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Algérie - BACHIR DERRAÏS À PROPOS DE L’INTERDICTION DE PROJECTION DE “BEN M’HIDI”: “Le film sortira en principe vers la fin de l’année”


Algérie - BACHIR DERRAÏS À PROPOS DE L’INTERDICTION DE PROJECTION DE “BEN M’HIDI”:  “Le film sortira en principe vers la fin de l’année”


Dans cet entretien, le réalisateur revient sur sa dernière réunion du 29 septembre avec les membres de la commission de visionnage du ministère des Moudjahidine. Il évoque, entre autres, les problèmes et polémiques suscités autour de ce biopic sur “Ben M’hidi” tout en précisant que la censure ne touchera pas à son long métrage.

- Liberté: Vous avez rencontré, le jeudi 29 septembre, la commission de visionnage relevant du ministère des Moudjahidine, qui devait vous remettre un rapport final sur votre film Ben M’hidi. Qu’est-il ressorti de cette réunion de travail?

Bachir Derraïs: Lors de cette rencontre avec les membres de cette commission, nous sommes tombés d’accord sur 95% des points discutés. D’ailleurs, aucune scène du film ne sera coupée. J’ai résisté à la censure ! En revanche, je vais apporter quelques corrections sur les dates et il y aura également un équilibrage historique, et ce, sans recourir à aucune censure sur la version originale. Par exemple, la scène ayant suscité la polémique, à savoir celle du litige entre Ben Bella et Ben M’hidi, ne sera pas coupée, je vais seulement l’adoucir et la rendre moins violente.

Suite à ces réunions avec la commission, je reconnais que ses membres ont fait beaucoup d’efforts, et avec du recul je me suis rendu compte qu’il y a eu un grand malentendu entre nous. En fait, j’ai pris conscience qu’ils ne sont pas des spécialistes du cinéma, j’ai joué au pédagogue, et ce, en expliquant la part de l’auteur, la part de l’histoire et celle de la création dans une œuvre cinématographique. Ainsi après ces nombreuses séances, les 45 réserves émises sur 45 séquences sont devenues des observations. Alors qu’au début leur discours était “le film est interdit” et aujourd’hui: “Le film est retardé”. L’interdiction a été changée en “report”. Lors des réunions, 80% des discussions tournaient autour du côté artistique.

Par ailleurs, les membres de la commission ont fait plusieurs remarques sur les références historiques qui n’ont pas été respectées à la lettre.

Ces petites corrections ne touchent pas au fond du film donc je peux les remettre dans leur contexte. Certes jusqu’à ce jour, nous n’avons pas trouvé d’accord définitif mais nous sommes sur la bonne voie. On est en train de s’arranger sur une version, et si nous tombons d’accord, le film sortira d’ici la fin de l’année. J’ai reçu la promesse que le biopic sortira à la fin de l’année, sans aucune censure. Ben M’hidi sera projeté malgré le problème de salles, et il sera diffusé sur des chaînes algériennes et étrangères, il sortira également dans les salles européennes.

- La commission a émis diverses remarques portant sur le respect des faits historiques, sur des lieux et des dates bien précis. Pensez-vous qu’elle a finalement confondu entre une fiction et un documentaire?

Oui, il y a confusion entre les deux! En plus, la loi de la cinématographie du 27 février 2011 n’arrange pas les choses et la commission ne fait que l’appliquer. Par exemple sur la scène de la torture, qui a été jugée pas assez démonstrative, je la laisse comme elle a été montée, j’estime l’avoir filmée d’une autre manière car chaque réalisateur a sa propre vision. En fait cette loi de la cinématographie ne nous laisse aucune marge dans la part du créateur, et il a fallu un mois de négociations pour leur faire comprendre la différence entre la fiction et le documentaire. Finalement, le président de la commission m’a indiqué que “le film est frais et ça nous change de ceux que nous regardons habituellement, et nous voudrions l’utiliser comme document historique dans les universités algériennes”.

- Dans Ben M’hidi, vous avez tenté de raconter l’histoire de “gens normaux” ayant fait la glorieuse Révolution. Cette démarche a-t-elle dérangé car elle ne s’inspire pas de l’histoire officielle contrairement aux autres films déjà sortis?

Depuis 1962, nous n’avons eu comme référence que le récit national où il a été décidé de montrer “tels visages” de la Révolution. Dans ce film, je casse tout cela. Ce que j’ai effectué reflète la réalité de l’époque. Quand nous avons commencé à développer le scénario, on s’est dit que la Révolution est déjà sacrée, nous n’avons pas besoin de la sacraliser ni de la glorifier.

Car, elle n’a pas besoin de démagogie, elle a besoin d’être racontée avec objectivité, sans parti pris, ce sont les personnages qui parlent et non pas moi! S’ils ne sont pas d’accord avec les propos d’Abane, ils ne sont pas de moi! Pour le film Krim Belkacem d’Ahmed Rachedi, du moment où on ne montre pas sa divergence avec le gouvernement après l’indépendance, son exil, son opposition et sa liquidation, j’estime que c’est la moitié d’un film, et ce n’est pas normal. Ceux ayant amputé une grande partie de sa vie, ont falsifié l’histoire.

