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Algérie - Exclusif: Les mémoires de Rachid Benyelles aux éditions Barzakh, «Dans les arcanes du pouvoir»


Algérie - Exclusif: Les mémoires de Rachid Benyelles aux éditions Barzakh, «Dans les arcanes du pouvoir»


Le général à la retraite Rachid Benyelles prend sa plume pour raconter sa vérité sur les épisodes les plus marquants du régime algérien de 1962 au «coup de force» de 1999 imposant Bouteflika. Avec force détails, l’ancien patron de la Marine nationale devenu secrétaire générale du ministère de la Défense nationale puis ministre du transport avant de claquer la porte du gouvernement, M. Benyelles raconte comment l’armée et ses chefs ont de tout temps étaient à la manœuvre pour peser lourdement sur les grands choix politiques du pays. Des choix qui ont souvent conduit à la dérive. Extrait des mémoires sur les coulisses du pouvoir.

A propos des DAF, Déserteurs de l’armée française

«(…) Issus de milieux populaires modestes, les jeunes «déserteurs de l’armée française», tout comme les officiers formés au Moyen-Orient, comptaient de nombreux chouhada (martyrs) parmi les membres de leurs familles. Animés par un sentiment patriotique identique, ils avaient attendu le moment opportun pour rejoindre les rangs de l’ALN. Leur engagement dans la lutte de libération était, certes, un peu plus tardif que celui des officiers formés au Moyen-Orient, mais cela ne constituait pas un manquement au devoir patriotique et encore moins, un péché qu’ils devaient expier. Ce qui les distinguait de leurs camarades diplômés des écoles militaires du Moyen-Orient, c'était d’abord et avant tout, un état d’esprit.

Les premiers avaient été préparés, dès leur jeune âge, au respect sacro-saint de la hiérarchie et des règles de la discipline, les autres, des civils jusqu’à l’âge adulte, étaient plus enclins à la contestation. Les premiers se présentaient comme des professionnels, les seconds comme des patriotes plus sincères dans leur engagement révolutionnaire. De là à suspecter les «déserteurs de l’armée française» d'être des agents au service des intérêts de la France, il y a un pas qu’il faut s’interdire de franchir car, si cheval de Troie il y avait, c’est plutôt parmi les dizaines de milliers de harkis qui avaient pris les armes contre leurs compatriotes qu’il faut chercher! Qu’il y ait eu des espions infiltrés dans un camp et dans un autre, c'était de bonne guerre et il appartenait à chaque État de les démasquer et de les neutraliser.

Le fait que des Algériens aient servi dans l’armée française à une certaine période de leur vie n’est certainement pas une infamie. Certains d’entre eux sont même devenus des figures de proue de la Révolution, à l’instar de Mostepha Ben Boulaïd, Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Mahmoud Cherif, Ahmed Ben Bella et bien d’autres encore. Cela étant, il reste que les jeunes officiers «déserteurs de l’armée française» n’étaient absolument pas plus compétents et professionnels que les officiers formés dans les écoles du Moyen-Orient, mais ils n’étaient certainement pas moins patriotes que leurs camarades formés au Moyen-Orient… (…)»

A propos du coup d’Etat du 19 juin 1965

«(…) Le coup de force du 19 juin 1965 fut l’aboutissement logique d’un conflit larvé entre Houari Boumediene et Ahmed Ben Bella que plus rien ne rapprochait désormais. Leur alliance de circonstance avait débuté à la veille de l’Indépendance alors que la confrontation GPRA-État-major général de l’ALN avait atteint un point de non-retour. Pour mener son action contre le GPRA, le colonel Houari Boumediene avait besoin d’un «historique» pour jouer le rôle de figure de proue et c’est à Mohamed Boudiaf qu’il avait tout d’abord songé en lui envoyant Abdelaziz Bouteflika, au château d’Aulnoy, selon ce que ce dernier m’avait confié lors d’un entretien en mon domicile.

