Algérie - Parc et sites naturels, zone humides

Algérie - Dr. Farès Kessasra spécialiste en hydrologie et hydrogéologie à «Liberté»: «Le Lac de Réghaia est autant pollué en métaux lourds que l'oued El Harrach»


Algérie - Dr. Farès Kessasra spécialiste en hydrologie et hydrogéologie à «Liberté»: «Le Lac de Réghaia est autant pollué en métaux lourds que l'oued El Harrach»


A l’occasion de la journée mondiale des zones humides, le 2 février, le Docteur Farès Kessasra,revient au cours de cet entretien sur les risques que courent les zones humides en Algérie. Maître de conférences et directeur de recherches en hydrologie et hydrogéologie à l'université de Jijel, le Dr Kessasra revient également sur l'importance des zones humides et leur prise en charge.


Entretien réalisé par Imène AMOKRANE

- LIBERTÉ: Selon la Direction générale des forêts (DGF), l'Algérie compte 1.451 zones humides. Quels sont les types de zones humides qu’on pourrait recenser en Algérie?

Dr. Farès KESSASRA: Une zone humide est un espace intimement lié à la présence d'eau. L'eau douce, l'eau saumâtre et l'eau salée, le facteur eau définit leur typologie en Algérie. On y trouve des lagunes, des marais, des prairies humides, des tourbières, d'eau douce à saumâtre généralement proches de la côte où l'influence de la mer est prépondérante comme aux lacs Tonga et Oubeira à El Kala et Dhaya El Mersi à Oran. Mais leur degré de salinité répond également à des considérations liées au degré d'anthropisation de la zone. Plus à l'intérieur du pays, on y trouve des chotts, des sebkhas, d'eau saumâtre à salée voire hyper-salée, principalement dans des basins versant endogènes comme au lac Sidi M'hamed Ben Ali à Sidi Bel Abbès et au Chott El Hodna à M'sila et enfin plus au Sud des oasis qui se forment dans le grand désert comme les oasis de Tamentit à Béchar et celles d'Ouargla. A l'abondance de l'eau s'associent une faune et une flore spécifiques et bien développées (des oiseaux d’eau migrateurs, des poissons et des algues), un biotope tout à fait unique se met en place qui, d'un paysage à un autre, change en termes de productivité.

En effet, lorsqu'on évoque la productivité de ces zones, on désignera naturellement la typologie des milieux et des sols. On parle de milieux humides organiques qui renferment moins d’eau libre n’interagissant très peu ou pas avec les sols, pauvres en nutriments et donc moins productifs. En revanche, les milieux humides minéraux très productifs car les sols sont riches en minéraux et les eaux libres riches en nutriments. Les eaux proviennent de la pluie, du ruissellement et des eaux de la nappe qui l'accompagne et qui remontent en surface. En 2015, plus de 1.700 zones humides ont été répertoriées en Algérie, c'est à l'image de sa taille de sous-continent.

- Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur les zones humides?

L'Algérie connaît, aujourd'hui, d'innombrables problèmes d'altération de ses sites naturels, un mal profond qui gangrène l'équilibre de ces petits paradis. En tant que naturaliste, je mets en cause plusieurs facteurs imbriqués que j'observe régulièrement lors de nos visites de terrain. Les pratiques culturales inappropriées comme à la zone humide de Béni Belaid à Jijel, celle Guerbès à Skikda et celle d'El Kala, le braconnage et le pillage des ressources naturelles (pillage de sable, pompage d'eaux d'irrigation, déboisement aléatoire) ainsi que la mise en place des équipements et infrastructures urbaines et industrielles radicalement inadéquates avec la vocation du site comme à Alger et Oran. Ne détrempez-vous pas, le Lac de Réghaia est autant pollué en métaux lourds que l'oued El Harrach. Pis encore, depuis que la planète connait ces nouveaux dérèglements, ces zones humides sont comme des miroirs qui réfléchissent ces changements climatiques sur le niveau d'eau de leurs lacs et mares, ballotant entre crue et sécheresse, le milieu est comme dynamité dans son poumon cardinal qu'est sa cuvette d'eau. Une sécheresse prolongée amènerait inexorablement à la fragilisation des sols sous l'effet de l'érosion et leur salinisation et acidification sous l'effet d'un indice d'aridité élevée.

Il faut savoir que ces milieux, qu'ils soient organiques ou minéraux, attirent les hommes et ils s'y installent et développent leurs cultures car les terres généralement sont fertiles et l'humidité est assez suffisante pour garantir un bon rendement. Les pratiques agricoles inappropriées sont montrées du doigt, l'utilisation excessive des intrants chimiques détériorent la valeur biologique des zones humides. Vous savez que certains pesticides appliqués par vaporisation et pulvérisation sont extrêmement volatils et finissent par atteindre ces milieux qui se trouvent parfois à des dizaines de kilomètres à la ronde. Ces molécules toxiques perturbent génétiquement la faune et la flore et l'eau se retrouve saturées en métaux lourds, pesticides, azotes et nitrates, le cocktail explosif par excellence. Comme la dynamique du milieu est assez lente, le renouvellement des stocks d'eau suit et donc il y a généralement un cumul de ces molécules toxiques dans la matrice eau. Mais aussi l'extension urbaine où l'on voit surgir de terre des cités HLM jouxtant des sites écologiques profondément sensibles à toute activité anthropique. Les rejets d'eaux usées finissent dans la cuvette de la zone humide et même des rejets liquides industriels dans le lac Reghaia à l'Est d'Alger.