Dans mon film, j’ai fait parler des personnages et je pense que cette démarche a choqué les membres de la commission car ils sont habitués à voir des films de guerre dans lesquels il n’y a que des embuscades. Alors que dans Ben M’hidi, il n’y a pas de maquis mais des débats, des échanges, des stratèges, des projets de société, des idéologies différentes, notamment celles de l’UDMA, du FLN, du MNA et des principaux chefs comme Ferhat Abbas, Abane, Ben Bella… Chacun d’eux avait sa propre idéologie, une orientation et cela a choqué car nous n’avons jamais eu de films sur nos élites. Aussi, il y a eu des litiges entre cette élite, pendant et après la Révolution, et tout le monde est au courant de ce qui s’est passé après l’indépendance (les chefs historiques du FLN se sont retrouvés en prison, à l’instar de Boudiaf, Aït Ahmed, Ben Bella…). Depuis 1962, l’histoire a été falsifiée et il y a beaucoup de mensonges, notamment dans les fascicules scolaires. Alors, on a décidé de ne tenir compte ni du récit national ni de la version officielle et de faire un film avec ma vision de réalisateur.

À cet effet, j’ai contacté une cinquantaine de personnes, entre historiens et proches de Ben M’hidi, et je n’ai rien inventé puisque le film est basé sur des témoignages et des récits. Si le film ne plaît pas, il faudra bien l’accepter un jour car il donne une autre vision sur la guerre.

- En empruntant ce sentier, quelque part vous vous attendiez sûrement à cette réaction de la part des officiels…

Oui, je savais à quoi m’en tenir et il faut un début. J’aurais pu jouer le jeu, faire le larbin et faire ce qu’ils veulent (ministères des Moudjahidine et de la Culture)… comme l’ont fait certains réalisateurs. Quand j’ai décidé de faire du cinéma, ce n’est pas pour ces raisons, car il y a une éthique, une morale, et une déontologie que je respecte. Il faut être objectif, les principales scènes ayant posé problème comme celle des associations des Oulémas musulmans algériens et Ben Bella, elles ont existé, je n’ai pas falsifié l’histoire. La polémique et les débats sur Ben M’hidi vont changer beaucoup de choses. Je suis confiant qu’il changera les mentalités. Par ailleurs, je trouve désolant que le ministère de la Culture, censé défendre les réalisateurs, ne le fasse pas pour moi.

- Que reprochez-vous à Azzedine Mihoubi?

Le ministre de la Culture a mené une campagne d’acharnement et de dénigrement contre mon film et moi. Si on revient un peu en arrière, à la sortie du long métrage Ibn Badis, l’association des Oulémas musulmans algériens n’était pas d’accord avec le contenu de ce biopic. Mais le ministre a pris la défense de son réalisateur, et il a fait de la pédagogie en expliquant la différence entre la fiction et le documentaire, et qu’un réalisateur a une marge de manœuvre et de création, chose qu’il n’a pas faite avec moi. Il a fait plutôt le contraire, et ce, en m’attaquant et en dénigrant le film. Toutes les rumeurs qui circulent, c’est lui qui les a données à l’exemple de l’absence de scène de torture alors que c’est faux! D’ailleurs, il a vu toutes les versions de Ben M’hidi et ne m’a jamais fait de remarques.

Et cette situation ne m’a pas aidé auprès des moudjahidine car ils l’ont vu défendre d’autres productions. Je pense que cet acharnement est dû au développement libre du scénario (sans Mihoubi et son équipe). Depuis des années, le ministre a une politique de confier le cinéma algérien à des réalisateurs du Moyen-Orient. Sa politique est claire: exclure les Algériens et confier tous les films sur notre mémoire à des étrangers pour pouvoir les manipuler comme il veut. Une chose qu’il ne peut faire avec moi, avec Merzak Allouache et tant d’autres…

- Dernièrement, une quinzaine de réalisateurs et de producteurs ont rendu publique une déclaration pour dénoncer les “pressions” et la “censure”. Quelle est votre avis sur cette démarche?

Faut-il rappeler qu’en 2011 des réalisateurs ont soutenu la loi de la cinématographie votée la même année. Un ministre ne peut imposer une loi si la corporation s’oppose! Il fallait la dénoncer avant.

À ce moment-là, nous étions seulement 3 à 4 personnes à le faire. Aujourd’hui, il n’est pas trop tard. Certes la mobilisation existe actuellement mais cela reste difficile. Il faut trouver un ministre de la Culture qui accepte l’idée de changer la loi. il n’y a pas de corporation, il n’y a pas d’échange, il n’y a pas de solidarité! je ne vois pas comment les choses vont changer! Aujourd’hui, il y a seulement 16 signataires pour la dénoncer alors que nous sommes une centaine de réalisateurs dans le pays.

Les questions à se poser sont: où sont-ils? Que font-ils? Pourtant, je suis sûr que si demain, le ministère de la Culture ou celui des Moudjahidine lancent un appel à projet, ils seront des centaines à postuler.

- Après cette mésaventure avec ce biopic, allez-vous entreprendre d’autres projets en Algérie?

Je prépare un biopic sur Matoub Lounès mais après ce que je suis en train de subir, je ne m’imagine pas le tourner en Algérie! Je vais le tourner ailleurs.

Nous sommes en train de négocier le contrat avec des producteurs étrangers car je ne me vois pas le lancer ici. S’il n’y a pas de mobilisation et de volonté politique pour changer les choses, ainsi qu’un rapprochement entre les autorités et les cinéastes, il n’y aura pas de changement.

Hana Menasria
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