
La Casbah d’Alger, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1992, est un joyau historique qui incarne l’âme de la capitale algérienne. Ce labyrinthe de ruelles étroites, situé sur les hauteurs d’Alger, abrite des trésors architecturaux, dont les hammams, témoignages de l’époque ottomane et de l’influence arabo-berbère. Ces bains publics, lieux de purification, de socialisation et de rituels culturels, sont des éléments clés de l’identité de la Casbah. Cependant, leur état de délabrement actuel reflète une perte progressive du patrimoine algérien.
Les hammams de la Casbah remontent pour la plupart à l’époque ottomane (XVIe-XIXe siècles), bien que certains s’inspirent des thermes romains, une tradition bien ancrée en Algérie depuis plus de 2000 ans. Ces espaces, souvent situés à proximité des mosquées pour des raisons religieuses liées aux ablutions, étaient au cœur de la vie sociale, particulièrement pour les femmes. Ils servaient non seulement à l’hygiène, mais aussi à l’échange communautaire, aux rituels de mariage et aux interactions intercommunautaires, notamment entre les populations musulmanes et juives.
Le tremblement de terre de 1716 a profondément modifié le tissu urbain de la Casbah, rendant difficile l’inventaire exact des hammams. Cependant, la plupart se concentraient dans la Basse-Casbah, tandis que la Haute-Casbah n’en comptait que deux, appelés communément El-hammamate.
Voici quelques hammams emblématiques de la Casbah, reflétant leur importance historique et culturelle :
Hammam Sidna (Bain du Dey)
Localisation : Rue Ahmed et Mohamed Mecheri, près de Dar Mustapha Pacha.
Histoire : Construit au XVIe siècle, c’est l’un des plus anciens hammams de la Casbah. Il était réservé aux élites, notamment aux deys ottomans.
Caractéristiques : Architecture ottomane typique avec des dômes et des espaces dédiés à la purification.
État actuel : En grande partie délabré, bien que son importance historique soit reconnue.
Hammam Li-Houd (Bain Juif)
Localisation : Basse-Casbah.
Histoire : Fréquenté par les communautés musulmanes et juives, ce hammam illustre la coexistence intercommunautaire. Il comportait un bassin réservé aux jeunes filles juives en quête de mariage.
Caractéristiques : Espace partagé avec des zones spécifiques pour chaque communauté, respectant leurs rituels respectifs.
État actuel : En ruines, avec peu de traces visibles de son usage passé.
Hammam Bouchlagham
Localisation : Cœur de la Casbah, accessible via la rue Marengo.
Histoire : Datant de l’époque ottomane, ce hammam était un lieu prisé par des figures artistiques comme Hadj M’hamed El-Anka et Roger Hanin. Il accueillait à la fois musulmanes et juives, avec un espace dédié (darb lihoud) pour les rituels juifs, notamment les bains prénuptiaux.
Caractéristiques : Deux entrées distinctes et une architecture mêlant influences ottomanes et maghrébines.
État actuel : Toujours fonctionnel, mais en mauvais état, nécessitant une restauration urgente.
Hammam El-Fouita
Localisation : Près de la rue Mustapha Laâdjali (ex-rue Nemours).
Histoire : Construit entre 1725 et 1729 par le bey Abdy Pacha, ce hammam est un exemple de l’architecture ottomane tardive.
Caractéristiques : Structure compacte avec des éléments décoratifs en marbre et céramique.
État actuel : En déclin, avec des infrastructures endommagées par le temps et le manque d’entretien.
Les hammams de la Casbah ne sont pas de simples lieux d’hygiène. Ils incarnent un espace de sociabilité, où les femmes, en particulier, pouvaient échanger, discuter et tisser des liens. Ils servaient également de lieux de commerce informel, où des objets comme des robes ou des bijoux étaient vendus. Leur proximité avec les mosquées reflète l’importance de la purification dans la culture islamique, tout en intégrant des influences romaines et byzantines. Les hammams étaient aussi des espaces de coexistence, comme en témoigne leur fréquentation par des communautés juives et musulmanes.
Malgré leur inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, les hammams de la Casbah souffrent d’un manque criant de préservation. Les facteurs suivants contribuent à leur dégradation :
Vieillissement des structures : Les bâtiments, souvent vieux de plusieurs siècles, ont été fragilisés par des catastrophes naturelles, comme le tremblement de terre de 1716.
Surpopulation : Avec 50 000 à 70 000 habitants dans la Casbah, la pression démographique complique les efforts de conservation.
Manque de financement : Les initiatives de restauration, comme celle confiée à l’architecte français Jean Nouvel, ont suscité des controverses et n’ont pas abouti à des résultats significatifs.
Abandon et négligence : De nombreux hammams, comme la Porte de Hammam El Baraka à Bab Azzoun, sont en ruines, leurs ornements en marbre gravé en arabe témoignant d’une splendeur passée.
Des mesures juridiques, telles que la loi de 1998 sur la protection du patrimoine et les décrets de 2003 et 2005, ont été mises en place pour sauvegarder la Casbah. Cependant, les efforts restent insuffisants face à l’ampleur des besoins. L’Agence Nationale des Secteurs Sauvegardés tente de négocier avec les propriétaires pour restaurer les bâtiments, mais la surpopulation et l’instabilité politique freinent les progrès. Des projets internationaux, comme celui soutenu par la région Île-de-France dans les années 2010, ont également rencontré des résistances locales.
Les hammams de la Casbah d’Alger sont bien plus que des vestiges architecturaux ; ils sont le reflet d’une histoire riche et d’une culture vivante. Leur délabrement actuel représente une perte inestimable pour le patrimoine algérien. Une restauration respectueuse, combinée à une sensibilisation communautaire, est essentielle pour préserver ces espaces uniques. Visiter la Casbah et ses hammams, c’est plonger dans l’histoire millénaire d’Alger, mais aussi prendre conscience de l’urgence de protéger ce trésor méditerranéen.
UNESCO World Heritage Centre, Kasbah of Algiers
ALGER, UN LIEU, UNE HISTOIRE: Hammams de la Casbah, Algerie-dz.com
Casbah of Algiers, Wikipedia
Hammam : pratiques et rituels aujourd’hui, journals.openedition.org
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Photo : Hichem BEKHTI