Contre toute attente, Mohamed Boudiaf avait sèchement refusé l’offre et renvoyé l’émissaire après lui avoir dit tout le mal qu’il pensait de son chef. Devant le refus hautain et les appréciations désobligeantes de son interlocuteur, Abdelaziz Bouteflika avait profité de la présence des autres «historiques» pour faire la même proposition à Ahmed Ben Bella. Ce dernier l’avait acceptée en pensant sans doute que l’essentiel était de mettre le pied à l’étrier et qu’une fois en selle, il pourrait facilement venir à bout de ces néophytes de la politique qui lui proposaient si imprudemment les rênes du pouvoir. (…)»

A propos de la succession à Boumediene

«(…) Kasdi Merbah, Mostefa Beloucif et moi-même étions les trois premiers officiers à l’approcher [NDLR: Chadli Bendjedid], séparément et sans consultation préalable, pour le sonder sur ses intentions et lui suggérer de se porter candidat à la succession. Sans rejeter de manière catégorique notre suggestion, il nous avait répondu qu’il préférait terminer paisiblement ses jours auprès de sa famille, à Oran. Cette réponse sibylline laissait percevoir une secrète envie de tenter l’expérience, mais en homme avisé, il attendait qu’un minimum de conditions soient réunies avant d’accepter le principe de se porter candidat.

L’idée d’une candidature de Chadli Bendjedid fit très vite son chemin et une grande majorité des responsables militaires s’y rallièrent même s’ils connaissaient parfaitement les limites du commandant de la 2ème Région militaire. N’ayant pas de meilleur choix parmi les membres du conseil de la Révolution, il sera donc leur candidat par défaut. Contrairement à ce que certains journalistes francophones avaient écrit, Chadli Bendjedid n’était pas «l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé».

Cette formulation, propre au jargon de l’armée française, ne s’appliquait pas tout à fait à ce dernier puisque le colonel Abdallah Belhouchet avait le même grade, la même ancienneté, la même fonction de chef de Région militaire et la même qualité de membre du conseil de la Révolution. Dans les conditions difficiles que traversait le pays, Chadli Bendjedid semblait être le candidat le plus indiqué pour passer le cap dangereux de l’après Boumediene et assurer une transition de cinq ans ; temps à l’expiration duquel apparaîtront de nouvelles élites politiques, pensait-on. Nous étions persuadés qu’il était l’homme d’une législature unique et qu’une fois son mandat terminé, il s’empressera de céder sa place à une personnalité ayant la stature voulue pour diriger l’Algérie. Cette appréciation se révélera erronée. (…)»

A propos de sa nomination comme Secrétaire général du ministère de la Défense

«(…) Jusqu’à sa réorganisation en ce mois de novembre 1984, l’ANP était encore la seule armée de la région à ne pas avoir d’État-major. Houari Boumediene voulait exercer une autorité directe et exclusive sur l’institution militaire afin de se prémunir, pensait-il, contre un éventuel coup d’État militaire. En lui succédant, Chadli Bendjedid se déclara favorable à la création de cet organe de commandement, avant de changer d’avis. Il n’avait certes pas les mêmes appréhensions que le défunt président, mais il voulait se donner le temps de la réflexion, avant de prendre une décision aussi lourde de conséquences, disait-il.

Ce n’est que cinq années plus tard, au début de son deuxième mandat, qu’il me demandera, au détour d’un entretien, de lui proposer l’organigramme d’un État-major, sans toutefois me donner d’indications sur ce qu’il souhaitait. J’apprendrai par la suite que Mostefa Beloucif et Larbi Belkheir avaient été chargés de la même mission. Après lui avoir remis le travail demandé, plusieurs jours passeront sans qu’il ne réagisse, ce qui me donna à penser qu’il avait renoncé au projet. Ce n’était pas le cas, puisque le 28 novembre 1984, contre toute attente, un décret présidentiel portant organisation des forces armées, est publié au journal officiel.

Quelque peu différente de celle que j’avais proposée, cette nouvelle organisation comporte un État-major de l’ANP et un Secrétariat général de la Défense, deux entités distinctes relevant directement et séparément du Président de la République qui gardait par-devers lui le portefeuille de ministre de la Défense. Le poste important de chef d’Etat-major de l’ANP fut attribué à Mostefa Beloucif qui, malgré cette promotion qui faisait de lui l’homme le plus puissant dans le pays, après Chadli Bendjedid, ne décollerait pas contre ce dernier car il estimait ne pas être en mesure de remplir sa mission si le Secrétariat général de la Défense échappait à son autorité.

