Algérie - Travail du bois

Alger - Au cœur de la Casbah l'ébénisterie revit dans l'atelier de Mahiout Khaled




Alger - Au cœur de la Casbah l'ébénisterie revit dans l'atelier de Mahiout Khaled


En cette froide matinée, la Casbah peine à se réveiller. Les rires des enfants ne résonnent pas encore. Quelques rares "Kasbadjis" discutent au coin d'une venelle. Les ateliers des artisans commencent quant à eux à s'animer et le bruit des outils se fait déjà entendre. Ceux de Khaled Mahiout aussi.

Connu de tous à la vieille ville, Khaled comme l’appelle familièrement ses voisins, est artisan menuisier-ébéniste.

À peine le seuil de son atelier franchi, c’est une odeur de bois fraichement scié qui embaume l’air. Dans cet atelier situé en haute Casbah, on voit des pièces de bois noble adossées aux murs. Du chêne, du noyer, du hêtre, dont les copeaux jonchent aussi le sol. Une machine pour découper le bois trône au centre de l’atelier, et des outils de sculpture rudimentaires sont disposés un peu partout.

Ici, khaled travaille le bois. Il conçoit du mobilier dans un style néo-mauresque. Il ne fait pas que cela. Son art s’étend à la restauration du vieux bâti. Celle de la boiserie traditionnelle des bâtisses et édifices historiques.

La menuiserie, un héritage parental

La menuiserie d’art traditionnel est dans la famille des "Mahiout" depuis quatre générations. Ce métier ancestral, se maintient et se transmet de père en fils. La passion de façonner le bois résiste face à l’importation massive du mobilier. Mieux. Elle continue à être préservée notamment grâce à cet artisan qui conserve son métier comme "un précieux héritage" à préserver contre l’oubli.

L’histoire commence dans les années vingt.

"Mon grand-oncle était apprenti menuisier chez un père blanc. Il lui a appris toutes les ficelles du métier. Un jour mon oncle prend un tronc d’arbre le nettoie et le sculpte en forme de pied, il l’offre à son maître, dont le pied était amputé. Au-delà de l’aspect humanitaire de ce geste, le père blanc a pu apprécier l’habilité de son apprenti", raconte sur un ton de fierté l’artisan.

Son oncle marque son temps, et laisse son empreinte sur des monuments emblématiques de la capitale comme la grande poste et la wilaya d’Alger.

"La boiserie de ces deux bâtisses néo-mauresque est l’œuvre d’un groupe de menuisier-ébéniste dont mon oncle faisait partie", raconte Khaled.

C’est ainsi que la menuiserie a commencé à le passionner. Khaled apprend ce métier de ses parents. Après l’école il les rejoignait à cet atelier où il donnait un coup de main. Il se souvient encore de son père lui inculquant les règles fondamentales du métier.

«C’est un métier qui s’apprend en gestes et peu de mots», précise-t-il.

La tâche est ardue, et son maitre-mot est la patience, explique encore l’artisan.

Ce "legs" précieux, il l’a, à son tour, transmis à ses enfants, sans pour autant leur imposer le métier d’ébéniste.

"La transmission du métier de menuisier-ébéniste dans notre famille n’a jamais été une obligation, la passion du métier revêt un grand intérêt pour nous car elle est l’essence du travail bien fait".

Le choix professionnel de ses fils et leur désir de perpétuer la tradition n’est animé que par cette passion du métier.

D’un geste réfléchi et précis, son fils Oussama apporte les dernières finitions, à une petite table en Sapelli, un bois en provenance d’Afrique.

"Je vais procéder au cirage de la table, il faut que le meuble soit parfaitement décapé et poncé. La cire permet au bois de garder son aspect naturel et le protège de l’humidité", explique-t-il.

Une commande d’une touriste française de passage à l’atelier qui n’est pas restée insensible aux savoir-faire de ces artisans.

L’atelier, une humble demeure chargée d’histoire

Héritier d’un savoir-faire, Khaled a aussi hérité d’un lieu dont l’histoire est intimement liée, à celle de sa famille. L’atelier qui se trouve en bas de la maison familiale a été acheté par le père de Mahiout Khaled en 1938. Date à laquelle, il s’installe pour la première fois à son compte. Avec son frère, ils exercent leur métier et bénéficient d’une bonne réputation grâce au travail de qualité qui enchantait une clientèle majoritairement française.

En 1941 les deux frères achètent la maison au dessus de l’atelier et régularisent leur situation en obtenant leur carte d’artisan.

Mais en 1957, les deux frères sont emprisonnés par l’armée française qui a découvert des "bulletins de cotisation" du FLN dans leur atelier.

A sa sortie de prison le père de Khaled, en manque de moyens, est contraint de vendre la maison et l’atelier.

"Il s’en sépare à contre cœur, mais l’acheteur n’était autre qu’un de mes cousins et la vente comporte une condition: la maison doit rester dans le giron familial. Ce n’est qu’en 1992 que Khaled récupère la maison familiale où il habite aujourd’hui".

La particularité de cette maison est son emplacement. Du haut de la terrasse, un fabuleux panorama de la Casbah et du port d’Alger happe le regard des visiteurs.

"Je n’hésite jamais à poser mes outils pour inviter les visiteurs à monter en terrasse. C’est une grande satisfaction que de les voir admiratifs face à cette Algérie pittoresque".

Des visiteurs de tous horizons

S’il vous arrive de feuilleter le "livre d’or" de Mahiout Khaled, vous y trouverez des dédicaces, de personnalités politiques, d’artistes, de diplomates et de parfaits inconnus.

Ces messages pour la plupart expriment l’admiration pour son métier et son accueil chaleureux. Khaled se souvient de toutes les personnes qui lui ont rendu visite.

En tournant les pages il s’arrête sur une dédicace.

"C’est Plantu qui m’a caricaturé', confie l’artisan, un sourire au coin.

Mais de ces visites improbables, une l’a particulièrement émue.

"Des visites j’en reçois tous les jours, mais la plus surprenante fut celle de mon ancien professeur de CE2, monsieur Daupin".

C’était en 2007, comme à ses habitudes, il invite ce monsieur accompagné de sa femme à monter en terrasse.

"Au cours de la conversation, il me confie qu’il a quitté l’Algérie en 62 et qu’il était professeur à une école à la rue Gambetta. Je lui dis que j’étais aussi élève a cette école et je précise que je me souviens toujours du nom de mon maître, monsieur Daupin".

A sa grande surprise, il découvre que son hôte n’était autre que ce monsieur Daupin!

Ces visites, dit-il, continuent à faire vivre la vieille médina que le temps a sérieusement endommagé. La présence de ces artisans aux détours des ruelles sinueuses de la Casbah permettent à la vieille ville de garder son âme.

Loin des discours pessimistes, Khaled veut croire que la Casbah retrouvera un jour tout son prestige.

"Si la Casbah disparaît, c’est notre histoire qu’on enterrera et nous ne permettront pas cela", conclut Khaled Mahiout.


Latifa Abada

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