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Algérie - Incapable d’assurer leur gestion, le gouvernement en a cédé déjà plus d’une centaine aux privés. Fermes pilotes: Chronique d’un échec recommencé




Algérie - Incapable d’assurer leur gestion, le gouvernement en a cédé déjà plus d’une centaine aux privés. Fermes pilotes: Chronique d’un échec recommencé


L’Algérie ne tire pas profit de son bien le plus précieux: les fermes pilotes. Ces entités, au nombre de 162, renferment les meilleures terres arables du territoire national, dont la superficie dépasse les 160.000 hectares.

Elles ont été créées en 1990 dans le cadre de la restructuration des domaines autogérés de l’Etat afin «de développer la production agricole, garantir l’approvisionnement des agriculteurs en produits stratégiques et préserver le patrimoine génétique animal et végétal du pays». Vingt-huit ans plus tard, le bilan est mitigé.

Ces fermes, qui auraient englouti plus de 1.500 milliards de centimes, peinent à jouer le rôle qui leur a été dévolu par les pouvoirs publics. Elles n’ont pas, non plus, contribué à réduire la facture des importations de produits alimentaires, dont le montant a dépassé les 5,8 milliards de dollars durant les premiers mois de l’année en cours.

Aujourd’hui, des dizaines d’entre elles sont sous-exploitées, tandis que d’autres sont livrées à l’abandon et font face à l’avancée du béton.

«Au départ, elles étaient des Epic, mais certaines ont été transformées en EPE en 1998 alors qu’elles avaient continué à fonctionner comme des Eurl. C’est-à-dire, qu’elles ont une responsabilité limitée. Leurs gestionnaires successifs ont échoué parce qu’ils n’avaient pas la liberté d’entreprendre. Ils sont sommés à ce jour d’appliquer les orientations de la tutelle. Pas plus», explique un ancien cadre de la DSA de Boumerdès.

Au lieu d’imposer une gestion efficace et un suivi rigoureux de la situation de ces exploitations, le gouvernement décide d’accélérer le processus de leur privatisation.

En janvier dernier, le Conseil des participations de l’Etat (CPE) a autorisé l’ouverture du capital de 124 fermes pilotes, dont 43 sont placées sous le portefeuille du groupe Agrolog, 38 de Gvapro, 19 de Giplait et 33 de l’OAIC.

Arnaqueurs des biens de la collectivité !

La formule consiste, pour rappel, en la création de sociétés mixtes entre des entreprises privées (66%) et les EPE (entreprises publiques économiques) avec au moins 34% du total des actions. Entamée en 2010, cette nouvelle stratégie a pourtant donné de piètres résultats par le passé, notamment au niveau des 17 fermes (8.200 hectares), cédées dans le cadre du Partenariat public-privé (PPP) en 2013 pour un montant d’investissement global de 7,5 milliards de dinars. Les agriculteurs et les spécialistes qualifient certains partenariats de «véritables fiascos».

«Un investisseur, c’est celui qui apporte des moyens, un savoir, crée de l’emploi, apporte un progrès technologique, répond à des besoins nationaux, etc. On n’est pas dans ce cas de figure pour les fermes pilotes parties en partenariat avec des privés, exception faite à quelques nationaux, investisseurs au sens propre du terme. Le reste, ce sont des arnaqueurs des biens de la collectivité», estime un spécialiste sur un blog dédié aux fermes pilotes.

Abondant dans le sens, un autre écrit: «La majorité des investisseurs n’ont ramené aucun dinar pour faire les investissements programmés. ”Dekhlou batale” (ils sont rentrés sans le sou, ndlr) comme a dit un gérant. Ils investissent en vendant les productions des fermes. Drôle d’investisseurs !» Et à un autre au fait du dossier de renchérir: «D’après les gérants qui ont assisté la semaine passée à une réunion sur le partenariat, il n’y a que 4 investisseurs sur 17 qui ont réussi. Il paraît que les autres, donc 13 partenaires, ne sont que des bricoleurs. En plus, la majorité de ces nouvelles sociétés en partenariat (avec les fermes publiques) sont déficitaires. Allah yestar les fermes restantes.»

Lors de sa dernière réunion, le CPE a révélé que «seuls huit partenaires avaient respecté leurs engagements en réalisant les investissements prévus, tandis que 4 autres avaient reçu des mises en demeure pour n’avoir pas respecté les clauses du cahier des charges». Malgré cela, le gouvernement peine à revoir sa copie. Bien au contraire, il continue dans sa logique de bradage des biens de la collectivité.

Avant son limogeage en mai 2017, Abdelmalek Sellal avait signé une décision de cession de 25 fermes pilotes, d’une surface de 8.200 hectares, spécialisées dans l’arboriculture, la viticulture, l’agrumiculture, la semence de pomme de terre, l’oléiculture, l’élevage de bovin laitier. La décision avait provoqué alors une polémique.

M. Sellal a été soupçonné d’avoir favorisé des industriels et membres du FCE n’ayant ni expérience ni savoir-faire dans le domaine de l’agriculture. Pour justifier l’opération, le directeur de Gvapro, Mustapha Belhanini, a déclaré alors que «les fermes en question accusaient un déficit chronique vu l’absence d’investissement et un endettement fiscal et parafiscal qui dépasse les 40 milliards de dinars». M. Sellal ayant été limogé quelques jours après, son successeur, M. Tebboune, annule illico presto la décision, mettant fin au mécontentement des agriculteurs.

Inquiétudes chez les agriculteurs

Que ce soit à Bouira, Constantine, Tiaret ou Oum El Bouaghi, des agriculteurs ont protesté contre ce coup de force et demandé la préservation des fermes pilotes.

