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Rachid Bouchareb : « Je serai présent le 7 octobre à Alger avec Jamel Debbouze et Sami Naceri. » Au lieu de Tom Hanks…




J’ai pris Jacques Chirac par le bras, pour lui dire : « Vous comprenez pourquoi vous devez reconnaître les droits de ces hommes-là ? ».


Après avoir débuté en explorant le présent et la 2e génération avec Bâton rouge, Indigènes s’inscrit plutôt dans le registre de la mémoire. Est-ce à dire que la récupération et la réécriture du passé est un passage obligé vers une intégration réussie ?

Je suis en accord total avec Jamel Debbouze et mes autres acteurs pour rejeter ce soi-disant concept d’intégration. Pourquoi ? Parce que celà signifie qu’on nous fait rentrer dans une case ou un compartiment préalablement défini pour nous. Or, ce n’est pas à nous de faire mouvement vers la société française. C’est à elle de prendre en charge et de s’occuper de tous les enfants de France ; expression chère à Jacques Chirac. C’était au lendemain des émeutes dans les banlieues d’octobre-novembre 2005. On ne cesse de nous demander à nous, Franco-maghrébins ou Français-musulmans, de nous intégrer. Mais l’a-t-on demandé à mes copains portugais ou italiens à l’époque ? Aujourd’hui, je constate que mon copain Bruno avec qui j’ai grandi est devenu plus vite français que moi... Certes, le passé douloureux de l’Algérie, la colonisation aussi, expliquent en partie ce phénomène. Mais il existe une réelle réticence à accepter l’Islam en France. On a bloqué l’existence de 5 millions de musulmans dont certains continuent à prier dans des caves.

 

Lorsqu’on s’attaque à un film de guerre, se livre-t-on à une enquête filmique ? Quelles ont été tes références cinématographiques en abordant Indigènes ?

J’ai pratiquement tout vu il y a 3 ans. Les films russes, américains, japonais, allemands, coréens, anglais sur la guerre. Même des westerns comme Soldat bleu et Little Big Man dans la mesure où les Indiens sont les indigènes de l’Amérique. Après tous ces visionnages, j’ai fait en sorte de tout oublier pour ne pas refaire les mêmes films. J’ai surtout bien observé comment on tournait les séquences de guerre. Je me suis placé à l’échelle du monde, de l’universel. Maîtriser des explosions de 25 m de haut, c’était ça être à la hauteur quand vous avez trois millions d’euros à consacrer uniquement aux effets spéciaux avec un an de préparation et 25 artificiers à coordonner sur le tournage.

 

Comment articule-t-on au niveau du récit, l’arrière-plan historique et la création qui passe par des personnages incarnés, ce que les Américains appellent des « caracters » ?

J’ai d’abord rencontré une centaine de vétérans en Algérie, au Maroc, au Sénégal et dans toutes les grandes villes de France. à‡a a constitué pour moi le matériau humain le plus important et ces rencontres se sont étalées sur une année. J’ai aussi passé 6 mois à consulter les archives en bibliothèques et au service des armées à Vincennes et c’est là que j’ai pu constater la quasi-absence d’images concernant les tirailleurs au combat. Ils n’ont guère été filmés tandis que les métropolitains monopolisent l’image. C’est pour cela que dans Indigènes, dans la dernière séquence, celle du combat en Alsace, on voit le cameraman des armées orienter sa caméra vers les renforts métropolitains qui ne font qu’arriver après la bataille, ignorant et occultant la participation aux combats d’un grand nombre d’autres libérateurs en l’occurrence les tirailleurs. Il faut rappeler qu’en 1943, l’armée d’Afrique c’était 80 000 Algériens sur 230 000 et que c’était aussi 80 000 d’entre eux en 1940 qui ont fini dans les camps de prisonniers en Allemagne. Sur un million de détenus dans les camps, 300 000 étaient des Nord-Africains. A cette époque, des Marocains faisaient partie du régiment algérien et vice-versa. Ainsi, Ben Bella était-il dans le RTM. D’ailleurs, pour moi, le personnage d’Abdelkader qui est lettré (Sami Bouajila) représente quelque part le sergent Ben Bella de Monte Cassino et Marseille. J’ai voulu changer le faciès des héros libérateurs. Ainsi, au lieu de reconnaître Tom Hanks, nos jeunes de banlieues peuvent se reconnaître en Jamel Debbouze ou Sami Naceri revêtus des uniformes des GI américains qu’ils portaient à l’époque. Ainsi, ressort bien la figure du héros soldat musulman.

