j’avais pris une décision irrévocable, j’étais près à mourir parce que je ne pouvais admettre le sort qui nous était réservé à moi et aux autres détenus. On a arrêté des gens parce qu’ils sont Mozabites.

Et si tu es mozabite et que tu fais partie d’un parti politique d’opposition ou d’une ligue de défense des droits de l’homme, c’est une circonstance aggravante. Comment peut-on arrêter des gens comme Kacem Soufghalem et Abouna Brahim, qui étaient des élus à l’APW de Ghardaïa, des élus respectés de tous pendant leur mandat ? On les a arrêtés parce qu’on les a vus dans une réunion légale de ligue des droits de l’homme.

C’est inacceptable. On a arrêté des gens pour le simple fait qu’on les a vus avec Fekhar. Pour moi, il fallait prendre une décision. Soit mettre un terme à cette inquisition, soit mourir. Je préfère mourir la tête haute que vivre comme un esclave. Il faut voir la vie dans les prisons de Ghardaïa et El Ménéa où dans une salle de 25 m2 on met 45 prisonniers dans laquelle on mange, on dort, on fait nos besoins naturels, nos prières.

Nous étions comme dans une boîte de sardines. Je vous épargne les agressions violentes et sexuelles contre des prisonniers sans aucune intervention des gardiens, c’est presque toléré. Et quand l’avocat a soulevé ce problème, au lieu d’ouvrir une enquête, le procureur a décidé de poursuivre l’avocat. Absurde.

- Vous pensez qu’on s’acharne sur vous parce que vous faites de la politique dans l’opposition?

Ma conviction est que depuis toujours il y a une volonté d’Etat contre Ghardaïa qui subit une violence répétée parce que nous sommes mozabites amazighs et ibadites. Je ne sais pas ce qui dérange le pouvoir. Est-ce parce que nous sommes ibadites ou amazighs, ou les deux à la fois ?

Une double peine. Les décideurs doivent savoir que les temps ont changé. Si cela était «possible» dans les années 1970, ce n’est plus le cas maintenant. Les jeunes Mozabites ne sont plus coupés du monde. Il n’y a plus cette emprise de notables que l’Etat désigne pour contrôler la société mozabite. Les jeunes Mozabites sont indépendants comme le reste des jeunes Algériens. Et c’est peut-être ça le tort de Fekhar. C’est d’avoir contribué à éveiller la conscience des jeunes Mozabites. Et si c’est l’accusation, je l’assume et ça m’honore. J’ai été emprisonné pour mes idées.

- La propagande politico-médiatique vous désigne comme étant un séparatiste. Voulez-vous réellement diviser le pays?

Au début, je n’ai pas pris au sérieux cette campagne, je n’avais pas saisi sa portée, mais finalement elle avait pour but de préparer le terrain et l’opinion publique pour m’arrêter. Quand le Premier ministre Sellal déclare avant mon arrestation que «Fekhar est fini», cela soulève beaucoup d’interrogations. Etre séparatiste ou ne pas l’être, là n’est pas la question. C’est un faux débat. La vraie question : existe-il des événements dramatiques à Ghardaïa ou non ? Il y a eu des crimes commis contre des civils punis par toutes les lois nationales et internationales.

Quand des agents en tenue officielle se comportent comme on l’a vu, c’est du racisme. Mais au lieu de s’occuper de cette dramatique situation, des médias à la solde du pouvoir se focalisent sur Fekhar et l’accusent de séparatisme. Les gens connaissent bien Fekhar. Que n’a-t-on pas dit de Moufdi Zakaria, moudjahid et auteur de l’hymne national parce qu’il s’était opposé au régime de Ben Bella-Boumediène et avait été contraint à l’exil. Vont-ils aller jusqu’à dire aussi que Moufdi Zakaria était un séparatiste?

- Que comptez-vous faire maintenant que vous avez retrouvé votre liberté?

Je vais d’abord retrouver mes enfants et ma famille, les embrasser et les serrer fortement dans mes bras. Ils me manquent terriblement. Je rends hommage aux amis qui m’ont beaucoup soutenu dans cette épreuve. Mais je profite de l’occasion pour lancer un appel à tous les Algériens pour œuvrer ensemble à l’instauration d’un Etat démocratique d’une façon pacifique, pour le respect des droits de l’homme, mais surtout pour la tolérance.

Une chose qui nous fait cruellement défaut. Je lance un appel à toutes les personnalités nationales indépendantes pour la mise en place d’une commission d’enquête sur les événements de Ghardaïa pour dire: plus jamais ça! Pour comprendre ce qui s’est passé et surtout pour que ça ne se reproduise plus.

Hacen Ouali

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