Alger - Revue de Presse

Le pot de départ de Marie-Laure Ramenah Des racines et des ailes



Publié le 20.04.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE

Psychologue et psychanalyste française, Marie-Laure Ramenah a vécu trois années de son enfance en Algérie, avec ses parents. Ces années postindépendance lui ont inspiré son premier roman Le pot de départ paru aux éditions Casbah.

Mansour Malassoud boucle une quarantaine d’années de vie en France. L’heure de la retraite vient de sonner pour ce travailleur et syndicaliste engagé en France. Avant de lui dire au revoir, ses collègues lui organisent une petite fête. La chanson Ya Rayah, revisitée par Rachid Taha, égrène ses notes chaâbi dans une ambiance festive. Un cadeau est offert à Mansour : une réservation pour deux personnes en direction de l’Algérie. Le retraité est un peu déboussolé. Il n’a pas remis les pieds dans son pays natal depuis belle lurette et n’y a plus aucune attache. «Pourquoi ce voyage à destination d’Alger ? Pensaient-ils réellement lui faire plaisir ainsi, ou était-ce la destination la moins chère ?» cogite-t-il.

Mansour a eu deux enfants avec Fadela, son ex-femme dont il a divorcé il y a très longtemps. Il n’a pas vu grandir sa fille Leila et son fils Younès. La culpabilité de les avoir abandonnés le ronge insidieusement et pèse lourdement sur ses épaules.
Étrangement, ce départ à la retraite exhume les limbes du passé. Son exil, la disparition de sa mère et de son frère ainsi que la maladie de son père occupent toutes ses pensées : «... il sanglota bruyamment. Ses enfants, depuis combien de décennies ne les avaient-ils plus vus...Oh, mère, aide ton fils, par Allah, il n’en peut plus, il n’en peut plus ! (...) Il déplia le tapis de prière et l’étendit au sol selon l’orientation prescrite. Il n’avait plus accompli ce geste depuis quarante ans ; il se prosterna plusieurs fois, longuement, respirant les années qu’exhalait ce tapis d’Alger. Dans cette odeur de poussière et d’encens, il retrouva sa mère, son frère, Sofiane ; quel apaisement, ne serait-ce que de prononcer son nom...»

Après avoir entretenu une relation amoureuse en dents de scie avec Marie-Andrée, son ex- collègue, l’exilé se décide enfin à la demander en mariage. La date des épousailles est fixée pour l’été suivant.

Pour ne pas rester inactif, Mansour accepte la proposition d’un ami : donner des cours de français bénévolement à des réfugiés et exilés dans un centre culturel de la capitale française. Ces moments lui procurent beaucoup de joie.
«Petit à petit, les élèves s’enhardissaient à raconter leur histoire, mêlant français et langue maternelle. Les écouter, les instruire donnait à M. Malassoud un sentiment d’accomplissement, d’être à la juste place. Il ne pensait pas en termes d’utilité ou d’aide, ce n’était pas sa logique. Pourtant, Marie-Andrée lui soutenait qu’il se rendait utile, et qu’elle était fière de son engagement.

La fierté de Marie-Andrée, il la lisait dans son regard, jour après jour, dans cette tendresse joyeuse qu’elle diffusait autour de lui.»

Un jour, sa fille Leila, qui vit aux USA, fait irruption dans sa vie. Elle lui annonce que sa mère vient de tirer sa révérence et qu’elle a laissé une recommandation avant son trépas : son père devrait assister à ses funérailles. Leila est claire : ni elle ni son frère ne souhaitaient renouer des liens avec un père qui les a abandonnés. Inutile d’essayer de recoller les morceaux après l’enterrement, le prévient-elle.

Effectivement, son fils Younès ne le calcule même pas. Pire, il le traite de tous les noms. Au moment où il espérait obtenir le pardon de ses enfants, tout se complique dans la vie du retraité. Son fils file un mauvais coton : trafic de drogue, tentative d’aller faire la guerre en Syrie...

Younès déboule chez lui un jour pour lui intimer l’ordre de lui remettre une forte somme d’argent. Succession de problèmes dans la vie de Slimane : des bombes incendiaires détruisent le centre culturel où il dispense ses cours, annulation de son mariage au moment où sa compagne le soupçonne de radicalisme, hospitalisation de son père Jibril qui vit ses derniers jours sur terre.

Lui, qui a abandonné ses enfants petits, tente de se rapprocher de son père alité dans une maison de retraite, pour se donner bonne conscience : «... il se tenait droit et immobile, au pied du lit de son père. Le dispositif à oxygène sifflait un peu. Le vieil homme, maigre à présent, semblait momifié dans la blancheur des draps, nulle expression sur son visage aux yeux clos (...). D’un bond, M. Malassoud se leva, entoura son père de ses bras en lui surélevant le buste. Il serrait contre lui son père mort.»

Cet exilé d’Algérie réussira-t-il à retrouver la sérénité et à renouer le fil cassé avec ses enfants ? Un roman sur l’exil, l’identité, les liens père-enfants, la vieillesse qui ne manqueront pas de questionner les lecteurs.

Meriem Guemache

Le pot de départ. Marie-Laure Ramenah. éditions Casbah. 2023. 206 p. 1 000 da.

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