 

On a pour habitude de dire qu’un film ne change pas la réalité. Et pourtant, vous attendiez-vous à cette décision ou l’espériez-vous sans trop y croire ?

Sincèrement, je croyais qu’on arriverait à cette réparation d’une injustice qui durait depuis la « cristallisation » (le gel des pensions) de 1959, soit 47 ans. Il faut dire que nous n’étions pas seuls. Nombre d’associations telles que le GISTI (soutien d’avocats aux travailleurs immigrés) ou la Ligue des droits de l’homme se sont activées depuis des années. De plus, la conjoncture, avec des échéances électorales très proches, (la présidentielle et les législatives de 2007) était favorable. Il fallait mettre un terme à ce RMI qui se substituait aux pensions rétablies dans leur équité. Sans parler de l’obligation faite à ces vétérans de séjourner 9 mois sur 12 sur le territoire français pour percevoir une aumône. Quant à Jacques Chirac, il a vu le film parce qu’il y a eu négociation au préalable. En effet, la Fondation Claude Pompidou a organisé une projection au tarif de 1000 euros destinés à des œuvres sociales. Pour notre part, réalisateur et comédiens, on a été unanimes. On ne participe que si Jacques Chirac nous reçoit avant la projection. Le principe accepté, on lui a remis notre appel de l’égalité des droits entre soldats français et combattants des ex-colonies, lequel appel avait été mis sur Internet. Puis il nous a reçu acteurs et moi-même, 20 minutes avant la projection. Lors de celle-ci, Jamel Debbouze et moi-même étions assis aux côtés du président. L’issue de la projection a été saluée par un tonnerre d’applaudissements aussi imposants qu’au Festival de Cannes. Aussi ce 5 septembre 2006 restera pour moi une date inoubliable d’autant que j’ai pris Chirac par le bras pour lui dire : « Vous comprenez pourquoi vous devez reconnaître les droits de ces hommes-là ? » « Assurément ! », a-t-il répondu sur le moment. Mais nous ne nous sommes pas limités à la personne du président de la République. On a invité tous les gens rencontrés à travers notre tour de France avec le film, à signer l’appel sur Internet. En trois semaines, il y a eu 58 000 téléchargements. Nombre de gens, au vu du film, étaient à la fois choqués et émus. C’est Bernadette Chirac qui m’a dit : « L’opinion publique va s’emparer du film et de son propos ! » Parallèlement, je continue à voir les anciens combattants et avec les acteurs notre mot d’ordre sur les plateaux de télévision c’est « arracher la décision gouvernementale d’égalité des pensions. » Pendant la semaine qui a suivi la projection présidentielle, on a réclamé du gouvernement un communiqué avant la sortie du 27 qui stipule que les discriminations sont abolies entre combattants de différentes origines. Et la veille, le 26, j’ai reçu un appel du ministre des Anciens combattants pour m’annoncer la bonne nouvelle avant le Conseil des ministres du mercredi 27 septembre.

Dans un article commis pour le journal, Les Echos, un historien français conteste que les tirailleurs aient été de la chair à canon et qu’ils soient morts en grand nombre. Que lui réponds-tu ?

C’est proprement scandaleux et honteux. Quand j’entends aussi le vice-président du Front national affirmer que Indigènes traîne la France dans la boue, c’est inadmissible.

 

Quels soutiens avez-vous obtenus ?

J’ai commencé réellement à travailler, il y a 5 ans par les recherches documentaires et l’écriture ensuite du scénario qui nous a pris deux ans et demi. Dès la première mouture, nous nous sommes mis en quête de financements. Et là, je dois dire à leur crédit que nous avons rencontré des gens formidables. A commencer par Claude Bébéar du groupe d’assurances AXA, inscrit au CAC 40, lequel a sollicité Nivendi-Universal à travers son PDG M. Fourtou. Ce qui nous a permis d’obtenir 4 millions d’euros de Canal +. Même à l’Elysée, nous avons rencontré des soutiens qui nous ont mis en relation avec la caisse des dépôts et consignations, et France Télévision. De nombreuses régions aussi nous ont apporté leur aide, île de France, Paca, Franche-Comté, Aquitaine, etc.

