Alger - Photojournalisme

War Reporter: Documentaire tunisien sur et avec les reporters de guerre, par Amine Boukhris



Au début, il filmait 'juste la révolution". Puis, son ami photographe Lucas Mebrouk Dolega est mort à Tunis d'un tir de grenade lacrymogène. "C'est là que j'ai commencé".

Amine Boukhris a les chaussures qui brillent ce soir, mais son documentaire parle de boue, de la violence de la guerre et de ceux qui la filme. War Reporter (Journaliste de guerre) vient d'être projeté à l'ouverture des Rencontres des réalisateurs tunisiens. Fruit de trois ans de travail et de recherche, il montre des images inédites.

Lui-même caméraman, Amine est allé rencontrer plusieurs reporters. Eyad Hamad, Ahmed Bahaddou ou encore Nassim Boumzar ont fait les révolutions arabes, ils ont fait les guerres. Ils lui ont livré leur rushs, ces séquences jamais utilisées par les médias. Et ils se sont livrés, aussi. Entre leurs images de balles perdues et de décombres, les observateurs de la guerre racontent les souvenirs, les insomnies et la passion de la caméra.

On entrevoit parfois des hommes eux-mêmes en décombres. La citation inaugurale du reporter Rémi Ochlik en dit beaucoup.

"La guerre est pire qu'une drogue"

Amine Boukhris est de bonne humeur. Il rigole en me racontant ses déboires avec les reporters.

"Je les retrouvais à une frontière donnée, et ils étaient soudain envoyés autre part pour filmer. Je me retrouvais tout seul".
Parfois, il a dû faire avec les moyens du bord. Alors qu'il avait rendez-vous près de la frontière turco-syrienne avec le Belge-marocain Ahmed Bahaddou, il casse sa caméra par inadvertance. Il n'a plus rien pour filmer son interview. Les deux compères tombent finalement sur "un touriste avec une caméra géniale" prêt à la leur prêter. Résultat, Ahmed, qui s'apprête à entrer clandestinement en Syrie, est filmé sur fond de plage touristique et de palmiers.

War Reporter est bourré d'images. Amine voulait tous les angles, et "c'était un boulot de recherche énorme". Une scène montre un reporter sur un champ de bataille. Le plan suivant, filmé de loin, montre à la fois le reporter et son collègue en train de le filmer. Comme dans un film.

Il n'hésite pas à équiper un reporter en Syrie d'une caméra GoPro et à en suivre un autre en Libye. Pas de voix off, peu de musique. Le montage est sobre et juste car les images disent tout.

Grâce à ces hommes incapables d'éteindre leurs caméras, on les accompagne en Tunisie, en Libye, en Egypte, en Palestine et en Syrie. Sur le terrain, on court avec eux, on fume une cigarette avec eux. On pense, avec eux, aux snipers embusqués.

"Ce n'est pas un film sur les reporters de guerre, c'est un film avec les reporters de guerre", souligne Amine.

Chacun à sa manière, ils semblent tous coincés entre les passions contradictoires du risque et de la survie.

Des survivants et deux enterrements

"Un reporter ne devient le sujet que quand il est blessé, enlevé ou tué", confie le Palestinien Hamad Eyad à la caméra.

Le comble du reporter est au coeur d'un film qui, pour une fois, fait passer devant la caméra ceux qui préfèrent la tenir.

Amine Boukhris a retrouvé en exclusivité les dernières images de Lucas Mebrouk Dolega. Touché par un tir de grenade lacrymogène le 14 janvier à Tunis, le photographe est transporté en voiture jusqu'à l'hôpital. Tout au long du trajet, une caméra est rivée sur son visage ensanglanté. A l'arrivée, les médecins le prennent en charge et annoncent qu'au pire, il perdra un oeil.

De retour à l'hôpital le lendemain, ses amis découvre qu'il est mort.

Le reporter français Rémi Ochlik y était et s'en souvient. Amine a interviewé le reporter français peu avant que Rémi ne parte pour la Syrie. Le 22 février 2012, Rémi y mourra sous les bombes à Baba Amr, aux côtés de l'Américaine Marie Colvin.

Amine hésite à poursuivre son projet de documentaire. "C'était vraiment le choc", se rappelle-t-il. C'est finalement Nathalie Donnadieu, compagne de Lucas et amie de Rémi, qui le convaincra.

War Reporter s'applique à ne pas poser de questions. Mais à la vue des reporters tiraillés entre l'adrénaline, l'information et le bonheur de "rentrer vivant", elles apparaissent tout naturellement. Chacun se posera les siennes.

En compétition au Festival de Dubaï, le film a eu du succès. "Juste, on n'a pas eu le prix", ironise Amine. Selon la directrice de distribution, ils auraient déjà reçu des demandes et des confirmations pour d'autres festivals. Avec un petit budget, ils sont allé chercher un grand sujet.

Les images semblent inarrêtables. Avec Lucas, dans la voiture vers l'hôpital, un ami journaliste tente de le réconforter. "Ca va aller, tient le coup". Et puis, plusieurs fois, il dit à un troisième: "Filme, filme".





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