Or, c'est précisément ce que le Président Bendjedid recherchait, comme il m’en fera part au cours d’un entretien dans son bureau, juste avant la promulgation du décret instituant la nouvelle organisation des forces armées. C’est au cours de ce même entretien qu’il m’annonça, tout de go, que j’étais désigné en qualité de Secrétaire général de la Défense en remplacement de Mostefa Beloucif. Je tombais des nues! Ma réaction, immédiate et spontanée, fut un refus catégorique, ce qui avait désarçonné le Président qui ne comprenait pas que je puisse refuser un poste aussi important.

J'avais beau lui expliquer que je préférai exercer le métier pour lequel j'avais été formé et dans lequel je m’étais investi corps et âme, il ne voulait rien savoir. Il insistait encore et encore pour me convaincre d’accepter le poste qu’il me destinait, mais rien n’y faisait. Je persistai dans mon refus au point que la situation était devenue intenable. Au bord de la rupture, j’étais prêt à assumer toutes les conséquences qui pouvaient résulter de mon refus obstiné.

Voyant que l’entretien avait pris une fâcheuse tournure, le Président Bendjedid qui savait que j’étais capable d’aller jusqu’au bout de mes convictions, changea son fusil d’épaule pour jouer sur la corde sensible de l’amitié qui nous unissait depuis tant d’années déjà.

«C’est l’ami de longue date et non le Président qui te demande d’accepter ce poste afin de l’aider à mettre fin aux pratiques déplorables introduites au ministère de la Défense par Mostefa Beloucif, en matière de gestion financière», m’avoua-t-il avec tristesse avant d’ajouter que c’était pour son bien et celui de l’institution militaire qu’il voulait l’éloigner de tout ce qui touchait à l’argent.

Il semblait être dans la position d’un père accablé par les frasques d’un fils prodigue qu’il voulait, malgré tout, continuer à protéger en l’éloignant de la source du mal. Touché par son trouble, je finis par donner mon accord, mais à la condition expresse que le programme de fabrication militaire et d’intégration industrielle que j’avais initié dans la Marine, soit maintenu et étendu à toute l’armée. (…)»

A propos d’octobre 1988

«(…) Le 11 octobre au matin, un calme précaire régnait dans la capitale qui venait de vivre les événements les plus graves de son histoire depuis l’Indépendance… J’étais dans mon bureau lorsque, vers le coup de neuf heures, deux ou trois directeurs généraux d’entreprises relevant de ma tutelle m’appelèrent pour m’apprendre que le wali d’Alger, passant outre l’état de siège interdisant formellement tout rassemblement sur la voie publique, leur avait enjoint de libérer leur personnel afin de participer à une marche de soutien au Président. Cette nouvelle m’avait mis hors de moi, une fois de plus.

Alors que les morts de la veille n’étaient pas encore enterrés, voilà que des irresponsables projetaient d’organiser des manifestations qui, à la moindre étincelle, pouvaient dégénérer et ainsi, mettre le feu aux poudres de nouveau ! (…) Force était pour moi de constater que Chadli Bendjedid n’avait tiré aucun enseignement des tragiques événements qui avaient secoué le pays durant ces derniers jours. Au premier signe d’accalmie, lui et ses proches collaborateurs se remettaient en selle pour continuer leur route comme si de rien n’était.

Qu’avais-je donc encore à faire avec des responsables qui s’accrochaient ainsi au pouvoir? Qu’avais-je à perdre en les quittant, moi qui, toute ma vie durant, avais vécu en simple citoyen dans un appartement, en bonne intelligence avec mes voisins en payant mes charges locatives, comme tout un chacun? Mon épouse avait toujours fait son marché seule, n’avait jamais disposé de personnel de maison et nos enfants avaient toujours fréquenté l’école publique algérienne. Je pouvais très bien me passer du salon d’honneur à l’aéroport et de la voiture de service avec chauffeur - les seuls privilèges auxquels mes différentes fonctions me donnaient droit. À quoi bon continuer à prêcher dans le désert?

