Algérie - Revue de Presse

Ainsi, envers et contre tout, l?urgence est à une révision constitutionnelle d?impasses politiques renouvelées




«Les évènements, mon cher, les évènements.» H.MacMillan, ancien Premier ministre de G-B à qui l?on demandait ce qui déterminait la politique.Depuis trois ans, ce qui tient lieu de débat politique se réduit à la nécessité soudaine d?une révision constitutionnelle. «Les choses sont désormais claires», semble-t-il. (1) Il faut sans tarder réviser l?article 74 de la Constitution. Adopté sous le Pt L.Zéroual, il limite à deux, comme chacun sait, les mandats présidentiels. Pour la 1er fois depuis 1962, on allait savoir en Algérie, d?avance et sans drames récurrents, à quelle date, tous les 10 ans, l?attelage de l?Etat doit être renouvelé avec l?espoir, peut-être aussi, de changer de politique. Il n?en serait plus question. Cette soupape de sûreté est remise en cause avant même d?être expérimentée. Il faudrait abroger la limitation des mandats, en ajouter un ou porter leur durée de 5 à 7 ans. Il paraît aller de soi que cet amendement serait d?effet rétroactif, au bénéfice du chef de l?Etat en exercice, dans le mutisme prudent du Conseil constitutionnel, mais pas seulement. Il serait en outre d?une urgence extrême d?instituer un vice-président. Ces projets arrêtés toutes affaires cessantes témoignent pour le moins d?une désinvolture certaine. Et d?abord à l?égard des préoccupations de l?immense majorité engluée dans le combat de la survie au jour le jour, ou pour beaucoup parmi les plus jeunes, par la quête d?une issue, hors du pays si possible. Désinvoltes aussi car elles sous-estiment les attentes impatientes et fiévreuses de la société. Désinvoltes enfin pour l?idée que les Algériens, malgré tout, se font encore du pays et de leur Etat.Le pari est qu?au pire la réaction se réduira, par les temps qui courent, à l?indifférence des uns et à la résignation de la plupart. Mais qui peut assurer que ce recul qu?aucun objectif clair ne justifie ne débouchera pas sur les impasses explosives d?hier et d?avant-hier?Il est d?ailleurs à noter qu?il n?a pas été jugé utile de justifier ni même d?expliquer ces mesures. Elles seraient banales et sans plus de conséquences qu?une élection législative ou locale. Le discours appelant à revoir la Constitution est en outre centré sur la seule question de la durée et du nombre de mandats présidentiels.Pour toute campagne d?explications il a paru suffisant de faire donner à tour de rôle, le ch?ur des institutions implorant le Président de bien vouloir accepter un 3e mandat. Les appels en ce sens, à partir des présidences du «Parlement» se sont étendus au Comité Olympique en passant par les partis et les appareils ?de masse? de l?Etat, ainsi que les associations diverses qui ne demandent qu?à le devenir. L?élan populaire attendu ajouté à l?accord unanime des milieux dirigeants devaient dispenser la révision de toute explication.Cela ne semble pas avoir été le cas. Le relais des suppliques pour un autre mandat serait abandonné comme il a été lancé, sans préavis. Il ne serait plus question que de porter le mandat à 7 ans.Cependant le chef de l?Etat ne s?est pas encore prononcé. Une décision probable sans doute de réviser les conditions d?exercice du mandat présidentiel appellerait un débat, même en cercle familial.Il porterait sur le «Programme du Président», la gestion des ressources et des affaires du pays, les «réformes»diverses, la ?restauration du prestige international? de l?Algérie?, ?la paix et la réconciliation? et sur ce qu?il est advenu de tout cela, dix ans après. Cependant pour l?heure la question n?est pas celle du bilan de l?action menée.Essentiel, le problème se résume à une double volonté. Celle de revenir d?abord à une présidence d?une durée indéterminée ou, du moins, plus longue que les 10 ans actuels. Celle aussi d?instaurer la fonction de vice- président. [Ce projet serait anodin et irait de soi puisqu?il ne s?agirait, en cas de situation imprévisible, que d?assurer la continuité de l?Etat. Il n?appellerait donc pas d?explication particulière et d?ailleurs ne suscite encore aucun commentaire. ]Le législateur peut réviser la constitution quand et comme il l?entend. Cela ne pose pas de problème. Mais il y en a un, rédhibitoire dès lors qu?il y a volonté d?appliquer les amendements apportés avec effet rétroactif.Rien ne peut faire qu?il en soit ainsi ni ne peut libérer un Président du double serment, solennel et public, la main droite sur le Livre, de respecter et protéger la constitution telle qu?elle est ce jour là. Certes il y aura, au besoin, des spécialistes pour affirmer que rien ne serait plus normal que le chef de l?Etat puisse prolonger de 2 ans son mandat ou opter pour un nouveau. (2) Ainsi, si la durée de son mandat est ramenée à 4 ans, il devrait cesser aussitôt ses fonctions.La non-rétroactivitéé de la loi et a fortiori de la constitution est un principe évident et fondateur du droit, en tous lieux et de tous temps. L?ignorer dans le silence général d?aujourd?hui préparera, pour tous, des lendemains de non droit.Le second volet de la révision crée une fonction de vice-président. Nécessairement nommé- comment peut-il en être autrement- il est de conséquences majeures autant qu?occultées. «Elu» en même temps que le chef de l?Etat ou nommé, le vice-président peut devenir le recours de tous les mécontentements et, la situation étant ce qu?elle est, un facteur d?instabilité. Sa raison d?