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Algérie - Décodages: Nous n'avons pas une politique de l'emploi, mais une politique de gestion du chômage par la dépense publique




Algérie - Décodages: Nous n'avons pas une politique de l'emploi, mais une politique de gestion du chômage par la dépense publique
Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr

L’économie algérienne, ou plus exactement la société algérienne, et singulièrement sa jeunesse, souffre du chômage. Il est vrai que ces dernières années, l’Etat a fait d’énormes efforts pour juguler ce fléau, et notamment le chômage des jeunes, mais il s’agit de «solutions d’attente», de traitement social du chômage et non pas comme aiment à le répéter les responsables en charge du secteur de l’emploi d’un traitement économique.

La politique actuelle de lutte contre le chômage consiste en un programme d’emplois aidés financés par la dépense publique elle-même rendue possible par l’actuelle embellie financière.

Il est clair qu’un tel programme ne pourra être financé longtemps et dès que les ressources de l’Etat diminuent, nous risquons de revenir à la case départ. Le chômage, chez nous, est structurel et il lui faut une solution structurelle. L’emploi créé actuellement relève plus d’une stratégie de gestion du chômage que d’une politique de l’emploi. Les emplois créés sont des emplois précaires pour près de 80 %. Les travailleurs insérés restent des travailleurs pauvres. Le coût supporté par le Trésor public est insoutenable sur le moyen-long terme.

L’expérience française (et européenne) du traitement économique du chômage mérite d’être regardée de près. La suggestion est d’autant plus pertinente qu’on peut difficilement contester que la politique sociale de l’Algérie s’inspire fortement du modèle français. On sait, par ailleurs, que le modèle social français repose sur l’Etat-providence, cet Etat qui doit procurer, grâce à la protection sociale, c’est-à-dire la Sécurité sociale, les allocations familiales, le droit à la retraite et, plus tard, l’allocation chômage, un revenu différé «au travailleur et à sa famille» afin de les protéger contre les aléas de la vie.

Or, il est largement admis aujourd’hui que ce modèle social français est en crise. La France connaît, en effet, depuis plusieurs années, ce que les économistes appellent un chômage de masse (9,6 %), un système scolaire inégalitaire, un déficit de la Sécurité sociale, un échec de l’intégration des immigrés (cf. la crise des banlieues), une «panne de l’ascenseur social». De gros problèmes dans le système de retraite par répartition.

Les causes de la crise sont nombreuses : croissance molle, politique économique inappropriée, absence de politique de recherche-innovation qui entame sérieusement la compétitivité de l’économie.

Mais le facteur explicatif central réside incontestablement dans la mondialisation libérale de l’économie, mondialisation que nous subissons plus fortement encore en Algérie. Le marché intérieur soutenu par les transferts sociaux de l’Etat-providence ne suffit plus à assurer une croissance économique solide et durable.

Le moteur, le second moteur est aujourd’hui constitué par les exportations et les exportations exigent des entreprises, une compétitivité accrue. La compétitivité demande à son tour un allégement des charges notamment sociales qui pèsent sur les entreprises. Le coût du travail devient dans les pays capitalistes, la variable d’ajustement, surtout les pays asiatiques émergents fondent leur compétitivité sur des coûts de travail très bas. Ce coût doit baisser et les patrons rechignent de plus en plus à verser les cotisations qui alimentent le fonds de protection sociale.

L’exigence de compétitivité que charrie en son sein le processus actuel de mondialisation de l’économie remet en cause aussi l’autre pilier du modèle social européen : le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) qui garantissait au salarié une protection «à vie» au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, la croissance économique n’est pas aussi créative d’emplois qu’elle l’a été durant les décennies passées. L’entreprise recherche constamment des gains de productivité et le même nombre de salariés produit plus de croissance que par le passé. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la croissance à faible contenu d’emplois. L’entreprise veut être libérée des lourdes contraintes qui pèsent sur elle lorsqu’elle est dans l’obligation de sortir les «sureffectifs », c’est-à-dire des travailleurs dont elle n’a plus besoin pour assurer son niveau de production. Cette peur des contraintes qui accompagnent les plans sociaux amène l’entreprise à éviter au maximum d’embaucher de nouveaux travailleurs si elle n’a, pour le faire, à sa disposition que des CDI.

Alors, il y a partout introduction de nouveaux contrats de travail qui installent la flexibilité du marché du travail: 70 % des nouveaux emplois créés le sont aujourd’hui en contrats à durée déterminée (CDD). L’entreprise embauche et peut, pendant une période d’essai de 1 an en moyenne, licencier le salarié sans préavis, sans formalité administrative et sans indemnité. Mais dans le même temps, cette facilité de sortie du marché du travail, qui menace le salarié, est accompagnée d’une facilité d’entrée sur ce même marché du travail puisque les entreprises, libérées des charges et des contraintes, embauchent plus en CDD. De son côté, l’Etat assure aux salariés une assurance-chômage significative, un suivi personnalisé durant la période de recherche d’un nouvel emploi, une formation de requalification qui facilite au chômeur sa réinsertion sur le marché du travail.

Le Danemark, la Suède, la Finlande, la Grande-Bretagne ont réussi, par la flexibilité (pour l’entreprise et la sécurité pour le salarié) à faire baisser leurs taux de chômage de moitié en 15 ans : 10-11 % au début des années 90 et 5-6 % en 2008. Et il ne s’agit pas là de statistiques non fiables comme peuvent l’être les nôtres. En matière de politiques d’emploi et de lutte contre le chômage, les expériences danoise de «flexicurité» et britannique de flexibilité sont celles qui sont le plus citées comme expériences réussies.

Au Danemark, les entreprises peuvent licencier sans difficulté, en fonction de la conjoncture économique et de leurs carnets de commandes. Et cela en accord avec les syndicats. Mais le salarié licencié bénéficie de quatre années d’indemnités de chômage plafonnées à 80 % de son salaire. Il doit cependant être constamment à la recherche d’un emploi, ne pas refuser une réintégration dans la vie active et suivre des cycles de formation qui lui facilitent sa réinsertion.

En Grande-Bretagne, les mêmes principes sont en œuvre : le salarié peut être remercié sans difficulté (période d’essai d’un an) ; il est inscrit à l’allocation-chômage et auprès d’un job-center qui est chargé de le replacer. Le chômeur n’a pas le droit de refuser l’emploi qu’on lui propose, sous peine de ne plus bénéficier de l’allocation- chômage. Le financement de ce soutien de l’Etat aux chômeurs à la recherche d’un emploi est rendu possible grâce à une fiscalité prélevée par l’Etat, notamment auprès des entreprises.
Aussi, flexibilité d’un côté, sécurité de l’autre, le marché du travail est très fluide, les salariés très mobiles, avec facilité d’entrée et de sortie du marché du travail. Les nouvelles politiques de l’emploi et de lutte contre le chômage semblent avoir concilié régulation sociale et compétitivité économique imposée par la mondialisation de l’économie, partout où elles sont mises en œuvre en Europe.

Peut-on en tirer quelques leçons pour notre pays?

Il faudrait alors que l’Etat revoie fondamentalement son rôle et la nature de ses interventions: en lieu et place du financement très coûteux des emplois aidés, précaires et très souvent sans lendemain, il doit réorganiser le marché du travail, l’encadrer par des institutions de suivi et de facilitation, mettre en place de véritables réseaux de recyclage, requalification et de formation des travailleurs, libérer l’entreprise de l’impérieuse obligation de l’emploi permanent.

Est-il nécessaire de rappeler encore une fois que dans ce domaine aussi nous sommes... «hors des clous?»

A. B.


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