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Algérie - Alors que le déficit en eau est quasi permanent: L’eau épurée très peu utilisée en agriculture



Algérie - Alors que le déficit en eau est quasi permanent: L’eau épurée très peu utilisée en agriculture


L’eau devient de plus en plus une denrée rare, son recyclage demeure l’alternative la plus adéquate pour répondre à la demande notamment dans le domaine de l’agriculture, grand consommateur d’eau selon les spécialistes, dont Pr Brahim Mouhouche, chercheur au laboratoire de maîtrise de l’eau en agriculture à l’Ecole nationale supérieure de l’Agronomie(ENSA).

-.Décryptage d’une étude sur la réutilisation des eaux usées.

Ce spécialiste dans le recyclage des eaux usées a mis en relief, dans une étude récente, les «principales contraintes relatives au manque d’eau auxquelles se heurtent l’agriculture algérienne dans son ensemble et le secteur irrigué, en particulier».

Et ce, afin d’assurer une «meilleure maîtrise des différents aspects du manque d’eau en Algérie pour une utilisation rationnelle, raisonnée et durable de toutes les ressources hydriques dont nous disposons», écrit ce chercheur dans l’introduction de son article qui s’intitule: «Etat des lieux et propositions futures pour les eaux non conventionnelles en Algérie».

Ainsi cette étude sur la réutilisation des eaux usées a mis en exergue les différentes difficultés qui font que cette ressource recyclée n’est pas largement utilisée par les agriculteurs, principaux concernées par la réutilisation des eaux épurées. Pourtant ces dernières «représentent des quantités appréciables qui contribueront à diminuer à court et moyen termes l’intensité du manque d’eau, particulièrement en agriculture», considère Pr Mouhouche dans cette étude.

Sur les 800 millions m3/an d’eau à épurer selon les données du ministère des Ressources en eau (2015), le volume annuel d’eau épurée utilisé effectivement en irrigation ne dépasse pas les 60 millions de mètres cubes en 2019. Soit 6 à 7% du volume total épuré par les 154 stations selon les statistiques de l’Office national d’assainissement (ONA) pour l’année 2020. Le reste, soit 93% des eaux épurées, est rejeté dans la nature.

«Ils ont au moins servi à la protection de l’environnement, alors que le secteur de l’agriculture connaît un déficit en eau quasi-permanent», constate Pr Mouhouche. Pourquoi cette ressource aussi précieuse (eaux épurées) n’est pas aussi valorisée?

«Contrairement à certaines idées reçues, il ne faut surtout pas croire que c’est les structures de gestion de ces eaux qui ne fournissent pas assez d’efforts pour la réutilisation de ces eaux», atteste Pr Mouhouche.

- «De l’eau épurée rejetée dans la nature»

De l’avis de ce spécialiste, les potentialités permettant la récupération des eaux usées existent comme en indiquent les données officielles. Ainsi le nombre de STEP est passé de 18 en service en 1995, avec une capacité totale de 90 millions de m3/an seulement à 177 en service en 2016 avec une capacité nominale de plus de 800 millions de m3/an. Avec la finalisation des stations en réalisation, la capacité d’épuration atteindrait un volume de 1,3 milliard de mètres cubes en 2020 (MRE, 2005). Si le rejet de l’eau propre dans la nature est un geste bénéfique pour la protection de l’environnement, sa non-utilisation à des fins économiques demeure problématique à plus d’un titre. Pr Mouhouche revient dans l’étude précitée sur les raisons du refus de la réutilisation des eaux épurées en agriculture notamment.

Aux contraintes d’ordre technique et juridique, les croyances des populations au niveau local ajoutent son lot de problèmes.

«En Algérie, la question de la réutilisation des eaux épurées est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense», est persuadé ce chercheur. Et de poursuivre: «A ce sujet, notre étude a montré l’existence d’un certain nombre de problèmes (parfois très complexes) qui ne contribuent pas à favoriser la réutilisation de eaux épurées, pour ne pas dire qui contribuent plutôt au blocage de cette réutilisation.»