De plus, les zones humides côtières comme celles de Beni Belaid à l'extrême Est de Jijel, le lac Fetzarra entre Skikda et Annaba et la sebkha d'Oran subissent l'érosion du littoral, une érosion naturelle certes mais elle atteint son paroxysme depuis l'intervention de l'homme sur le littoral et sa zone proche. Le pillage illicite de sable en est la gangrène de la fragilisation de ce milieu. On extrait du sable de son cordon dunaire, lequel joue le rôle de tampon entre la mer et le continent, or ce tampon s'il est fragilisé ou réduit à une simple séparation physique rendrait la partie terrestre de la zone humide plus sensible. L'aménagement du territoire devrait faire ses preuves de gestion rigoureuse.

- Pourquoi est-il important de les préserver?

A plusieurs égards, elles sont vitales. Elles entretiennent des cycles hydrologiques, constituent un habitat privilégié et une banque de gènes universelle, elles jouent le rôle de régulateur méso-climatique. Traditionnellement, dans l'imaginaire populaire, on assimile une zone humide à une forêt et ce n'est pas faux. Elle abrite des espèces faunistiques et floristiques uniques et toute la faune du bassin s'y réfugie pour l'abondance de l'alimentation, la tranquillité des lieux pour leur nidification, leur repos et leur reproduction. Une zone humide pompe également beaucoup de gaz et fixe de potentiels polluants liquides, ce qui limiterait leur transfert et migration vers le reste de la biosphère.

Mais au delà de cet imaginaire, elles sont considérées comme des régulateurs par excellence des écoulements d'eau à l'échelle du bassin-versant. Elles absorbent l’eau provenant de nombreuses sources durant les périodes de précipitation, une sorte de réceptacle du bassin versant du fait qu'elles sont formées dans des dépressions. Le plus ingénieux de ces mécanismes est qu'elles libèrent cette eau lentement au cours des périodes plus sèches, ce qui arrange fortement les affaires du sol, de la nappe et du couvert végétal, lequel ne connaît pas la crise et le sens du 'Stress hydrique'. Fabuleux comme fonctionnement naturel parcimonieux de ses ressources naturelles n'est-ce pas, c'est comme une ménagère soucieuse de l'équilibre de son foyer. En réalité, elles ralentissent le ruissellement des eaux de pluie et assurent le transfert immédiat des eaux superficielles dans les cours d’eau et assurent ainsi le soutien d’étiage. Leur alimentation en eau est soit assurée par le cours d’eau soit par la nappe d’accompagnement du cours d’eau, en temps de pluie, cette nappe souterraine remonte en surface. Ces zones humides stockent momentanément les eaux de cours d’eau en crue, ce qui permet le ralentissement des écoulements en les étalant dans la durée. Ce phénomène limite considérablement les effets des crues à l’aval. Ce mécanisme de fonctionnement fait d'elles un tampon ralentisseur des inondations dans les scénarios de pluie intense, ça limiterait les débordements et les crues à l'aval du cours d'eau. Surtout en Algérie où notre climat méditerranéen au Nord, imprévisible et intense sur une courte durée, ce mécanisme trouve toute sa signification. Mais attention, toute rectification ou aménagement anthropique des cours d’eau détruit une partie des zones humides alluviales, ce fut le cas près d'Oran et d'El Kala. Donc, lors de périodes de fortes pluies, les eaux ne sont plus freinées par ces zones humides altérées. Le cours d’eau étant encaissé, il ne déborde plus dans les zones d’expansion de crues capables de le ralentir et la disparition progressive des zones humides fonctionnant avec la nappe d’accompagnement, qui ne remonte plus assez pour les alimenter en eau, c'est comme l'amputer de son bras droit à vrai dire.

- La situation est-elle bien prise en charge en Algérie?

Des plans de gestion existent en Algérie, l'arsenal juridique renforce la protection mais le problème algérien est que toute application répond à des priorités stratifiées et floues, ce qui rend la gestion tout aussi stratifiée à plusieurs plans et floue, chercher une solution c'est de s'aventurer dans ce labyrinthe de strates. La gestion est assurée par la direction des forets, qui peut s'associer avec des associations citoyennes de défense de l'environnement et des groupes d'intérêt divers allant de l'économique (où l'on voit pulluler des zones industriels jouxtant ces zones) et culturelles (où des parcs d'attractions privés sortent de terre sans complexe pignon sur zone humide), je me demande où est l'intérêt écologique commun dans ce schéma en patchwork?. En Algérie, on s'accroche à la convention de Ramsar qui date de 1970, ratifiée par l'Algérie en 1982, et depuis le monde a tellement changé, les usages ont tellement évolué et les visions d'autrefois semblent bien caduques pour affronter tant de bouleversement. Les visions devraient suivre l'évolution du regard qu'on pose sur la ressource naturelle en tant que telle. L'eau, le sol, la faune et la flore, le patrimoine naturel devraient être gérés dans un schéma intégré non-stratifié, donc c'est simple l'humanité aurait besoin d'un Ramsar 2.


Photo: Docteur Farès Kessasra, Maître de conférences et directeur de recherches en hydrologie et hydrogéologie à l'université de Jijel. Photo: D.R

@ImeneAmokrane


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