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«A ce jour, nul ne sait ce qu'on veut faire de la vieille médina»



«A ce jour, nul ne sait ce qu'on veut faire de la vieille médina»
Faux airs et vraie gouaille d'un Charles Bukowski, Djaffar Lesbet est un intellectuel dont le nom est intimement attaché à La Casbah. Architecte et sociologue, auteur de nombreuses études et expertises extrêmement fouillées sur La Casbah, Djaffar Lesbet est une référence en matière d'architecture vernaculaire, et sa parole fait autorité dans le milieu des urbanistes qui ?uvrent pour la revivification du vieil Alger.Aussi fut-il naturellement convié à prendre part à ce débat sur le devenir du patrimoine algérois lors des rencontres qui accompagnèrent la tenue du premier Salon de la ville d'Alger. Lui-même natif de La Casbah, précisément à la rue Bleue, Djaffar Lesbet n'a eu de cesse d'alerter sur la dégradation inexorable du quartier de son enfance. Classée patrimoine de l'humanité par l'Unesco en 1992, La Casbah, aux yeux de Djaffar Lesbet, n'est plus aujourd'hui qu'un «patrimoine cassé».«Elle est dans le coma, admise aux urgences. Son état décline de jour en jour», se désole-t-il. Pierre angulaire du «plan Lesbet» pour sauver La Casbah : ses habitants dont il attend davantage d'implication. Estimant que «l'Etat n'est que l'expression de la citoyenneté», il s'interroge : «Le citoyen, il est où '» «On l'oublie souvent, mais la citoyenneté, c'est aussi des devoirs. Qui paie ses impôts ' Qui paie ses taxes 'Qui paie ses charges '» lâche-t-il avant de lancer, à l'adresse de la salle : «Combien parmi vous ont assuré leur maison '» Ceci pour dire les limites de l'Etat-providence. «Après, on te dit : ya kho, ça ne marche pas.» Pour revenir à La Casbah, Lesbet estime qu'il est fondamental de répondre à ces trois questions : «La Casbah, pourquoi faire, pour qui, et à quelle condition '» «S'agit-il d'en faire un musée '», se demande-t-il. Lesbet le dit sans ambages : « A ce jour, nul ne sait ce qu'on veut faire de La Casbah.»Connu pour son franc-parler, l'homme ne mâche pas ses mots : «La Casbah, dans l'état où elle est, arrange tout le monde : le bureau d'études, parce qu'il y a des budgets, les architectes parce que leur rendu n'est pas contrôlé, le proprio parce que l'Etat retape sa maison gratis, le squatteur parce qu'on le reloge. Pourquoi voulez-vous que cette mécanique s'arrête ' Maintenant je peux faire un discours en pleurant : Ah La Casbah ! le patrimoine, l'histoire? Mais la réalité, ce n'est pas le mythe. Alors, qu'est-ce qu'on fait ' La première chose, c'est d'abord de répondre à cette question : que veut-on faire de La Casbah '»Prise en otage d'un «patrimoine cassé»Sur quoi repose le «plan Lesbet» pour sauver La Casbah ' Même s'il n'a pas eu le temps de développer dans le détail sa proposition, on comprend assez clairement que Djaffar Lesbet est tout sauf un partisan d'un plan qui sacrifierait le patrimoine sur l'autel de la «paix sociale».Une démarche qui entretient, selon lui, une forme de dégradation programmée, poussant les habitants à laisser dépérir (pour ne pas dire périr) leurs bâtisses en vue d'obtenir un logement gratuit. «Il faut mettre définitivement un terme à la prise en otage de notre patrimoine, contre l'attribution (paiement) d'une rançon-logement», martèle-t-il dans une étude intitulée La Casbah, patrimoine cassé (http://casbahalgerlesbet.blogspot.com).«Ce processus donne objectivement une prime à la démolition d'un secteur qu'on veut sauvegarder, pénalise les familles qui continuent malgré tout à entretenir leurs maisons surchargées. Il faut à tout prix que la dégradation des maisons cesse d'être payante», insiste-t-il.Dans une longue interview accordée à la revue Vie des Villes, il explicitait ainsi son propos : «Poursuivre le relogement des (auto)sinistrés est une grave erreur. Cela a encouragé les démolitions volontaires de maisons qu'on voudrait justement sauver. Il faut mettre le prix, même élevé, même douloureux, pour rompre ce cercle vicieux.» Pour lui, il faut trouver le juste prix à l'indemnisation des propriétaires qui n'ont pas les moyens de restaurer (ou réhabiliter, c'est selon) leur maison. «Il n'est bien sûr pas question de (les) léser.En tout état de cause, je ne donnerais pas cinq appartements, par exemple, pour cinq héritiers.» Dans la même interview, l'auteur de La Casbah d'Alger : gestion urbaine et vide social, recommande : «Pour les maisons en très mauvais état, je propose au propriétaire deux solutions : le confortement à ses frais ou le désistement au profit de l'Etat. Au XVIe siècle, il y avait une disposition du Dey d'Alger ; la ville subissait régulièrement les assauts des puissances espagnoles, hollandaises, etc., qui faisait obligation au propriétaire d'une maison effondrée ou touchée par les obus de la reconstruire ou la réparer dans le délai d'une année, sous peine d'en être exproprié. C'est ce qui explique pourquoi La Casbah était régulièrement entretenue.»


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