Algérie

Algérianité et constantes nationales




Algérianité et constantes nationales
La nouvelle Constitution, maintes fois amendée et rafistolée pour les besoins du pouvoir de l'ombre, outre le fait qu'elle autorise le Président en exercice, s'il reste en vie, de rempiler pour deux autres mandats, continue de traîner des concepts vaseux qui empêchent le développement d'une pensée nationale moderne. Nous voulons parler de ce qui est solennellement dénommé «islamité, arabité et amazighité», comme constantes nationales d'un Etat faisant partie de la «Terre d'islam».En effet, le préambule de la Constitution proclame l'Algérie «Terre d'islam», concept sorti droit du Moyen-Age, vide de sens, ne présentant aucune utilité pour celui qui veut voyager, travailler ou commercer. Tant il est vrai que pour ce genre d'usage, il faut posséder des documents attestant que vous appartenez à un espace territorial délimité par des frontières, lesquelles, par les temps qui courent, sont de plus en plus matérialisées par des murailles ou des barrages de fil barbelé.Encore qu'il faut remarquer que pour un Algérien, il est moins difficile d'avoir accès à une terre dite «harb» où il peut trouver refuge et même y activer sans papiers, alors qu'il rencontre toutes sortes de difficultés lorsqu'il doit se rendre dans un pays symbolisant pour lui la «terre d'islam». Sans oublier que ce dernier était devenu, depuis Lawrence d'Arabie, le siège d'officines occidentales d'où sont lancés des projets néfastes à destination de ce qu'on appelle géopolitiquement le monde musulman, un espace tant convoité pour ses richesses en hydrocarbures. En ce moment-même, ce pays leader de «la Ligue-relais» desdites officines participe activement à l'effondrement des prix du pétrole endommageant, de ce fait, les économies nationales basées uniquement sur la rente de ce produit. Enfin, sur le plan théorique, des théologiens incultes de l'islam, vivant encore à l'époque des conquêtes musulmanes et des croisades, continuent de parler de «terre d'islam» comme d'un espace où doit s'appliquer la loi islamique, c'est-à-dire la charia.Or, il est maintenant notoire que celle-ci est devenue obsolète et que sont bien rares les pays musulmans qui l'appliquent littéralement. Dans ces conditions, on s'explique mal les raisons qui ont motivé ces bricoleurs de Constitution de s'encombrer de concepts tombés en désuétude. Assurément, cela ne peut que refléter leur bas niveau de culture et de civilisation. L'islamité, concept énoncé emphatiquement comme constante nationale, signifie littéralement la qualité de celui qui est musulman, en l'occurrence il s'agit d'un Etat. A l'heure actuelle, on sait ce que cela peut signifier pour un Etat d'être islamique avec toutes les horreurs que cela peut évoquer. D'ailleurs, l'expérience algérienne a montré ce que cela pouvait coûter en vies humaines et en dommages matériels et psychiques, à la suite d'autorisation donnée à un parti religieux d'exercer une activité politique avec pour objectif de réaliser un Etat islamique alors que ce pouvoir disposait non seulement de l'article 2 de la Constitution pour légiférer dans le domaine religieux, mais disposait également de tout un arsenal de lois républicaines lui permettant de défendre les libertés de conscience, de culte, de pensée et d'expression orale et écrite de tous les citoyens. Et que, malgré le drame vécu par les Algériens, le pouvoir velléitaire ne fait aucun effort pour sauvegarder ces acquis et va jusqu'à laisser le champ libre à des zélés et à des charlatans de propager des idées fondamentalistes inspirées du wahhabisme, idées qui empoisonnent la vie sociale, culturelle et artistique des jeunes Algériens.C'est ainsi qu'outre les déformations du dogme religieux telles que l'allongement et la multiplication des prières, la pratique du jeûne en dehors du mois de Ramadhan, l'obligation de s'habiller d'une manière ou d'une autre ou l'interdiction de certaines activités culturelles, artistiques ou sportives par des imams autoproclamés, on voit malheureusement à la télévision publique des dignitaires officiels clamer avec arrogance et sans égards aux autres croyances que l'islam est la seule religion pour l'humanité et que toutes les autres doivent être combattues, tout en insistant sur le fait que le Coran ne peut être compris qu'à travers une parfaite maîtrise de la langue arabe. Alors que d'un