Algérie - A la une

A cause de «Marie Jolie»



Amir Dz, le cyberactiviste qui ratisse large pour son compte commun avec Rachad et ses affidés, distillait impunément ses rodomontades niveau ras de bitume. ça ne semblait embêter personne ! Puis, voilà, que le 5 juillet dernier, place de la République à Paris où il trône le dimanche, il étrenne un discours tout neuf tout beau sur la laïcité. Et là, on l'arrête ! Un rapport entre les deux ' Nous sommes encore en plein surréalisme, dans un brouillage de la volonté et de la conscience. Enchaînement.Un truc sur l'écriture automatique ' N'importe quoi ! Les idées s'interpellent les unes, les autres par leur prénom sinon par leur sobriquet. Traverser une voie. Bizarre ! Ça devrait évoquer «Un tramway nommé désir», la pièce de Tennessee Williams devenue le film d'Elia Kazan. Eh bien non ! Ça fait plutôt penser à ce malheureux chauffeur de bus qui, à Bayonne, en France, s'est fait massacrer parce qu'il avait exigé de ses passagers le port du masque.
Gestes barrières. «Tu es ridicule avec ton masque», me disait l'autre jour à la cantine, un vague copain qui, lui, n'a peur ni des virus, ni du ridicule.
En regardant à la télé un reportage sur l'analyse des eaux usées, on apprend le retour en force en France de la Covid-19. Cette analyse donne en effet une alerte anticipée de ce qui attend un pays développé. Si l'épidémie reprend, je dénoncerai publiquement ceux qui non seulement fanfaronnent en ne respectant pas les gestes barrières, mais aussi raillent ceux qui les observent. Surréalisme, encore !
J'ai surpris dans un café un étudiant fraîchement arrivé d'Algérie qui commentait avec l'un de ses amis la nomination de Roselyne Bachelot au ministère de la Culture français, remarquant que lors des passations de consignes, on se fait la bise à tout va. Foin des précautions !
Par sadisme, j'ai demandé à ce compatriote étudiant le nom de la ministre de la Culture algérienne. Et par sadisme, il m'a retourné la question. Nous fûmes, l'un et l'autre, bien incapables de la citer. Aliénation des médias !
Ça n'a rien à voir, mais j'écoutais sur mon smartphone «Nights in white satin» des Moody Blues, cette intersection entre la variété et la symphonie, tout en entendant des harraga algériens égrener la chronique de leurs galères domestiques. J'ai repensé à «C'est extra» de Léo Ferré, mais aussi à ces années 1970 durant lesquelles les jeunes de mon quartier d'Alger qui, découvrant l'engouement du jeu de saute-frontières, finissaient par s'oublier, souvent avec des faux papelards, de préférence en Angleterre. Perfide Albion !
Allez savoir pourquoi, j'ai repensé aussi à cette rencontre dans une petite ville française avec un septuagénaire de mes connaissances, musicien amateur dans sa jeunesse qui, répondant à la question de la raison de son départ en Europe me confia que c'était à cause du chant des sirènes. «Quand j'ai entendu à la radio «Marie-Jolie» des Aphrodite's Child, j'ai couru prendre le bateau pour Marseille.» Sacrée fascination pour l'Europe ! Le phalène se cogne contre la lampe, attiré par la lumière. Mon pote complétera plus tard : «Je n'ai jamais rencontré Marie-Jolie, et ça fait plus de 40 ans que je rame !»
C'étaient des harraga avant la lettre, sauf que ceux-là partaient avec passeport et autorisation de sortie. A l'époque, faut le dire, la vie en Algérie était nettement plus intéressante qu'aujourd'hui, mais ils fichaient le camp pour presque les mêmes raisons, mal-être, sensation d'enfermement, censure, surveillance policière.
Après le passage destructeur de la décennie noire et le règne émollient de Bouteflika, l'air d'Algérie est devenu du coup carrément irrespirable pour les jeunes tant il est saturé de la charogne de la corruption, de la prédation et de la perversion de ceux qui sont censés incarner l'exemplarité de la responsabilité publique. L'enfermement, l'arbitraire, l'abolition de l'avenir, la médiocrité, la dévaluation du sentiment politique au sens de la noblesse de la gestion de la cité, ont conduit des milliers de jeunes à préférer le risque d'une noyade en Méditerranée à une vie qui n'en est pas une. Ce qui a inspiré les jeunes du Printemps noir de 2001, à rétorquer aux gendarmes qui les menaçaient de leurs armes : «Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts.»
Au début du Hirak, des manifestants ont brandi des banderoles demandant pardon aux harraga pour l'indifférence que leur sort suscitait. Etant eux-mêmes des signaux d'alerte du malaise qui allait conduire au Hirak, ils sont inscrits dans la préhistoire de ce mouvement.
A l'heure où l'on célèbre le retour des crânes des résistants algériens de la bataille de Zaâtcha, morts il y a plus d'un siècle, je souscris à cette idée d'une amie, d'un nécessaire travail de mémoire sur ces morts sans sépulture que sont les harraga disparus en mer.
Un monument à leur mémoire, et si possible avec l'inscription de leurs patronymes, serait un noble acte d'expiation qui grandirait l'Etat algérien de n'avoir pas su offrir d'autre choix à sa jeunesse que la prison intérieure ou la mort.
Puisqu'on cause de tout et de rien, j'ai vu un documentaire sur le peintre allemand contemporain Néo Rauch qui me parle. Influencé par le surréalisme, il est né dans les années de la construction du mur de Berlin, du côté Est. Il incarne l'énigme et la violence de l'identité obsidionale. Ou comment accommoder une identité claquemurée dans un glacis, à son revers de la médaille. L'énigme des dominés qui vont à la conquête de la liberté telle que leur dominateur la conçoit. Dans ce rapport entre l'Est effondré et l'Ouest conquérant, il y a quelque chose de notre rapport à l'Occident.
Quel lien à l'écriture automatique ' «L'écriture automatique et les récits de rêves présentent l'avantage de proposer une clé capable d'ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s'appelle l'homme», disait le prophète du surréalisme, André Breton.
Les harraga nous hantent. Ils sont souvent dans les manifestations du Hirak en Europe. Souvent aussi, c'est après coup qu'ils réalisent la folie de ce qu'ils ont accompli pour en arriver à des situations d'une grande précarité. Et pour survivre, ils tombent dans l'escarcelle des Amir Dz !
A. M.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)