Alger - Revue de Presse

Tlemcen: Ennayer, entre flopée d?adages et saignée des ménages


La fête de Ennayer intervient cette année dans un contexte particulier marqué par un élan altermondialiste culturel, visant la sauvegarde du patrimoine immatériel consacrée par une convention de l?Unesco dont l?Algérie est, faut-il le souligner, le premier Etat signataire.A ce titre, l?institution de la date du 12 janvier, fête du Nouvel An berbère, comme fête nationale chômée et payée (jour férié) n?est pas à écarter, selon une information rapportée par un quotidien national indépendant. A l?instar des autres régions du pays, Tlemcen ne rate pas, coutume oblige, ce passage au Nouvel An amazigh, coïncidant avec le 12 janvier de l?année grégorienne, pour célébrer copieusement cette fête agraire, dont la date fixe dans le calendrier solaire, les rites auxquels elle donne lieu, lui assigne une origine païenne, bien antérieure à l?Islam, sachant qu?elle était célébrée dans les royaumes berbères qui existaient à travers le Maghreb, pendant la civilisation lybico-punique (soit environ 590 ans avant Jésus-Christ ). Pourquoi le 12 janvier ? Parce qu?à cette date, il est dit que le roi berbère «Chechnak» a vaincu l?armée des pharaons d?Egypte venue conquérir les terres algériennes.La fête de «Yennayer» est donc synonyme de victoire des Algériens (berbères) sur leurs conquérants d?Egypte. L?an zéro du calendrier berbère a été arrêté assez récemment, probablement par l?Académie berbère, qui a pris comme point de départ les temps des Egyptiens anciens, lorsque le roi lybien (berbère) Chechonq 1er (Cacnaq), fondateur de la 22ème dynastie égyptienne, prit le trône et devint pharaon en Egypte. L?«ère Chachnaq» compte les années à partir de 950 av. J.C ; par conséquent, l?année 2008 correspond à l?année 2958 du calendrier berbère.Il convient de noter dans ce contexte que les soldats français sont entrés pour la première fois à Tlemcen un... 13 janvier 1836, un jour de fête (Ennayer)... Jadis, Ennayer donnait lieu à Tlemcen à deux rites célébrés successivement. Il s?agit de «Nefqat l?ham» (don en viande) du 12 janvier et «Nefqat el qarmouss» (don en figues sèches) du 13 janvier. Quant à la cérémonie proprement dite du 14 janvier, c?est-à-dire Ennayer, elle était marquée par un repas ou plutôt une collation offerte le soir, composée de fruits secs principalement. C?est le traditionnel mais non moins copieux «t?baq» dit (rempli de) «qa?qcha».A cette occasion, les mères de famille préparaient pour leurs enfants les succulentes «grissa?te ba? oula?jdad» (une sorte de galette ronde, ornée d?un oeuf cuit «scellé» avec de la pâte «croisée», badigeonnée de jaune d?oeuf et décorée de petits morceaux de sucre ou de cacahuètes, une coutume culinaire qu?on retrouve même en... Grèce. Une fois cuite dans le four banal du quartier, chaque enfant mettait sa «grissa» dans un sac en tissu, soigneusement confectionnés à l?avance par les mamans ou à défaut un petit panier en osier «slila» acheté pour la circonstance chez Abbès de la Souika...Pour «inhiber» les excès alimentaires (boulimie) de leurs enfants, les parents évoquaient à cet effet la méchante et énigmatique croquemitaine «Adjouzat Ennayer», l?alter ego de «Tergou» (cette femme surnaturelle qui se raccourcit et s?allonge, et que l?imagination berbère a ajouté à la démonologie déjà riche de l?Arabie antéislamique et de l?Islam classique), qui leur ouvrirait le ventre en le bourrant de paille.Par ailleurs, les fiancés devaient envoyer à cette occasion des cadeaux à leurs fiancées, en l?occurrence un «t?ifour» (petite