autre côté, on écoute le pape romain exhorter tous les êtres humains à respecter toutes les croyances et appeler à la paix et à la solidarité entre tous les peuples et les individus. C'est triste de voir notre religion si médiocrement exprimée ou représentée et devenir le symbole de l'intolérance et de l'appauvrissement de l'esprit.Nous refusons de croire que cet obscurantisme n'est pas savamment entretenu par le pouvoir en place afin de maintenir le peuple dans un état d'abrutissement et de peur, le rendant ainsi plus maniable.L'arabité se réfère, quant à elle, à la qualité de ce qui est arabe. Encore une autre absurdité et une affirmation gratuite. D'un côté, les «vrais» Arabes de la péninsule arabique eux-mêmes ne considèrent pas les Algériens comme étant des Arabes, et d'un autre côté, et dans le but évident de nous humilier ou de nous dégrader, les Occidentaux nous appellent «les Arabes», avec toutes les connotations péjoratives que cela suppose. Quant à nous, Algériens, le mot arabe arrive à nous inspirer un sentiment de honte ou de malaise, eu égard à ce qui se passe dans les pays arabes devenus la risée des pays civilisés. Du point de vue de l'origine ethnique, en dehors d'un faible dosage de métissage avec des occupants temporaires de notre territoire comme dans les cas avec les riverains méditerranéens sur le littoral ou avec les Arabes nomades au niveau des Hauts-Plateaux, ou encore avec les Turcs au niveau des cités, le peuple algérien a gardé un fond berbère dominant. Les dynasties berbères régnantes qui tracèrent nos frontières et les étendirent parfois jusqu'en Egypte contribuèrent largement à «l'arabophonisation» du Maghreb. L'arabe algérien parlé a fini par remplacer peu à peu le tamazight, sauf dans les régions enclavées comme les Aurès, la Grande-Kabylie, le M'zab et le Grand-Sud.Durant la colonisation française, des médersas eurent des difficultés à enseigner la langue arabe, pendant que la bourgeoisie locale citadine et terrienne se frottant à la colonisation adopta le français comme langue d'enseignement pour leurs enfants, lesquels découvrirent les bienfaits de la culture et de la civilisation occidentales, et ne manquèrent pas de s'en servirent pour mener courageusement des activités politiques, littéraires, artistiques, sportives et associatives. Quelques années après l'indépendance, les nouveaux venus au pouvoir, par populisme, par manque d'intelligence et de culture, engagèrent une campagne massive d'enseignement de la langue arabe avec pour objectif d'effacer le français (langue largement parlée par les Algériens d'ici et d'ailleurs) pour le remplacer par l'anglais. C'était l'occasion pour ces ex-assimilationnistes de se venger en menant une guerre sur fond religieux au «français», sans qu'ils aient pour autant les moyens pédagogiques et humains nécessaires.Aussi, pour combler leurs lacunes, ils eurent recours aux «talebs» et aux Frères musulmans chassés de leur pays par le «grand frère Nasser» et dont l'indigence culturelle était manifeste. De leur côté, les nationalistes francophones, dont certains inspirèrent et dirigèrent la Révolution armée, puis l'administration du GPRA et celle laissée vacante par les colons, furent progressivement chassés des postes de responsabilité et même parfois furent traités de «hizb frança». Le résultat fut le rabaissement du niveau d'instruction et de culture et l'échec de la politique d'éducation nationale. Les étudiants en sciences techniques se trouvèrent alors subitement forcés d'utiliser une langue étrangère pour continuer leurs études ou faire des recherches, étant donné le manque et parfois l'absence de fonds bibliothécaire en langue arabe. Par ailleurs, cette langue qui a végété depuis l'essor de la civilisation occidentale continue de véhiculer des concepts opaques qui entravent tout enrichissement socioculturel, littéraire et philosophique, d'autant plus que depuis l'émergence de l'islamisme, la langue arabe enseignée dans nos écoles, pratiquée par les médias et parlée par le peuple a été envahie d'expressions religieuses fonctionnant comme des stops de la phrase télégraphique conduisant, de ce fait, à un vocabulaire réduit et à une atrophie de la pensée et de l'esprit des nouvelles générations.L'amazighité, concept qui se réfère beaucoup plus à l'origine d'une population qu'à sa langue, le tamazigh. Bon nombre de chercheurs dans ce domaine s'accordent