- «Les stations dépuration sans réseau de distribution»

Ainsi, selon cette étude menée sur le terrain, Pr Mouhouche constate l’absence de réseaux de transport et de distribution de l’eau épurée.

«La quasi-totalité des stations d’épuration ne sont pas dotées d’un réseau de transport et de distribution de l’eau épurée», souligne notre interlocuteur dans son enquête. Ce qui rend difficile la réutilisation de ces eaux épurées. «Pour utiliser cette eau, il faut avant tout installer ce réseau de distribution», suggère ce spécialiste, qui s’interroge sur la partie censé prendre en charge le volet financier de ces installations. Ce réseau «sera à la charge de qui? De l’utilisateur de l’eau ou du gestionnaire de la STEP, le problème reste posé à pratiquement toutes les stations d’épuration qu’elles soient anciennes ou nouvelles», se demande Pr Mouhouche.

Une autre contrainte qui n’est pas des moindres que cette enquête énumère, est l’inadéquation de l’emplacement des STEP par rapport aux surfaces à irriguer. «La plupart des stations sont implantées à l’aval des terres à irriguer, d’où la nécessité de refouler les eaux épurées vers l’amont de ces terres, ce qui nécessite l’installation de stations de refoulement qui n’est pas prévue dans le projet de réalisation des STEP, sauf cas exceptionnel», constate ce chercheur.

Le problème du financement de l’installation des stations de refoulement se pose de nouveau. «L’installation des stations de refoulement sera à la charge de qui ?», interroge encore une fois Pr Mouhouche. Aux deux contraintes précitées, s’ajoute l’absence de réservoirs de stockage de l’eau épurée. «Les STEP ne sont pratiquement jamais dotées de réservoirs de stockage de l’eau épurée durant les périodes ou les heures creuses de faible intensité d’irrigation. De ce fait, l’eau épurée est tout simplement rejetée dans la nature par manque d’infrastructure de stockage», relève-t-on dans cette enquête.

- Problèmes juridiques !

L’aspect juridique portant sur les conditions de l’utilisation des eaux épurées en irrigation constitue également un frein pour l’adhésion des agriculteurs. Pr Mouhouche juge ces textes réglementaires «trop contraignants» et n’encourage pas les irriguants à utiliser cette eau.

Ce professeur à l’ENSA considère, en effet, les articles 16 à 31 du décret exécutif n° 07-149 du 20 août 2007 «trop contraignants pour les irriguants à tel point que personne ne les accepte tels qu’ils sont». Ce spécialiste du recyclage des eaux usées cite, à titre d’exemple, l’article 17, alinéa 2 qui stipule clairement que la consommation des fruits tombés au sol est interdite. Pas seulement, cet article oblige les agriculteurs à détruire ces fruits tombés et les transporter à la décharge publique. Mais le manque d’engouement constaté chez les agriculteurs ne s’explique pas uniquement par des contraintes d’ordre technique ou juridique.

Dans son enquête, Pr Mouhouche met la lumière sur un facteur relevant des croyances de ces irriguants réticents à l’égard de l’utilisation des eaux épurées. «La principale idée reçue est que dans l’esprit de certaines croyances, l’eau traitée est une source de souillure des produits de la récolte, mais aussi et surtout du sol qui est un facteur de production permanent», explique Pr Mouhouche. Ainsi, les eaux de rejets épurées restent très peu utilisées, et ce, en dépit de l’existence de textes réglementaires officiels qui autorisent leur utilisation. Raison «Selon nos enquêtes, le principal problème du manque d’engouement pour l’utilisation des eaux épurées et des boues résiduaires est purement d’ordre de croyance de chaque individu», mentionne Pr Mouhouche.