table ronde) garni de figues sèches, de fruits divers et de gâteaux traditionnels (samsa, kâ?bouzel, maq?rout, griouèche...) ; la dulcinée devait pour sa part retourner à son prince charmant le plateau traditionnel chargé de «sfendj» (beignets) et une marmite de miel... pur.Côté gastronomique proprement dit, on préparait à cette occasion un ragoût à base de poulet décoré de «trid» (pâte cuite en feuilles très minces à l?aide d?un fourneau en terre cuite dite «terra?da»). A Nédroma, on mangeait du «zelif» (tête de mouton au four ou en sauce): «Celui qui mange un «ras» (zelif) à l?occasion de Ennayer, restera un «ras» (une personnalité), disait l?adage dans la cité de Abdelmoumen Ben Ali.A Tlemcen, on consommait également ce jour-là du «berkoukess bel?hlib» (on faisait bouillir de la semoule granulée dans du lait de vache). Au menu aussi la fameuse «h?rira» (soupe à la levure boulanger ou pâte domestique, tirant vraisemblablement son nom de «bouillie épicée» avec une «coloration» hypocoristique, dont Tlemcen et Oujda se disputent jalousement la «signature» culinaire, d?ailleurs très prisée chez les familles koulouglies de la cité des Zianides, notamment, saupoudrée de «karwi?ya» (carvis): «chah?di ya?l karwiya, ma? tmouch?yhoudia» (O carvis, prononce la profession de foi si tu ne veux pas mourir en Juif), une parole «incantatoire», rituelle, qu?on prononçait au moment de la préparation de ce plat de luxe.C?est aussi à la faveur de cette fête qu?on renouvelait la «k?hmira?t ennayer » (levain) pour le pain de maison ou la «h?rira» de Ramadan. En outre, le «cher?chem» concocté à base de blé, de fèves et de pois verts était à l?honneur à cette occasion : «qoul cher?chem l?a t?ah?chem» (Mange du cher?chem à ta guise), invitait-on son hôte. Au titre du cérémonial agraire, on accomplissait un rituel qui consistait à déposer au premier soc un «paquet» contenant du levain, des fèves, des figues et une grenade: «kha?lli zitou?neq l?i ennayer, ya?dma?neq l?akhassair» (Conserve tes olives pour Ennayer pour compenser tes pertes), disait un autre adage. Lors de la soirée de Ennayer, les fillettes confectionnaient des poupées artisanales pour jouer à «qa?ch blissa» (les vêtements de la fée) en fredonnant un «haoufi».Au cours de la fête de l?Ennayer, des masques divers interviennent, réclamant de l?argent ou des mets destinés à la célébration collective. On citera dans ce cadre «Bu Bnani» à Tlemcen, «l?âne aux figues» à Nédroma, «Ayrad» à Béni-Snous...Au titre des actions de bienfaisance, un groupe de «tolba» (étudiants du Coran, à Djamaâ Echorfa, en l?occurrence), dirigé par un jeune «taleb» portant une «kabouya bsi?bsi» (citrouille évidée) en guise de masque et une barbe postiche préparée avec du gypse, passait dans les maisons pour collecter les dons (en fruits) destinés aux pauvres à qui leur était offerte une collation au sein de la mosquée (la charité avait) ses règles et la philanthropie sa pédagogie). Lors de leur tournée caritative rituelle, les jeunes bénévoles chantaient en choeur: «Bouménani, (le détenteur de la manne ou Bu Bnani), ha ! ha !» (une sorte de «père Noël», version locale) qu?ils répétaient dix fois (remarquez au passage cette similitude dans la consonance entre «Bu Bnani» et «Bounani», notre «Bonne année» dialectal... «Avec quoi tu vas contribuer, ô Bouménani ?». Aussitôt, s?instaurait pour la circonstance un dialogue «tacite» :«Je donnerai chriha, el kermouss, el djaouz el farouqi, erroumane el mech?qouq... had dar, dar Allah, oua tolba a?bed Allah, am?mar ha oua tam?mar ?ha, bi jaheq ya rassoul Allal (QSSL)», leur promettait le «virtuel» Bouménani... Au cas où une famille ne faisait pas le geste (par égoïsme ou indigence, c?est selon), elle recevait ce message «codé» (chanté): «el mas?mar fel louh, moul eddar med?bouh, chabria m?alqa, moula?t eddar m?talqa!»; on jetait ainsi un «mauvais sort» au mari (l?accident par blessure, en l?occurrence) et à sa femme (le divorce)...Cette fête, version «zerda» ou plutôt «touiza» était également célébrée «extra-muros» jusqu?