Le Ravin de la Femme Sauvage : Légende et Patrimoine d'Alger

Le Ravin de la Femme Sauvage est un lieu emblématique situé dans les environs d'Alger, en Algérie, plus précisément entre les communes de Bir Mourad Raïs et d'Oued Kniss. Ce vallon verdoyant, traversé par l'Oued Kniss, est célèbre pour sa dense végétation d'orangers, de grenadiers, de citronniers et de jujubiers, qui en faisait autrefois un repaire idéal pour les légendes et les mystères. Au XIXe siècle, ce site attirait les promeneurs colons et les voyageurs étrangers, séduits par son atmosphère sauvage et romantique. Aujourd'hui, il reste un spot naturel prisé pour les randonnées, bien que marqué par l'urbanisation progressive d'Alger.

La Légende : Une Histoire de Désespoir et de Mystère

Le nom du ravin tire son origine d'une légende poignante, dont plusieurs variantes circulent depuis le milieu du XIXe siècle. Elles tournent toutes autour d'une figure féminine tragique, surnommée la "Femme Sauvage", qui aurait vécu en recluse dans ces bois sombres, hantés par les ululements nocturnes et les ombres furtives.

Voici les principales versions de la légende :

• La mère éplorée : Une jeune veuve du XIXe siècle, vivant seule avec ses deux enfants, organise un pique-nique dans la forêt. Ses enfants disparaissent dans le ravin (probablement tombés accidentellement). Folle de chagrin, elle les cherche inlassablement, se nourrissant de fruits sauvages. Elle devient une ombre errante, respectée comme une folle sacrée par les locaux. Son corps est retrouvé sans vie dans les bois, et elle est enterrée sur place, près de l'actuel restaurant du même nom.
• La femme trahie par l'amour : Une jeune femme, blessée par un chagrin d'amour, fuit son pays pour se réfugier à Alger. Elle s'installe dans la solitude mélancolique de l'Oued Kniss, errant comme une ombre parmi les djinns et les esprits de la forêt.
• La fugitive de 1830 : Lors de la conquête française d'Alger en 1830, une femme algérienne, terrifiée par les soldats, abandonne son foyer et se cache dans le ravin. Aperçue souvent par les passants, elle est surnommée "la Femme Sauvage" et finit par disparaître mystérieusement.
• La cantinière excentrique : Une version plus "terre à terre" évoque une jeune femme audacieuse qui ouvre un café-restaurant dans le ravin peu après la conquête. Surnommée "Femme Sauvage" par antiphrase par les soldats, elle incarne une figure libre et indépendante, loin du mystère des autres récits.

Ces histoires, mêlant désespoir, folie et surnaturel, ont inspiré poètes, journalistes et artistes. Le ravin symbolise ainsi un carrefour entre réalité et imaginaire, où la nature sauvage reflète les tourments humains.

Un Sujet Artistique et Littéraire

• En peinture : En 1881, lors de son premier séjour en Algérie, le peintre impressionniste Auguste Renoir immortalise le site dans son tableau Paysage algérien, le ravin de la Femme Sauvage. Conservé au Musée d'Orsay à Paris, cette huile sur toile (65 x 81,5 cm) capture la lumière méditerranéenne filtrant à travers la végétation luxuriante, avec des touches de vert et d'orange vives typiques de son style. C'est une des rares œuvres de Renoir inspirées par l'Algérie coloniale.
• En littérature : Le lieu a donné naissance à plusieurs ouvrages :
  • Le Ravin de la femme sauvage de Danièle Saint-Bois (1999) : Un thriller familial mêlant suspense, humour noir et drame, où une mère tente de tuer son enfant en le jetant dans le ravin.
  • Le Ravin de la femme sauvage de Leïla Sebbar (2007) : Un roman introspectif sur l'exil, les fratries et les racines, où le nom du ravin sert de point de ralliement symbolique pour des frères orphelins.