«Les privés se comportent comme de nouveaux colons», dénoncent des paysans d’une ferme pilote spécialisée en céréaliculture à El Khroub, Aïn Timouchent, soulignant que «leur exploitation est en bonne situation et n’a pas besoin de s’ouvrir à un nouveau partenaire. S’ils veulent investir, ils n’ont qu’à aller au Sud».

Contacté par téléphone, le secrétaire général de l’UNPA, Mohamed Alioui souhaite voir l’Etat garder le monopole des fermes «du fait qu’elles constituent le champ d’expérimentation pour les universitaires et les experts et le point de rayonnement des exploitations agricoles des régions où elles sont trouvent».

Plus offensif, le président de l’Association des maraîchers de Bouira, Messaoud Boudahane, avertit: «Si le gouvernement maintient sa décision de céder ces fermes aux privés, on va sortir dans la rue.»

En mai dernier, des agriculteurs de la région des localités de Aïn Bessam et El Hachimia ont manifesté contre la volonté de la mafia du foncier de s’emparer de leurs terres.

«C’est une aberration et une privatisation qui ne dit pas son nom. L’Etat détiendra 34% du capital alors que le privé en aura 66%. Pourquoi pas l’inverse ? Là, on aurait eu des garanties solides», dénoncent-ils.

Les appréhensions des agriculteurs ont été corroborées par le constat des experts ayant analysé, en juin dernier, les business plans de nombreux soumissionnaires.

«Ce qui se dégage des offres, c’est plus la volonté d’une bonne partie des soumissionnaires de s’accaparer des terres. Dans l’ensemble, les offres ne sont pas tout à fait en adéquation avec ce qui a été demandé dans les cahiers des charges, à savoir la production de semences, plants et géniteurs, et rares sont les soumissionnaires ayant proposé des business plans objectifs, en adéquation avec la vocation principale des fermes, ou encore logiques sur le plan agronomique et managérial», ont-ils souligné dans un rapport élaboré à la demande des hautes autorités du pays et dont le contenu a été révélé par El Watan.

Selon eux, «la question du partenariat est incomprise, en ce sens que les 66% devant être injectés dans le capital social sont confondus dans le montant global des investissements proposés». Maintenant, il reste à savoir si le gouvernement va revoir sa copie ou s’il ira jusqu’au bout de sa logique, quitte à aggraver la dépendance alimentaire de l’Algérie vis-à-vis de l’étranger et hypothéquer l’avenir des générations futurs.


Production laitière: La ferme de DBK en plein essor

«Quand on veut on peut», dit l’adage. Après des décennies de mauvaise gestion, la ferme pilote de Draa Ben Khedda, (DBK) dans la wilaya de Tizi Ouzou, commence à renaître de ses cendres. Elle se développe doucement mais sûrement. Créée en 1969 avec une surface de 219 ha, la ferme est spécialisée dans la production laitière. Elle dispose d’un grand bloc administratif et emploie 35 personnes, dont un vétérinaire et 3 ingénieurs. «On produit une moyenne de 3.000 litres de lait/j. L’objectif est d’arriver à 4.000 l/j. On a 300 vaches, dont 200 génisses acquises récemment. Il y en a qui produisent jusqu’à 40 l/j», précise la directrice de la ferme, Yasmine Selhi. Et d’ajouter: «Notre point fort, c’est le fourrage. On achète plus d’aliment. Notre objectif à court terme est la réalisation d’une seconde étable pour accroître notre cheptel, car on va acquérir 200 génisses prochainement.» Outre la production laitière, la ferme de DBK dispose d’importants vergers d’agrumes et d’oliviers. Elle est affiliée, depuis 2017, à la Société des fermes litières (Soflait), une filiale du groupe Giplait. Ce holding public a 19 fermes dans son portefeuille. Le gouvernement l’avait autorisé à en ouvrir 11 au partenariat avec le privé.


Ferme de Tadmaït : Un fleuron de l’agriculture à l’agonie

Jadis fleuron de l’agriculture, la ferme de Tadmaït, à l’ouest de Tizi Ouzou, donne de la peine à voir. Il y a 15 ans, ses produits inondaient tous les marchés de gros de la région. Aujourd’hui, elle sombre dans l’oubli et la désuétude. La ferme s’étend sur plus de 300 ha. Mais le gros de cette surface est exploité illicitement. Une partie (6 ha) est occupée par l’entreprise publique ERGR, une filiale du Groupe génie rural (GGR) qui emploie 80 personnes. Elle y a érigé une soixantaine de serres où elle cultive toutes sortes de plantes. On y trouve aussi un joli showroom où elle vend ses produits, dont des plantes d’ornement. En janvier 2018, le Conseil des participations de l’Etat décide de transférer toute la ferme à l’ERGR, mais les documents administratifs n’ont pas suivi, précise un employé. «On a essayé d’exploiter les autres surfaces de la ferme, mais on en été empêchés par les indus occupants», ajoute-t-il. Un peu plus loin, une structure abritant plusieurs locaux et des bureaux attire les regards. Il s’agit de biens de SPA Sarbo, une filiale du groupe GVAPRO, qui les récupérés en janvier 2017 après la dissolution de SGDA. Depuis, 16 employés gardent les lieux sans savoir vraiment de ce que demain sera fait. «Je ne cherche pas à comprendre. Il n’y a aucun responsable ici. L’essentiel, c’est qu’à la fin du mois on me paye», lance l’un d’eux avec réalisme et un sourire en coin.


Ramdane Kebbabi


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