Le premier sentiment qui envahit le visiteur de La Casbah, en descendant ses ruelles d’antan, est la consternation.
La plus mythique et mystique des villes algériennes est en ruine. L’ancien fief du FLN algérois est laissé à l’abandon, victime de la nature et des effets du temps. Devant une plaque commémorative, du tristement célèbre attentat des colons extrémistes en plein cœur de ce quartier populaire, à l’été 1956, les murs tiennent à peine, tout comme le petit monument qui rend hommage aux victimes de cet épisode historique. Juste en face, des tonnes de déchets ménagers et des restes des douirate démolies sont entassés pour former une regrettable montagne d’ordures qui souille la symbolique du lieu. Alors qu’il devrait être un lieu de recueillement, un musée à ciel ouvert, cet espace n’est plus que désolation. Même constat dans toutes les ruelles et impasses de La Casbah.
Au regard de l’état des lieux, les services de nettoyage ne doivent passer que rarement pour faire le ramassage des ordures, souvent à dos d’âne. Ce qui empêche de dégager les centaines de sacs, pleins de toutes sortes de déchets, issus de la démolition des douirate, voulue et/ou involontaire. On y trouve des gravats, du sable, des amas de ferraille et de bois.
«Les citoyens partagent la responsabilité de cette situation. Ils jettent leurs ordures sans se soucier du mal qu’ils font à leur quartier. Ils n’ont pas cette culture de propreté durable. Les nettoyeurs passent souvent pour nettoyer tous ces petits recoins, mais on retombe vite dans le même problème, l’entassement de ces déchets qui gâchent l’image de La Casbah», témoigne Mohamed, 32 ans, jeune habitant du quartier.
Et il se rattrape en précisant: «Les services de nettoyage ne passent que lorsque des montagnes de déchets sont formées, et alors ils ne prélèvent que les petits sacs poubelles quotidiens.»
C’est vrai qu’on dira que la nouvelle spécialité de La Casbah, ce sont «ces montagnes», car les petits magasins d’artisanat, qui ont fait sa notoriété et avaient attiré les touristes du monde entier, durant son âge d’or, ont complètement disparu.
«Il n’en reste que quelques uns. Ces magasins disparaissent avec la mort des artisans qui les occupaient. Il n’ y a plus de relève», regrette un vieux du quartier, en hochant la tête.
En empruntant les fameux escaliers de La Casbah, un étranger se sentirait dans une ville fantôme, abandonnée par la civilisation. Les bâtisses, tellement vétustes, n’essayent même plus de sauver la face ou de résister à la lourdeur des siècles. Les murs s’effritent. Les rideaux des magasins, qui tiennent encore la forme, sont tous rouillés, ce serait un miracle s’ils ouvraient de nouveau un jour. Sur leurs façades on peut voir des affiches des dernières élections locales et législatives.
«La Casbah sera faite par ses enfants», lit-on sur l’une de ces «publicités» électorales.
«Car de ces promesses électorales, il ne reste qu’un souvenir», explique Mohamed, notre jeune interlocuteur.
«Vous pensez vraiment qu’à 32 ans, je vais accepter de travailler en pré-emploi pour 5.000 DA? C’est tout ce que propose doula (l’Etat) à ses jeunes chômeurs», tempête-t-il, à raison, sur un sujet qui lui tient à cœur.
Une rénovation qui fait défaut
La seule chose, et c’est l’essentiel, qui nous indique que nous sommes bel et bien dans un quartier populaire de la capitale, c’est le train-train quotidien des habitants. Les va-et-vient des enfants, quelques femmes et jeunes filles qui reviennent du marché, et surtout des ouvriers s’activant dans les chantiers de rénovation et restauration des douirate. Et voilà un sujet épineux. La restauration de ces bâtisses, classées patrimoine national, est mal abordée, malgré les assurances des autorités locales et nationales. Sur les chantiers, on remarque deux points importants.
D’abord, ces travaux de rénovation sont engagés par des propriétaires privés, et ils se font comme ceux de n’importe quel chantier ordinaire de bâtiments et non pas de maisonnettes qui ont plusieurs siècles d’existence.
«L’Etat est aux abonnés absents. Au moindre problème, nous sommes livrés à nous-mêmes, comme lors des dernières intempéries. Pareil pour les travaux de restauration. Ils font du bricolage pour justifier les dépenses. Et l’argent des aides, est aussi mal géré et mal suivi», déclare, agacé, un propriétaire d’une maison en plein travaux de rénovation, dit «Kamel La Casbah».
Ce dernier a décidé d’engager et de suivre de près les ouvriers qui rénovent sa bâtisse.
«Je ne fais pas confiance aux entrepreneurs privés, car il y a trop de magouilles. Ils font des affaires avec certains responsables. Par exemple, au lieu de placer de la faïence mosaïque, mentionnée sur le projet écrit, qui coûte 2.000 DA le m2, ils utilisent une faïence normale à 400 DA le m2», a-t-il ajouté.
Les escaliers de La Casbah et ses fameux toits n’ont pas échappé à l’insalubrité, ils sont jonchés de déchets et de tas de débris, qui donnent l’impression d’une ville en état de guerre.
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, les marchés informels ont repris place, juste au-dessous de la mosquée Farès. Les commerçants ambulants ont exposé leurs marchandises devant l’indifférence totale des autorités.
* Photo: La Casbah est devenue un marché juteux pour beaucoup d’affairistes.
Samir Ghezlaoui
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Posté Le : 29/06/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: ; texte: Samir Ghezlaoui
Source : El Watan.com du samedi 29 juin 2013