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A la poste comme à la poste



A la poste comme à la poste
Un retraité de 65 ans a été terrassé par une crise cardiaque alors qu'il faisait la queue devant l'unique guichet de l'agence postale d'Arzew pour retirer sa pension. Evacué en urgence à l'hôpital de la ville, le malheureux a rendu l'âme en cours de route, nous apprend notre correspondant local.Après avoir rappelé qu'une crise cardiaque peut tout de même surprendre un homme malade n'importe où, histoire de dire, à juste titre, que les conditions d'accueil et de service du bureau de poste de la petite ville oranaise au grand port n'y étaient peut-être pour rien, le collègue nous informe quand même que «le manque de commodités et de confort dans ce bureau de poste est à dénoncer, car une simple visite des lieux permet de se rendre compte du calvaire que doivent endurer chaque fin de mois les retraités».Oui, on peut mourir n'importe où mais on peut ne pas vivre n'importe comment. Les retraités plus que les autres. D'abord parce que pour des raisons évidentes de biologie, il ne leur reste pas beaucoup de temps à vivre. En tout cas moins de temps qu'ils n'en ont déjà vécu. Ensuite parce que, quand on a travaillé si longtemps et souvent si durement, on devrait pouvoir se reposer dignement et si possible bouger de temps en temps parce que la vie, même à soixante-cinq ans et plus est le contraire de l'immobilité. Et si possible bouger vers des espaces plus humains parce que l'Humanité doit du respect aux humains parvenus au crépuscule de leur vie. Les retraités. Ils avaient espéré pouvoir goûter à «autre chose» parce qu'ils méritent bien ça. Maintenant, ils ont tous le visage en forme de détresse. Ils vont à la poste pour pouvoir survivre et la poste leur rappelle combien la vie est ingrate.Sous-payés mal considérés. Souvent malades et toujours souffrants. De solitude parce que les enfants ne sont plus là ou de désespoir parce que l'espoir est derrière eux. Ils sont l'incarnation de la tristesse et de la difficulté au jour le jour qu'ils vivent d'abord dans les aboutissements naturels, dont le déclin physique n'est pas des moindres. Alors, quand s'y ajoute le sentiment d'injustice qu'inspire l'effort mal récompensé, ça fait des dégâts sur des corps déjà bien entamés. L'effort de toute une vie. Les retraités. Ils ont travaillé, trente, quarante ans et parfois plus.Des boulots divers, de pénibilité différente certes, mais on n'en est pas aux nuances. Ils partagent l'indigence dramatique de ce qui est censé leur assurer le repos du guerrier, dans un minimum de confort et de dignité. Mais ils partagent surtout les horizons bouchés. Pourquoi ne pas aller à la pêche au lieu d'aller à la poste et faire sa crise cardiaque pour mourir dans l'ambulance qui ne vient jamais assez tôt 'Les enfants ne sont plus là, ils ont volé de leurs propres ailes, comme on dit. Ils aimeraient les appeler un jour pour leur demander de ramener les enfants. Un repas ou un week-end. Les appeler autrement que pour compléter l'ordonnance ou mettre la main à la poche afin de terminer des pensions érodées. Les retraités. Ils n'ont pas de maisons de retraite et, parfois, ils n'ont pas de maison tout court. Alors ils meurent sans avoir eu le temps de se reposer. On ne meurt pas qu'à la poste. Alors ils meurent comme ils peuvent.


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