Comment «Certains utilisateurs croient que les eaux issues des STEP ne sont pas propres à l’utilisation, puisque elles ne peuvent pas être utilisées pour les ablutions de la prière», précise ce chercheur. Ainsi, ces croyances ont poussé certains agriculteurs à déduire que ces eaux une fois utilisées rendent leurs terres insalubres. «Partant de ce principe, certains agriculteurs considèrent que les eaux épurées souillent leurs terres qui deviennent impropres à la pratique de la prière sur celles-ci», détaille ce professeur.

Paradoxalement, ces mêmes eaux sont, comme le souligne Pr Mouhouche, couramment utilisées au niveau des terres se trouvant à l’amont des STEP sans être épurées. «L’utilisation des eaux d’égouts brutes recueillies par les cours d’eau» est «couramment pratiquée par plusieurs catégories d’utilisateurs depuis fort longtemps», fait-il remarquer.

- Les eaux épurées cédées gratuitement

Le prix de revient du mètre cube d’eau épurée est estimé à environ 16,37 DA, selon les données de l’Office national de l’assainissement (ONA) pour l’année 2018. Néanmoins, «à nos jours, les eaux épurées sont cédées gracieusement aux utilisateurs, au même titre que les boues résiduaires qui subissent le même sort que les eaux épurées, ce qui n’est pas normal à notre sens», juge Brahim Mouhouche, dans une enquête qu’il a réalisée sur les eaux non-conventionnelles en Algérie. Pour rappel, l’intérêt que porte l’Algérie pour l’épuration et la réutilisation des eaux usées remonte à ces quinze dernières années, et ce, en dépit du manque d’eau qu’a connu notre pays depuis des décennies. «Depuis une quinzaine d’années, des efforts considérables ont été consentis pour la valorisation de ces eaux», fait remarquer Brahim Mouhouche, professeur à l’Ecole nationale supérieure de l’agronomie (ENSA). Depuis les années 2000, la mobilisation et la valorisation des eaux non conventionnelles ont été prises en considération sous leurs trois formes, à savoir les eaux de rejets, les eaux de dessalement et les eaux de déminéralisation. «Le système d’épuration des eaux de rejets domestiques et industrielles a connu un développement très intense, tant pour la quantité que pour la qualité de l’eau épurée», estime Pr Mouhouche. Faut-il préciser que 154 STEP sont gérées par l’Office national d’assainissement (ONA), dont 16 pour la réutilisation de l’eau en irrigation. A cela, s’ajoutent 23 STEP gérées par les directions de ressources en eau de wilaya et les organismes de gestion de l’eau et de l’assainissement Seaal SEOR et Seaco.

- Ce que prévoit l’Arrêté de 2012

Sont concernées par l’irrigation des eaux épurées, selon l’arrêté interministériel de janvier 2012, les cultures suivantes :

– Arbres fruitiers: Dattiers, vigne, pomme, pêche, poire, abricot, nèfle, cerise, prune, nectarine, grenade, figue, rhubarbe, arachides, noix, olive. L’irrigation avec des eaux usées épurées est permise à condition que l’on cesse l’irrigation au moins deux semaines avant la récolte. Les fruits tombés au sol ne sont pas ramassés et sont à détruire.

– Agrumes : Pamplemousse, citron, orange, mandarine, tangerine, lime, clémentine.

– Cultures fourragères: Bersim, maïs, sorgho fourragers, vesce et luzerne. Le pâturage direct dans les parcelles irriguées par les eaux usées épurées est strictement interdit, et ce, afin de prévenir toute contamination du cheptel et par conséquent des consommateurs.

– Culture industrielles: Tomate industrielle, haricot et rames, petit pois à rames, betterave sucrière, coton, tabac, lin.

– Cultures céréalières: Blé, orge, triticale et avoine.

– Cultures de production de semences: pomme de terre, haricot et petit pois.

– Arbustes fourragers: acacia et Atriplex.

– Plantes florales à sécher ou à usage industriel: rosier, iris, jasmin, marjolaine et romarin.



Djedjiga Rahmani
drahmani@elwatan.com


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