être est de succéder, le moment venu, au chef de l?Etat en exercice. Désigner le vice-président revient à élire le futur Président.La conjugaison des deux amendements ne laissera une fois de plus au pays, en cas de crise, d?autre issue que celles qu?il a connues, des combats de l?été de l?indépendance à 1999, année de l?accession au pouvoir du Pt Bouteflika.On se souvient de l?urgente révision de la constitution soulevée il y a deux ou trois ans par le chef du gouvernement actuel. Il disait vouloir clarifier les prérogatives de nos ?institutions? afin que le peuple sache enfin si nous étions en régime parlementaire comme en Suède, présidentiel comme aux Etats-Unis ou mixte comme dans la France du général de Gaulle et du Pt Sarkozy. Il fallait donc choisir. (3) C?est fait. Le pays s?en tient à son système spécifique.Face à une société émiettée et déboussolée, en proie à des conflits violents, sociaux, politiques, idéologiques et culturels les amendements prévus traduisent peut-être un souci de stabilité et de continuité. Outre le nombre et la durée des mandats, il importe donc de régler d?avance la succession des chefs de l?Etat. Toute l?histoire de l?Algérie indépendante montre que les deux volets de la révision projetée n?assurent ni la stabilité du pays ni la continuité de l?Etat.L?expérience passée démontre exactement le contraire. Si l?idée est de porter les mandats du Président à 2 fois 7 ans, rappelons qu?entre 62 et 1999 le nombre de mandats n?étant pas limité, aucun des présidents n?est resté 14 ans au pouvoir. En fait de stabilité, au cours de cette période de 37 ans où le système d?une présidence à vie a prévalu, la durée moyenne des 6 présidences qui se sont succédé a été de 6ans et 2 mois. (4) Au cours de cette même période la stabilité du sommet de l?Etat fut loin d?être évidente. Il y eut un Président du Conseil de la Révolution, quatre Présidents de la république et deux Présidents d?un Haut Conseil d?Etat. 1999 est l?année de la 1erélection d?un Président dont le nombre de mandats est limité par la Constitution. Des six personnalités toutes?élues? en tant que candidats uniques pour une durée indéterminée, entre 1962 et 99, seuls A. Kafi, et L. Zéroual se sont retirés d?eux-mêmes.Le premier à la fin de la mission du HCE, le second en démissionnant avant la fin de son premier mandat. Porté au pouvoir dans la tourmente du terrorisme et le désarroi d?une crise politique sans fin, ce dernier fait adopter l?amendement limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. La fin des quatre autres chefs de l?Etat fut ou dramatique ou tragique comme on le sait: l?un, destitué, arrêté et détenu pendant 14 ans sans jugement, le second décédé à la suite d?une maladie foudroyante, le troisième démissionné et le quatrième assassiné. Le Pt Bouteflifa fut lui aussi pour son 1er mandat de fait candidat unique.Estimant la règle faussée, ses concurrents se sont retirés la veille du 1er tour, rendant le second inutile. Pour son second mandat, le plus haut score officiel des autres candidats agréés par le Conseil Constitutionnel fut de l?ordre de 6 à 8%. Les amendements prévus posent de nouveau la question de l?Etat et des institutions à peu près, dans les termes qu?en de 1962, sans autres perspectives que celles d?alors.L?idée que les pouvoirs de longue durée ou de durée imprévisible assurent la stabilité n?est pas seulement une illusion. La réalité a montré durant 37 ans qu?ils constituent une cause structurelle d?instabilité récurrente. Seuls connaissent la stabilité et la continuité de l?action commune les peuples des Etats fondés sur des institutions. Ils en connaissent les échéances, les respectent et les renouvellent en appliquant des règles acceptées de tous. Rendre possibles ces pratiques ne sera pas l?affaire d?un jour ni d?un mandat. Raison de plus pour sauvegarder de façon pacifique et résolue l?acquis majeur de la limitation et de la durée actuelle des mandats présidentiels. Cette sauvegarde est indispensable car porteuse d?