à tracer le tamazigh aux confins de la Libye antique. En l'absence d'une culture scripturale patente, cette langue ancienne, parlée encore de nos jours, sert d'indice pour tracer le contour spatial des peuples amazighs. Quelles que soient les traces scripturales décelées, il est établi que le peuple maghrébin dans son ensemble a eu comme langue orale de communication le tamazigh prononcé différemment selon les régions. Ce constat est conforté par les us et coutumes et les noms des lieux qui servent également d'indices de la présence amazighe malgré les différences au niveau des groupes sociaux du point de vue de la morphologie, du caractère ou de la culture, traits qui relèvent probablement du contexte géohistorique dans lequel avaient évolué ces groupes, tout en notant cependant que parler la même langue ne signifie nullement que l'on soit issu d'une telle ou autre descendance et réciproquement.Cela dit, l'amazighité n'autorise pas à croire à une certaine vertu intrinsèque et, pour notre part, nous hésiterons objectivement à tirer une quelconque fierté du comportement de chefs berbères comme Massinissa ou Jugurtha, pour ne citer que les plus connus, puisque avec notre grille de lecture actuelle, nous aurions tendance à les considérer comme ayant été plutôt des vassaux ou des janissaires de l'occupant romain. Par contre, s'il y a bien un trait dominant de la personnalité algérienne dont on peut s'enorgueillir, ce serait plutôt la résistance populaire opposée à travers les temps les plus reculés à tous ceux qui nous ont occupés ou cherchés à nous exterminer, comme ce fut le cas des forces coloniales françaises. Notre personnalité, il faudra donc la chercher dans les caractéristiques de l'histoire de nos tribus berbères. L'algérianité ? comme on vient de le voir en se tenant loin des débats universitaires et querelles sémantiques ? et les constantes dites nationales désignent tout simplement la religion, la langue et l'ethnie. Or, de ce point de vue, elles constituent un obstacle majeur pour le développement d'une pensée nationaliste algérienne. Dans le monde contemporain et surtout au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la reconnaissance internationale d'un Etat ne tient compte ni de sa religion, ni de sa langue ni de ses origines. Il y a des Etats à l'ONU qui ont chacun plusieurs langues, religions ou ethnies.C'est à ce titre que l'Etat algérien a pu recouvrer sa pleine souveraineté internationale. Depuis l'indépendance, notre jeune Etat peine à se forger une pensée nationaliste typiquement algérienne, et ce, malgré quelques sollicitations par leurs écrits ou essais de Mostefa Lacheraf et de Redha Malek. En effet, ces dites constantes nationales constituant un «clair obscur d'où sortent les démons», dont parlait Nietzsche, empêchent une approche sereine de notre nationalisme. S'il est établi que la culture musulmane et les traditions berbères avaient constitué un liant qui a favorisé une forte solidarité de la population algérienne face à la colonisation française, et cela, sans que ce soit valable pour les précédentes colonisations, il faut bien se rendre à l'évidence que le nationalisme algérien trouve ses origines dans cette résistance légendaire d'un peuple attaché à sa liberté et à sa terre, et qui s'est traduit par un sentiment patriotique plus fort que celui que, par métaphore, nous ressentons envers notre mère, notre famille, notre ville, ou bien encore à celui que nous éprouvons comme une joie immense à l'occasion d'une belle victoire de notre équipe nationale de football ou à d'autres exploits nationaux où l'on a vu des Algériens lambda hisser le drapeau national en scandant : «One, two, three, viva l'Algérie !» Les générations présentes ne doivent surtout pas oublier que ce fort sentiment patriotique tire sa gloire de cet Etat national souverain, résultat d'un combat glorieux de la génération de Novembre 1954, combat unique dans les annales des colonies de peuplement qui a servi d'exemple à la libération de nombreux autres peuples et qu'il faudra consolider en fouinant dans l'histoire de notre pays que des dictateurs de mauvaise foi leur ont cachée, en s'assurant le silence complice de militants et responsables renégats ou en mal de conscience, lesquels, en échange, accaparèrent indûment des privilèges et se mirent au service de prédateurs sans scrupules pour former ce qu'on appelle faussement la