Algérie

Aboubeker Belkaïd, un humaniste qui avait l’Algérie au cœur



«A ceux qui sont morts pieusement pour la patrie,

il faut qu’à leur chevet la foudre vienne et prie»

(Victor Hugo)

 

Si on doit rendre hommage à tous ceux qui sont tombés pendant cette décennie noire, il me paraît moral d’évoquer aussi un autre enfant de l’Algérie en la personne d’Aboubeker Belkaïd qui avait une certaine idée de l’Algérie.

Qui se souvient, en effet, du combat d’Aboubeker Belkaïd? Qui peut témoigner de son passé révolutionnaire, de ses années de prison, de son engagement dans la «Septième Wilaya»? Tout ce qui nous reste c’est le nom donné à l’université de Tlemcen qui, à bien des égards, a respecté son contrat en étant la seule université algérienne classée parmi les 7.000 retenues. L’hommage est donc venu de l’extérieur.

J’ai eu le privilège de collaborer avec lui dans la gestion du secteur de l’Enseignement supérieur. Il nous répétait souvent qu’il était invité de la famille de l’enseignement supérieur et qu’il était là pour dynamiser une synergie des bonnes volontés.

Aboubeker Bekaïd avait compris très vite qu’il fallait stabiliser le ministère de l’Enseignement supérieur en tentant de ramener la sérénité après 1988, dans une époque de contestation à outrance, où tout le monde se mettait en grève pour un oui ou un non. Belle époque du printemps de la liberté de la parole qui permettait des débats épiques avec une efflorescence d’idées.

Quand un partenaire social dépassait les limites de la bienséance, voire était carrément de mauvaise foi. Aboubeker était patient à l’extrême et arrivait par le dialogue ferme sur les principes à amener les partenaires à ses vues. Devant mon impatience et ma tentation à être, certaines fois, expéditif dans mes jugements, dans de telles situations, il me disait: «tu peux te faire plaisir, mais ensuite il faudra gérer, et là tu ne vas pas rigoler, alors encaisse pour le bien de l’institution que tu as l’immense privilège de mener à bon port». Aboubeker Belkaïd n’avait pas son pareil pour dégoupiller des situations inextricables. Il me fut donné d’apprécier son énorme capacité de travail. Il disait toujours: «moi je cours, que celui qui peut tenir la distance avec moi me suive». Ou encore que la «marche est une succession de chutes évitées». C’est dire qu’il faut toujours être sur ses gardes quand on accepte de marcher... debout. C’était aussi un homme d’ordre et de dossiers. Il s’était entouré, au fil des ans, d’une équipe de collaborateurs compétents et dévoués à l’extrême, et d’un département ministériel à un autre, il y avait «ses invariants» qui lui permettaient d’être rapidement opérationnel.

De ses différents passages dans la haute administration, il a toujours laissé l’image d’un homme d’Etat qui savait écouter, qui prenait tout son temps pour convaincre avec une force de persuasion sans égale, mais qui savait prendre les décisions qui s’imposaient après s’être assuré par des consultations multiples, en les assumant.

Qui se souvient d’Aboubeker Belkaïd comme directeur de l’ENA à qui il a imprimé un style de rigueur connu et reconnu, comme secrétaire général, comme ministre de l’Habitat?

Repose en paix, cher Aboubeker, ton sacrifice ne sera pas vain, l’Algérie sortira de son coma et se tournera résolument vers l’avenir. Cet avenir que tu nous décrivais avec passion, pétri des classiques. Tu ne détestais pas, pour autant, émailler ses propos de citations appropriées du terroir profond. Une anecdote parmi des centaines, pour décrire la modernité et le retard tragique des mentalités algériennes dû au colonialisme. « L’histoire de l’émigré qui acheta à Paris, un lustre lumineux qui l’avait... ébloui, avec, naturellement son interrupteur. De retour dans son village natal, il accroche tant bien que mal le lourd lustre au plafond, et l’interrupteur au mur. Appelant sa famille et ses voisins pour leur montrer la merveille, il appuie sur l’interrupteur et à son grand désespoir, il ne se passe rien, tragiquement rien. Avec son style imagé et son sourire entendu, Aboubeker Belkaïd nous parlait de la modernité du développement, de l’impossibilité d’y entrer par effraction, si ce n’est après un lent et long parcours initiatique fait de travail à marche forcée, de sueur, de privation, de nuits blanches et d’abnégation. «L’émigré n’a pas compris que derrière l’interrupteur, il y a l’électricité, les câbles haute tension, la centrale électrique, bref la maîtrise de la technologie et partant du savoir».

C’est tout le sens des défis auxquels est confrontée l’Algérie. Il s’agit de savoir comment offrir une perspective par-delà les politiques, à cette jeunesse pour qu’elle s’accepte, se sente bien, ne pense pas à émigrer. Nul doute que le plus dur reste à faire. Quelle perspective en termes de projet de société, multidimensionnel peut-on mettre en oeuvre pour être en phase avec le savoir, la science, tout en n’étant pas déraciné, ni du point de vue identitaire, ni du point de vue religieux? Sans nul doute la solution est en Algérie. Aboubeker Belkaïd disait qu’«on n’avait pas de patrie de rechange». Il a mille fois raison. Force est de constater cependant que nous ne prenons pas le chemin de la rédemption, nous sommes riches, mais tragiquement sous-développés. L’Algérie peine à se redéployer engluée dans des réflexes qu’elle a emportés avec elle en traversant le siècle.





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