évolutions politiques dont le pays a un urgent besoin.Or la révision prévue renoue avec les causes des impasses politiques qui n?avaient pour débouchés que les coups d?Etat, réussis ou ratés, les émeutes populaires d?octobre 88 et leur répression sanglante, le raz de marée électoral du ?parti dissous? ou les tragédies d?un terrorisme dont 16 ans après, nul ne voit la fin, même s?il n?est plus en état d?imposer par les armes l?ordre théocratique dont il est porteur. Dans la mesure en effet où le mandat est porté à 7 ans avec effet rétroactif au bénéfice du Président en exercice, le vice-président désigné entre temps devrait être en 2011, le chef ?élu? de l?Etat. Il le serait jusqu?en 2025, soit deux mandats de 7 ans. Qui peut croire, la situation étant ce qu?elle est, que ce scénario soit autre chose qu?une fiction. Mise en ?uvre, elle n?aurait d?autre effet que de renouer avec les impasses politiques récurrentes depuis 1962. Elle ne laisserait aux Algériens d?autre issue que celles qu?ils ont connues depuis lors et qui les ont mené, leur pays et eux-mêmes, dans l?état où ils sont.Le constat peu rassurant depuis de longues années est celui du refus des ?milieux de la décision? de prendre la mesure de l?état actuel du pays et de la grande majorité des Algériens.Le constat inchangé est aussi celui du refus de voir et d?entendre les sourdes fermentations qui travaillent la société dans tous les sens. Dans la vacance souvent et l?incurie de la conduite des affaires du pays, la tactique sans stratégie tient lieu de politique. Les éruptions violentes, ici et là, de natures diverses et pour l?heure maîtrisées, ne suscitent d?autres solutions que d?en finir avec la durée ou la limitation des mandats présidentiels et d?assurer l?avenir en désignant le successeur.Etre assuré dans ces décisions du soutien, du silence ou des contorsions verbales de la ?coalition au pouvoir? est de peu d?utilité dans les épreuves à venir. Celles-ci appellent quelques décisions politiques majeures. Comme toujours depuis 1962, le risque est qu?une fois de plus ce seront les évènements, toujours inattendus bien que souvent prévisibles, qui décideront dans le désordre.Il n?est pas trop tard pour lever l?incertitude qui bouche l?horizon des prochains mois. La révision prévue doit et peut encore être écartée. Elle doit l?être d?un commun et raisonnable accord du cercle clos et trop restreint des décideurs qui décident ou ne décident pas, pour le compte de tous les Algériens. Toute autre démarche ne serait qu?un passage en force d?une révision que rien ne justifie. Cela est évidemment possible. Mais « la faiblesse de la force est de ne croire qu?à la force ». (5) Le pays reviendra sur de telles dispositions.Il s?agit pour 2009 de préparer un mandat présidentiel d?urgente et ferme reprise en mains d?une situation instable et d?un pays à la dérive. Il n?est pas trop tôt pour cela.Il est déjà bien tard pour un large débat sur les défis explosifs et de tous ordres des toutes prochaines années, les priorités à arrêter, les solutions possibles à mettre au point, les décisions difficiles qu?il faudra prendre.La tâche du prochain mandat est de commencer à déverrouiller, de façon maîtrisée, l?organisation et le fonctionnement d?institutions factices ainsi que l?exercice des droits et libertés élémentaires d?une citoyenneté qui reste à conquérir. Rien sans cela n?est possible et surtout pas l?amorce d?un développement économique ni la lutte, autrement qu?avec des chiffres fantaisistes, contre le chômage et la pauvreté de masse. Mais rien, ou presque, de tout cela n?est possible sans une évolution crédible, et de l?intérieur, des cercles du pouvoir, de la monopolisation de la décision, de la conception et de l?exercice de l?autorité. Il sera dit que c?est une vieille illusion que de compter sur cela.Probablement. Mais pour l?heure il n?y a rien d?autre. A défaut, il reviendra aux évènements de décider en lieu et place des décideurs. Nous tâcherons, si possible, d?y revenir.   Notes:1- Le chef de l?Etat lors de sa récente visite à Tamanrasset ;2- Il est vrai que le Tchad il y a peu et le Cameroun plus récemment en ont ainsi décidé pour leurs peuples et sans leur avis ;3- L?épisode remet en mémoire un vieux dicton : «Gallou wach khassek ya laâma, gallou khassni el khôl» ( Que te manque-t-il, ô l?aveugle ? Et celui-ci de répondre: je suis en manque de khôl. (Khôl: fard utilisé pour le maquillage des yeux;)4-Cette moyenne sur 37 ans, de 62 à l?élection de 1999, est légèrement supérieure à celle des 9 Deys?Pachas d?Alger sur une période comparable de 39 ans, de 1791 à 1830. Le règne moyen est alors de 4 ans et 2 mois. Il aurait été de 3 ans sans Hussein Pacha, le dernier dey, dont le règne commencé en 1818, a pris fin avec la chute de la ville en 1830. Cf. Mahfoud Kaddache ?L?Algérie durant la période Ottomane? Edit. OPU-1992 ;5- P. Valéry ?Mauvaises pensées- ?uvres. La Pléiade- t. II


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