J’étais à la croisée des chemins et je n’avais aucune envie de m’accrocher à mon poste. Sur ce, j’ai rédigeai une brève lettre de démission que j'ai fait parvenir sur le champ à Larbi Belkheir en le chargeant de la remettre au Chef de l'État. Démissionnaire, je n’aurais plus dorénavant qu’à expédier les affaires courantes en attendant qu’un nouveau ministre des Transports soit désigné. (…) Ragaillardi par l’accueil favorable que l’opinion avait réservé aux premières mesures prises après son discours du 10 octobre, Chadli Bendjedid voulait brûler les étapes et précipiter les réformes qu’il n'avait pas lancées plus tôt. Le pilotage de l’opération fut confié à Mouloud Hamrouche et à son équipe de technocrates que les journalistes, en mal de formules chocs, qualifièrent de «réformateurs». (…)»

A propos de l’arrêt du processus électoral en décembre 1991

«(…) Les spéculations les plus délirantes circuleront sur les sujets débattus lors de ce «conclave» d’une quinzaine de hauts responsables militaires réunis au chevet du général Khaled Nezzar alité dans l’une des suites réservée aux personnalités civiles et militaires importantes, à l’hôpital d’Aïn Naâdja.

Certains journalistes francophones iront jusqu’à écrire que la décision de déposer le président, manu militari, avait été prise lors de cette visite au général malade! S’ils avaient fait preuve d’un tant soit peu de professionnalisme au lieu de spéculer sur les «décisions» prises lors du «conclave d’Aïn Naâdja», ces journalistes auraient du se poser la question de savoir pourquoi cette réunion s’était tenue dans l’enceinte d’un hôpital militaire plutôt que dans une des nombreuses salles de réunion au siège du ministère de la Défense ou autres établissements militaires de la capitale. Ils auraient put alors découvrir, qu’au moment où l’Algérie avait le plus grand besoin de décideurs valides, en pleine possession de leurs capacités mentales, intellectuelles et physiques pour franchir un cap difficile, il y avait d’une part, un Président de la République totalement dépassé par les événements, cloîtré dans sa résidence à Zéralda, et d’autre part, un ministre de la Défense, cloué sur son lit d’hôpital.

La rencontre du 20 décembre 1991 autour du général Khaled Nezzar s’était tenue à l’hôpital de Aïn Naâdja pour la simple raison qu’elle ne pouvait pas se tenir ailleurs, et cela, en raison de l’état de santé du général Khaled Nezzar qui, par ailleurs, était un légaliste formé à l’école militaire française dans le sacro-saint respect de la discipline et de la hiérarchie; l’idée d’un coup d’État militaire ne lui avait tout simplement, jamais traversé l’esprit. (…)»

A propos de la démission de Liamine Zeroual en septembre 1998

«(…) Le 11 septembre 1998, alors que le pays était toujours à feu et à sang, Liamine Zeroual, dans une brève intervention télévisée, annonça aux Algériens, stupéfaits, qu’il démissionnait de son poste de Président de la République. Ce fut un véritable coup de tonnerre! Tout le monde était convaincu que les généraux décideurs l’avaient poussé vers la sortie parce qu’il s’était opposé à l’accord conclu entre la Sécurité militaire et l’AIS.

La réalité était bien plus prosaïque puisque Liamine Zéroual, tout comme Chadli Bendjedid avant lui, avait démissionné de son propre chef, sous la pression devenue intolérables des événements. Celle exercée par les institutions et l’opinion internationales suite aux massacres collectifs quasi quotidiens, et celle d’une campagne de presse extrêmement violente contre son plus proche collaborateur, Mohamed Betchine. Le lynchage médiatique de la seule personne sur laquelle il s’appuyait pour surmonter les épreuves et lui remonter le moral quand il en avait besoin, était la goutte qui avait fait déborder le vase. (…)»

Hacen Ouali


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