Algérie

A FONDS PERDUS Des programmes sociaux pour les riches



A FONDS PERDUS Des programmes sociaux pour les riches
ammarbelhimer@hotmail.fr
Le monde arabe n'échappe pas aux lois universelles. Les fractures qui l'affectent peuvent àatre considérées comme des ajustements tardifs, au forceps, à l'évolution générale de la citoyenneté : civile au XVIIIe siècle, avec la proclamation des droits de l'Homme ; politique au XIXe siècle, avec la conquête du suffrage universel ; sociale au XXe siècle, avec l'émergence des droits à©conomiques et sociaux garantis par l'Etat. Citoyenneté sociale accentuée en raison du grave déficit à rattraper, peut-on même dire. Les résultats d'un récent sondage d'opinion intitulé Mena Speaks («la population de la région Mena s'exprime»), mené par la Banque mondiale en collaboration avec l'institut Gallup auprès d'échantillons nationaux représentatifs de la population en à‰gypte, en Jordanie, au Liban et en Tunisie, à©tablissent un attachement obsessionnel de ces populations aux programmes d'assistance. Ces populations se recrutent parmi les pauvres, qui en ont un besoin vital, mais à©galement auprès des couches moyennes, menacées de rechute à chaque instant. Des quatre pays à©tudiés, ce sont l'Egypte et la Jordanie qui enregistrent la plus grande opposition à une réforme des subventions, quelles qu'elles soient : six à‰gyptiens sur dix et pratiquement la moitié des Jordaniens (47%) interrogés ont refusé de choisir un produit pour lequel l'arrêt des subventions serait acceptable, même si le gouvernement devait procéder à un arbitrage faute de moyens suffisants. Les Tunisiens (27%) et les Libanais (5% seulement) semblent plus ouverts à cette idée. Les Algériens ne font pas partie du panel interrogé mais on peut, sans risque majeur de se tromper, les inscrire dans ces grandes tendances. Un seul agrégat est livré s'agissant de notre pays : 12 à 13% de la population algérienne vivent de revenus variant entre 2 et 2,5 USD par jour ! Une fois le sondage réalisé, la Banque mondiale a chargé une à©quipe de trois jeunes à©conomistes de décrypter les données relatives aux programmes d'assistance sociale dans la région. Les conclusions de leur recherche contenues dans un rapport de la Banque mondiale intitulé «Inclusion et résistance aux chocs — Perspectives pour l'assistance sociale au Moyen- Orient et en Afrique du Nord(*)» appuient l'urgence d'une réforme globale de ces programmes. Le document passe en revue la situation actuelle de l'assistance sociale dans la région, avant de projeter les principaux défis qui plaident en faveur de sa réforme pour la rendre «plus efficace et novatrice». Cette assistance est définie corrélativement à des programmes destinés à «des transferts non contributifs qui ciblent les populations pauvres et vulnérables » et qui comprennent «l'aide aux revenus, les programmes d'emplois temporaires, les services qui renforcent le capital humain et facilitent l'accès à la finance des populations pauvres et vulnérables». Les objectifs dévolus aux programmes en question sont de trois ordres : - l'inclusion sociale, à travers l'investissement dans le capital humain (tel que l'appui à la scolarisation ou une meilleure nutrition pour les enfants) ; - les moyens de subsistance, en protégeant de la misère ; - la résistance aux crises, en aidant les ménages à gérer les effets des chocs : entre 2005 et 2008, par exemple, 55% des à‰gyptiens ont connu au moins un à©pisode de pauvreté ou de quasi-pauvreté. Pour atteindre ces objectifs, il est requis une réorientation des programme d'assistance sociale vers les actions suivantes : mettre l'accent sur les personnes pauvres et vulnérables ; donner aux citoyens les outils nécessaires pour améliorer leur existence ; assurer un appui temporaire rapide en réponse aux crises ; donner la parole aux citoyens, promouvoir l'engagement civique et l'appropriation des politiques. Tous les pays de la région disposent de programmes sociaux, mais leur efficacité n'est pas à©tablie. Ils dépensent, en moyenne, 6 % de leur produit intérieur brut (PIB) en subventions. Les subventions du carburant représentent à elles seules 4,6 % du PIB en moyenne. Deux groupes sociaux sont jugés «particulièrement vulnérables » : les enfants (plus de 25% des enfants appartenant aux couches les plus démunies de la population en à‰gypte, au Maroc et en Syrie souffrent de malnutrition chronique) et les populations rurales ; mais les femmes, les personnes handicapées, et les personnes déplacées peuvent faire face à des difficultés supplémentaires. Les programmes actuels sont à caractère «universel au détriment de programmes plus efficaces », selon le rapport. «Inefficaces et pro-riches», précise plus loin le document : en à‰gypte et en Jordanie par exemple, plus de la moitié des subventions aux prix des carburants profitent aux 20% les plus riches de la population. Ils sont alors considérés à «faible impact sur la pauvreté et l'inégalité», en raison de «fuites importantes». Plus de 70 % des dépenses consacrées aux subventions alimentaires en à‰gypte et en Irak pourraient àatre à©conomisées si ces «fuites» à©taient colmatées. Les programmes actuels sont à©galement jugés fragmentés, et leurs financements et priorités déséquilibrés. L'indicateur le plus important de l'efficacité des programmes est l'impact sur la pauvreté et l'inégalité. Cet indicateur combine l'étendue de leur couverture, leur ciblage et leur générosité pour à©valuer leur effet global sur la redistribution des ressources. Un ciblage inadéquat se traduit par des «fuites» importantes des allocations vers les non-pauvres : le programme moyen d'assistance sociale dans la région, hors subvention, distribue seulement 23% du total de ses allocations au quintile inférieur. A titre de comparaison, ce chiffre est de 59 % pour les mêmes programmes en Amérique Latine et aux Caraà 'bes, ou en Europe de l'Est et en Asie centrale. Cela n'empêche cependant pas que de nombreuses personnes en dépendent pour sortir de la pauvreté. Afin d'évoluer vers des programmes plus efficaces, fiables et à©quitables, d'une part, financièrement, politiquement et administrativement durables, d'autre part, une double action est attendue. Sur le court terme, les programmes existants peuvent donner de meilleurs rendements, pour peu que leur conception soit adaptée, à©tablis des registres unifiés, ou expérimentés de nouveaux programmes pilotes. Sur le moyen terme, l'accent porterait sur une réforme globale des subventions qui donnerait la priorité aux interventions favorisant l'investissement dans le capital humain ; améliorerait le ciblage des couches pauvres et vulnérables ; et associerait d'autres parties prenantes que l'administration (les citoyens et les organisations à but non lucratif). Une façon de signifier que le salut est à chercher hors de l'Etat. Têtue la Banque mondiale. «Le bossu ne se redresse qu'une fois mort», disait Nikita Khroutchev.
A. B.
(*) Victoria Levin, Matteo Morgandi et Amina Semlali. Inclusion et résistance aux chocs — Perspectives pour l'assistance sociale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Banque mondiale, septembre 2012.
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