Algérie

A la veille de la visite de Sarkozy en Algérie «L'héritage mémoriel» en débat à Paris


La visite d'Etat du président français Nicolas Sarkozy en Algérie ravive le débat sur la relation bilatérale entre les deux pays avec, comme toile de fond, un héritage mémoriel contradictoire largement abordé lors d'une conférence de presse organisée hier à Paris par le Club des journalistes algériens en France (CJAF), en présence de Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication, la sénatrice socialiste Bariza Khiari, Rachid Kaci (UMP), conseiller technique à la présidence français, et M. Jean-Pierre Tuquoi, journaliste au Monde et spécialiste du Maghreb, auteur de «Paris-Alger: couple infernal» paru en novembre dernier. Le débat ouvert, l'espace de cette conférence de presse, a permis de confronter les positions des uns et des autres sur le passé colonial français en Algérie et sur la mémoire collective que «le peuple algérien a besoin de recouvrer», selon l'expression de M. Rahabi qui a insisté sur la nécessité pour la France de reconnaître ses crimes commis lors de la période coloniale. «On sait faire la nuance entre repentance et reconnaissance (...) Les démocraties n'ont pas le monopole de la douleur tant il est vrai aussi qu'elles n'ont pas le monopole de la solidarité. J'ai la sensibilité d'un citoyen» et «je considère qu'en tant qu'Algérien, la reconnaissance des faits fait partie de la thérapie de mon peuple», a-t-il souligne. Reconnaître ces faits, assumer son passé font partie, selon M. Rahabi, du «devoir de mémoire». «Moi, je revendique un héritage de la victime et non du bourreau. Donc nous sommes dans un système où il y a un héritage contradictoire qui ne peut être assaini que par des relations dans lesquelles la France demanderait des excuses, reconnaîtrait ses crimes commis pendant la guerre de libération (...) A mon sens, il y a un devoir de reconnaissance et un devoir de réparation historique indispensables. Sinon, nous risquons d'être les otages de ce contentieux récurrent qui fait que ce passé restera permanent dans les relations entre les deux pays», a estimé M. Rahabi. Pour l'ancien ministre de la Communication, la meilleure façon de rendre «plus sereines» les relations entre l'Algérie et la France est «de trancher définitivement» et il y a pour cela «des gestes qu'il faudrait faire tous les jours». Or, tous les comportements qui sont en train de s'ériger aujourd'hui en règle notamment en France, avec la loi du 23 février 2005, la réhabilitation des criminels de l'OAS ou l'inauguration samedi dernier à Perpignan d'un «mur des disparus» qui vise à la réhabilitation des tenants de la période coloniale, ne vont pas dans le sens de cet «apaisement». «On ne peut pas aboutir à des relations assainies en développant ce type de geste tout à fait révisionniste, tout à fait inamical et tout à fait inacceptable», a plaidé M. Rahabi dont les propos n'étaient pas du goût de M. Rachid Kaci. Visiblement contrarié, M. Kaci a estimé que la meilleure manière d'aborder «sereinement» ce passé est «de laisser les historiens travailler», de leur «laisser ce passé». Il a relevé au passage que «les paroles (de M. Rahabi) ne sont pas celles d'apaisement». «La philosophie générale de Sarkozy lors de ce voyage est justement un voyage d'apaisement», dira-t-il avec cette idée bien claire d'opposer deux points de vue forcément différents. Il s'est dit, par ailleurs, «surpris» de voir «ce décalage profond qu'il y a entre les populations et les classes politiques» y compris dans son propre parti politique UMP (majoritaire) dont des députés ont voté la loi de février 2005. Comme pour justifier les gestes des élus du sud de la France, qui participent sciemment à raviver les nostalgiques de l'Algérie française, il a insinué qu'ils «ont un électorat local et leur prise de position qui est, quelques fois scandaleuse vis-à-vis de l'Algérie notamment, s'explique par la présence massive d'un électorat d'une population issue de l'Algérie (les rapatriés)». Même s'il trouve que le vote de la loi du 23 février 2005 - dont un article faisant l'apologie de la colonisation fut abrogé - «n'est pas constructif du tout», il a insisté sur le rôle des historiens dans l'écriture de cette histoire «partagée». Ce qui n'est pas l'avis du journaliste Jean-Pierre Tuquoi. Rappelant la «spécificité algérienne» bien détaillée dans son dernier opus «Paris-Alger: couple infernal», laquelle spécificité est traduite par «une colonisation de peuplement» pratiquée par la France coloniale, le journaliste a estimé qu'il est certes vrai qu'il y a changement de générations mais «cette mémoire commune, cette mémoire de l'Algérie française va continuer à peser longtemps sur la relation» entre les deux pays. «Je ne crois pas qu'il faille laisser simplement aux historiens le soin de trouver des compromis, d'écrire l'histoire entre la France et l'Algérie. Je crois que se défausser très facilement d'une responsabilité qui dépasse les historiens. Je crois que les politiques ont aussi leur part de responsabilité. Ils ont un rôle très important à jouer au moins aussi important que celui des historiens. Je pense qu'il revient aux politiques de faire en sorte qu'il y ait une mémoire partagée», s'est-il démarqué. Selon lui, le travail des politiques doit venir des gestes à faire et qui doivent aller dans le sens de cet «apaisement» tant souligné lors de cette rencontre. «Malheureusement avec ce qui est en train de se passer, on s'écarte un peu de ce chemin», a regretté M. Tuquoi. Travail des historiens et rôle des politiques vont ensemble, ont fait remarquer les intervenants, dont la sénatrice socialiste Bariza Khiari qui a plaidé pour «une normalisation» de ce «débat passionné». «Je pense qu'il est possible que nous arrivions à des relations plus saines, moins passionnées parce qu'on voit émerger une génération en France qui n'a pas connu la guerre d'Algérie». Pour elle, c'est là un élément générationnel qu'il «est important de prendre en considération». Repentance, reconnaissance, les nuances sont vite relevées par les uns et les autres. M. Rahabi l'a clairement souligné: «les Algériens savent mesurer les mots». Si le volet mémoriel s'est taillé la part du lion des débats de cette rencontre, d'autres sujets, telle la question de la circulation des personnes, ont été abordés. M. Rahabi a donné un chiffre qui renseigne sur les restrictions en vigueur depuis ces dernières années en matière de délivrance de visas. «Le volet humain est très important entre le Sud et le Nord» or «l'Occident est très aride» sur ce point et pour preuve, les visas délivrés aux Algériens ont diminué de «60%, pour passer de 750.000 à 200.000 visas» au cours de ces dernières années, a-t-il dit. Tous les intervenants se sont accordés à dire qu'il faut un «desserrement des visas» et une «meilleure fluidité» dans la circulation des personnes. Avec la pléthore des lois françaises sur l'immigration et les nouvelles mesures de plus en plus restrictives qui les accompagnent, ces propositions font malheureusement figure de voeux pieux.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)