famille révolutionnaire.Tout en évitant de mettre tout le monde dans le même paquet et de ne pas tomber dans le piège du dénigrement de nos symboles révolutionnaires, il faudra rechercher notre algérianité dans les lieux, faits et figures historiques qui ont marqué notre Mouvement national, tels que, à titre d'exemple seulement, les résistances séculaires de nos tribus berbères ou celles de l'Emir Abdelkader et d'Ahmed Bey face à l'armée coloniale française, les balbutiements des «jeunes Algériens» à Paris, au début du XXe siècle, la pétition de l'Emir Khaled destinée à la Société des nations au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et la déclaration de Messali Hadj au stade d'Alger en 1936 ou encore celle des Amis du manifeste pour la liberté (AML) suivie des massacres du 8 Mai 1945.Il faudra surtout la chercher dans l'action des partis politiques comme celle de l'Etoile nord-africaine (ENA) ou celle du Parti du peuple algérien (PPA) devenu Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) avec son organisation paramilitaire et son mémorandum adressé à l'ONU, ou celle de l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) et même celle du Parti communiste algérien (PCA), sans oublier les nombreuses associations sportives, artistiques et les Scouts musulmans algériens (SMA). Ce sont ces mouvements politiques et associatifs qui constituent notre algérianité et que vint parachever l'Appel de la Proclamation du 1er Novembre auquel répondit en bloc tout un peuple déterminé plus que jamais à prendre son sort en main. La Plateforme de la Soummam est venue par la suite lui clarifier les voies et moyens pour atteindre ses objectifs, lesquels furent victorieusement concrétisés par les Accords d'Evian et complétés par les nationalisations de 1970.Voilà quelques repères saillants de notre nationalisme qui ont été malheureusement endommagés par des idées fumeuses et des actions déviationnistes qui avaient fini par ternir notre Révolution et porter atteinte à nos valeurs militantes. Pour réparer les dommages ainsi causés, il faudra des idées fortes et claires ?uvrant pour une économie nationale autosuffisante et puissante. Il faudra un Etat militant et non corrompu ou corrupteur, il faudra des militants qui se sacrifient pour le programme de leur parti et non pas des opportunistes qui se positionnent dans les réseaux clientélistes de la nomenklatura. Il faudra des partis qui présentent des projets socioéconomiques qui tiennent compte de l'état de délabrement dans lequel se trouve empêtré notre pays au point que pour le sauver, il ne reste plus que des solutions, combinées ou pas mais toujours impopulaires, situées entre une politique de vérité des prix avec la fin de l'Etat-providence et ses conséquences sociales, ou une politique du «bol de riz par jour» qui avait conduit les Chinois, par leur travail et leur sacrifice, à devenir une des premières puissances mondiales.Ce nationalisme égaré est le résultat d'une gouvernance médiocre sans aucune vision d'avenir. Ce n'est surtout pas une question d'origine, de religion ou de langue qui est au c?ur de nos difficultés. Comme disait Mozart au roi qui lui commandait un opéra en cherchant à savoir dans quelle langue il sera fait, il lui répondit : «Sire, choisissez la langue qui vous sied, je peux vous rassurer que ce sera un bel opéra.» C'est ce que la génération du 1er Novembre a réalisé en utilisant la langue et les idées de l'étranger pour achever une ?uvre révolutionnaire. Dans les circonstances politiques actuelles, il faut se convaincre que seul un Etat nationaliste pur et dur, usant de son droit d'ingérence lorsque ses intérêts sont en jeu et mobilisant tous ses ressortissants où qu'ils soient, est en mesure de sauver notre pays des bêtes féroces qui le guettent dans l'arène internationale. Les partis et la société civile doivent se mobiliser pour relever le défi et convaincre les citoyens de consentir d'indispensables sacrifices, afin de mettre un terme aux errements et conceptions obscurantistes dans lesquels les a conduits une direction politique malhonnête et incompétente.«L'espoir s'apprend», disait Nietzsche, «dans l'action» compléta Sartre. Il est encore temps pour la génération présente de réfléchir et de bouger. Par : Khalfallah AbdelazizCadre politique, ex-commandant de l'ALN, Zone V, Wilaya II.



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