à une date récente, dans certaines localités comme Khémis, Kef, Béni-Boussaïd... On organise toujours à Béni-Snous, dans un cadre typiquement folklorique, un carnaval libellé «Ayrad» où un fellah se travestit en la circonstance en lion ou en personnage masqué, pour recueillir les offrandes, en l?occurrence les fruits secs, qui seront, par la suite, distribués aux pauvres gens, dans un esprit de solidarité et de concorde.           Cette manifestation culturelle séculaire, qui se tient chaque année à l?initiative de l?association «Edhakira Essanoucia» de la localité précitée, sera organisée cette fois-ci «extra-muros» à Oran (à la maison des Arts et de la Culture Zeddour Brahim Belkacem) à l?invitation de l?association culturelle «Numidia». Selon le professeur Abdel?Illah Guellil, chercheur en soufisme, la célébration de la fête de Ennayer fut soutenue par l?illustre savant pluridisciplinaire Cheïkh Mohamed Benyoucef Benameur Ben Choaïb Essenouci(1424-1485), natif de Tlemcen, «spécialiste» de la théologie unitaire dite «ettawhid» et auteur du chef d?oeuvre «El Akida Essoughra». Comme il est loisible de le constater, dans la tradition populaire, la fête de Ennayer était assimilée à une «touiza» pour les pauvres, en donnant lieu à une sorte de «gala» de solidarité, via «Bouménani» et/ou «Ayrad»... Mais qu?en est-il aujourd?hui de cette coutume ? Force est de constater que la fête d?Ennayer, celle du «partage», est réduite à sa plus simple expression, «individualisée», à savoir l?indétrônable mais non moins onéreux plat(eau) «tba?q qa?qcha» (ou shifet m?khelta) qui a survécu à l?érosion culturelle du temps, voire celle du pouvoir d?achat.En effet, plusieurs jours avant la célébration de Ennayer, on pourra assister du côté du marché couvert, à un commerce intense de fruits de toute sorte. Les magasins, notamment ceux spécialisés dans les fruits de saison (l?alléchant kiosque de Bab El-Djiad en tête) améliorent leurs étals en les garnissant ostensiblement de fruits secs très prisés à cette occasion. Même les vendeurs à la sauvette sont de la partie, pardon de la fête. Au niveau d?El-Medress ou à Souk El-Ghzel, soit le périmètre du marché couvert, la mercuriale spéciale Ennayer affiche les prix suivants: noix/marrons d?Inde: 500 DA/kg; noisettes: 700 DA/kg; figues sèches «marocaines» (conditionnées): 300 DA/kg; figues locales: 200 DA/kg ; amandes avec coque: 400 DA; cacahuètes avec épluchures: 200 DA/kg ; dattes dites «deglet nour»: 350 DA/kg; dattes sèches dites «tamenghom»: 80 DA/kg; dattes dites «hmira»: 60 DA/kg; marrons «bellout»: 40 DA/kg; pistaches: 800 DA/kg.Les fruits exotiques ne sont pas en reste: bananes: 140 DA/kg; kiwi: 350 DA/kg; avocats/mangues: 500 DA/kg; ananas: 300 DA/kg ainsi que les autres «décorations» juteuses telles que les pommes (golden): 150 DA/kg, les poires: 160 DA/kg, les oranges (thomson): 80 DA/kg, la clémentine (sans pépins): 120 DA/kg, les raisins: 1600 DA/kg ! les prunes et les pêches: 1400 DA/kg, sans oublier l?incontournable «halwa turc» à 170 DA/kg...On aura remarqué une cohabitation «festive» des dattes de Biskra avec les noix du Mexique, les noisettes