 

Es-tu satisfait de l’apport de l’Algérie, comparé à l’investissement en moyens, du royaume chérifien qui a offert armée et aviation ?

Je dois dire ma déception concernant mon pays d’origine. Le projet a dormi trois ans dans le bureau du PDG de l’ENTV. Le ministère de la Culture m’a promis 4 millions de DA. Je les attends toujours. C’est d’autant plus regrettable que le but du film c’était qu’une injustice soit réparée pour des milliers de vétérans et ces revenus ce sont des euros qui rentraient en Algérie. De tout cela, même pas une lettre, pas un mot... Le Maroc, lui, a tout de suite saisi les enjeux humains et financiers. Et grâce à Jamel Debbouze (co-producteur du film) qui m’a présenté le roi Mohammed VI au Festival de Marrakech, nous avons tout obtenu de l’armée à la marine de guerre, en passant par les avions, les canons, les fusils, les costumes, les chaussures, les balles à blanc, les télécoms, l’hôtellerie, la Royal Air Maroc...

 

Indigènes semble appeler une suite quand on pense aux événements qui ont suivi, à savoir Sétif 1945, l’Indochine et la guerre d’Algérie ?

Ce deuxième film ne sera pas une suite à Indigènes, mais il s’inscrira dans la continuité historique. Effectivement, le récit embrassera les événements de Sétif et les guerres d’Indochine et d’Algérie. J’en suis d’ailleurs à l’écriture depuis un moment déjà, même si le film prendra plusieurs années avant de voir le jour. J’ai déjà recueilli les confidences et les récits de nombreux participants à tous ces événements. On verra bien sûr ceux qui ont gardé l’uniforme français, mais on verra aussi ceux qui ont déserté pour rejoindre les rangs du FLN. Ce sont là des vies de 14 ans de guerre. C’est la vie du caporal Abdelkader qui se continue après Indigènes. Pour le casting, les 4 comédiens d’Indigènes vont continuer notre aventure cinématographique en commun.

 

Le film est déjà sur les écrans algériens, mais tu seras le 7 octobre à Alger pour le présenter. Quels sont les comédiens qui t’accompagneront ?

Jamel Debbouze et Sami Naceri seront à mes côtés au cinéma L’Algeria en soirée. Ensuite, nous nous rendrons au Maroc, au Sénégal où nous sommes les invités d’Abdoulay Wade et enfin en Tunisie.

P.-S. : Citons en exergue Jamel Debbouz : « Nos arrière- grands-parents ont combattu, nos grands-parents ont reconstruit, nos parents ont nettoyé et nous, nous racontons ! »

 

BIO EXPRESS

Rachid Bouchareb, réalisateur d’origine algérienne, fait ses premières armes à la télévision sur TF1, où il réalise quelques courts métrages tout en étant assistant-réalisateur sur diverses productions. Il y esquisse déjà les thèmes qui lui sont chers, les questions d’altérité, d’intégration, de mémoire, d’identité. Son premier long métrage pour le cinéma, Bâton Rouge, reçoit le Grand Prix du festival d’Amiens mais reste confidentiel du point de vue du public (Cheb). De même que ses films suivants, qui remportent souvent des succès, restent ignorés du public. Il est tout de même parvenu à se faire une place dans le cinéma d’auteur et est passé parallèlement à la production, sur Flandres de Bruno Dumont notamment. En 2006, il se fraye tout de même un chemin vers la notoriété grâce à sa dernière réalisation, Indigènes, en compétition officielle à Cannes et composé d’un casting de choix. Jamel Debbouze, Samy Naceri, Sami Bouajila et Roschdy Zhem y remportent un Prix collectif d’interprétation masculine. Ils placent le réalisateur sous le feu des projecteurs.

 

Filmographie :

* 2006 : I shot the sheriff

* 2006 : Le Souffle de l’océan

* 2005 : Indigènes

* 2000 : Little Senegal

* 1997 : L’Honneur de la famille

* 1994 : Poussières de vie

* 1993 : Les Années déchirées

* 1991 : Cheb

* 1985 : Bâton rouge



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