d?Espagne ou du Pakistan et les pistaches d?Iran, des figues sèches de Béni-Snous ou Zelboun avec celles du Maroc... Quant aux fruits exotiques, les bananes de l?Equateur côtoient les ananas d?Australie et les mangues de l?Inde «s?affichent» avec le kiwi de la Nouvelle-Zélande...Ennayer semble bien s?accommoder ou plutôt s?adapter au «vent» de la mondialisation agraire. C?est le prix à payer si l?on veut offrir à sa petite famille la rituelle mais non moins onéreuse «qa?qcha», ce coktail de fruits secs qui flattera les pupilles gustatives aussi bien des enfants que des adultes qui imputent sournoisement et à chaque occasion ces «saignées» récurrentes (des diverses fêtes) à leur progéniture en occultant leurs propres envies (mouton, gâteaux, fruits secs) ou leurs «fantasmes» d?enfance (pétards, feux d?artifices)... Pour les «grissates», version «améliorée» dite «Mona», on pourra toujours se les acheter à 45 DA la pièce chez des boulangers pâtissiers, en l?occurrence Zine de Blass El-Khadem ou Yahouni de la place Emir Abdelkader car les fours banals (ferrane) où on faisait cuire cette galette traditionnelle, ont pratiquement disparu du paysage «immatériel» de la ville. Quant à la «slila», il faudrait faire un petit tour du côté du foundouq Rostane de Tafrata où elle est proposée à 150 DA (100 DA pour la «q?fifa»).Nous ne manquerons pas de rendre en cette occasion un vibrant hommage à tous ces chaleureux «terrahine» (préposés aux fours banals) qui ont marqué de leurs «empreintes» expertes, indélébiles, la mémoire populaire de la vieille médina et d?autres quartiers de Tlemcen, et qui ne sont plus de ce monde. Nous citerons les feu Si Boumédiène (Salhi) de Sid El-Djebbar, El-Mokhtar de Bab El-Qorrane, Boumédiène «La?mèche» de Bab Ali, Dali Ali de Hart R?ma, Ghermoul de Derb El-Kadi (ex-rue des forgerons, à ne pas confondre avec l?autre ruelle de Bab El-Djiad), Bendahma de derb El-Hadjamine, Boufeldja de Rhiba, Kherris de Bab El-Djiad, Benselka de derb Béni-Djemla, Semmoud de derb Sid El-Yeddoune, Mir d?El-Kaâla inférieure, Dib de Feddane Sebaâ, Boumédiène «El H?chaïchi» de Sid El-Halloui, Chekroune de Bab Zir, Grine et Bouguima d?El-Eubbad, Hmimed de Sidi Chaker, Benaïssa de Bab El-Hdid, El-Abd? de Beau Séjour, Kouider de Sidi Yacoub, El-Moukhfi d?Agadir, Moussa et Bénali de R?bat, Bahbah de derb El-Y?houd, Chérif de derb Bensekkine, Kalaïdji de derb Sidi Amrane, Kerzabi de Derb Messoufa).Il est à noter que cette année, la fête de Ennayer intervient au lendemain d?une autre, tout aussi gastronomique, qui est l?Aïd El-Adha «suivie» du Réveillon avec son inévitable bûche de Noël. En somme, deux fêtes qui vont grever pour ne pas dire «crever», dans une complicité «culturelle» tacite, le budget des ménages, notamment les petites bourses. Nonobstant, un proverbe tlemcenien, illustrant bien cette situation, dit : «li houb ch?bah ma? oul ah !» (celui qui aime dépenser, ne doit pas se plaindre...).Enfin, il faut reconnaître que si la sauvegarde du patrimoine immatériel (en l?occurrence les us et coutumes) n?a pas de prix, elle a quand même un coût, pardon un «goût» salé («voir» la facture) ! N?est-ce pas monsieur Mounir Bouchenaki ?Entre le FMI et l?UNESCO, le coeur du «sujet» culturel (consommateur) balance... A propos d?argent, «douze» (12 !) syndicats ont appelé à une grève nationale le... 15 janvier en cours (hasard de calendrier ou «timing» ?) pour protester justement contre «l?érosion du pouvoir d?achat»... Allez, trêve de lamentations. Bon appétit à tous et... assegass ameggaz...
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