Alger - Château des deux moulins	(Commune de Rais Hamidou , Wilaya d'Alger)

Le Château du Raïs Hamidou : De la Convalescence Coloniale à la Renaissance Algéroise


Le Château du Raïs Hamidou : De la Convalescence Coloniale à la Renaissance Algéroise

Sur la côte ouest d’Alger, dans la commune qui porte son nom, le Château du Raïs Hamidou – souvent appelé « Château des Deux Moulins » en raison de ses tours évoquant des éoliennes – se dresse comme un témoin silencieux de l’histoire mouvementée de l’Algérie. Construit dans les années 1930, ce bâtiment n’a rien d’une forteresse médiévale ni d’un palais hanté par des légendes. C’est une résidence balnéaire typique de l’époque coloniale, conçue pour le bien-être, et qui a traversé les tourments du XXe siècle avant de renaître grâce à une restauration ambitieuse. Loin des rumeurs folkloriques, son histoire est celle d’un lieu utilitaire, marqué par les évolutions sociales et politiques d’Alger.

Les Origines : Une Maison de Santé Face à la Mer

L’histoire du château commence en 1930, lorsque le baron Grandval, un industriel français fortuné, décide d’ériger cette imposante bâtisse sur un promontoire rocheux dominant la Méditerranée. Inspiré par l’architecture florentine – avec ses façades crème, ses arcs élégants et ses deux tours crénelées –, le bâtiment n’était pas une demeure de luxe ostentatoire, mais une maison de convalescence dédiée aux malades pulmonaires, notamment les tuberculeux. À une époque où l’air marin était considéré comme un remède naturel, les grandes baies vitrées et les balcons ouverts sur la mer étaient pensés pour maximiser l’exposition au soleil et aux embruns salés. Grandval, touché par la perte prématurée de proches, y investit une partie de sa fortune, mais il mourut peu après l’achèvement des travaux, laissant l’édifice aux mains des autorités coloniales françaises.

Pendant les années 1940, le château servit de lieu de villégiature pour des officiers et des familles européennes, profitant de la quiétude relative de la côte algéroise. Il incarnait alors le mode de vie bourgeois de la colonisation : un havre de paix isolé, loin de l’agitation d’Alger centre, mais connecté par une route sinueuse qui serpentait à travers les vignes et les oliveraies.

De l’École Primaire à l’Abandon Post-Indépendance

Avec l’intensification de la guerre d’indépendance dans les années 1950, le château changea de vocation. Réquisitionné par l’administration française, il fut transformé en école primaire mixte, accueillant des enfants algériens et européens dans un contexte de tensions croissantes. Les salles voûtées résonnaient des rires des écoliers, et les escaliers en colimaçon menaient à des classes improvisées. Des anciens élèves, aujourd’hui octogénaires, se souviennent encore des leçons face à la mer, des récréations sur les terrasses, et d’une atmosphère où coexistaient, malgré les clivages, des communautés diverses.

L’indépendance en 1962 marqua un tournant dramatique. Lors des derniers soubresauts de la guerre, l’Organisation Armée Secrète (OAS), groupe extrémiste français opposé à l’autodétermination, plastiqua plusieurs bâtiments symboliques, dont le château. Les explosions endommagèrent les structures, fissurant les murs et effondrant partiellement les toitures. Après le départ des colons, l’édifice fut nationalisé et brièvement utilisé comme logement temporaire, mais l’absence d’entretien le condamna rapidement à l’abandon. Dès les années 1970, il devint un squat pour des familles démunies, puis un terrain vague pour les adolescents du quartier, qui y organisaient des jeux ou des explorations nocturnes. Les intempéries et le vandalisme achevèrent de le dégrader : fenêtres brisées, graffitis sur les murs, et une végétation envahissante qui grignotait les fondations.

Pendant des décennies, le château symbolisa le déclin post-colonial de nombreux sites algérois : un vestige oublié, témoin des fractures de l’histoire, mais aussi d’un potentiel inexploité face à la beauté de la côte.

La Renaissance : Un Projet d’Aménagement pour la Baie d’Alger

C’est au début des années 2010 que le château refit surface dans les plans urbains. Inscrit dans le vaste programme d’aménagement de la Baie d’Alger (lancé en 2010 et prévu jusqu’en 2029), il fut sélectionné comme élément clé d’une stratégie touristique visant à valoriser la façade maritime ouest de la capitale. La commune de Raïs Hamidou, en pleine expansion, vit dans ce site un opportunité pour booster l’économie locale : hôtels, promenades, ports de plaisance et espaces culturels.

Les travaux de restauration démarrèrent en 2015 sous la supervision de la wilaya d’Alger. Au-delà de la simple consolidation structurelle – renforcement des murs, restauration des voûtes et des escaliers, réfection des toitures –, le projet intégra une réflexion patrimoniale. Des architectes spécialisés préservèrent les éléments originaux, comme les mosaïques florentines et les balustrades en fer forgé, tout en modernisant les installations pour une utilisation contemporaine. En 2017, une évolution notable : initialement envisagé comme un site touristique ouvert au public, le château fut réorienté vers une fonction plus institutionnelle, devenant une « résidence des hôtes de la wilaya ». Cela permit d’accélérer les financements, tout en intégrant le bâtiment à un complexe balnéaire plus large, incluant parkings, aires de repos et un futur port de plaisance.

Parallèlement, les abords furent aménagés : nettoyage des 3 000 mètres carrés de côte rocheuse, création de sentiers pédestres et installation d’éclairages pour sécuriser le site. Des vidéos et reportages locaux de 2022 à 2024 montrent les progrès : un château méconnaissable, avec des façades ravalées et des intérieurs prêts à accueillir des événements.

Aujourd’hui, en 2025 : Un Lieu Vivant et Polyvalent

En octobre 2025, le Château du Raïs Hamidou est pleinement opérationnel. Il sert principalement de résidence pour les délégations officielles – un rôle discret mais essentiel, hébergeant diplomates et invités lors de sommets ou de visites d’État. Pourtant, il n’est pas fermé au public : des événements culturels y sont organisés, comme des mariages avec vue sur la mer, des séminaires d’entreprises ou des expositions temporaires sur l’histoire coloniale et post-indépendance. Les riverains, autrefois méfiants, y voient désormais un atout économique. « C’était une ruine qui faisait peur aux enfants ; maintenant, c’est un endroit où on célèbre la vie », confie un habitant du quartier.

Intégré au projet balnéaire en cours, le château bénéficie d’une visibilité accrue. Des plans pour 2026 prévoient des visites guidées régulières, un café-terrasse et une signalétique historique pour éduquer les visiteurs sur son passé. Il incarne ainsi la résilience algéroise : un pont entre l’héritage colonial, les aléas de l’indépendance et les ambitions modernes d’une capitale en pleine mutation.

En fin de compte, le Château du Raïs Hamidou n’est pas qu’un bâtiment restauré ; c’est un chapitre vivant de l’histoire d’Alger, rappelant que les lieux, comme les nations, peuvent se réinventer sans effacer leurs cicatrices. Face à la Méditerranée éternelle, il invite non pas à la peur, mais à la contemplation d’un passé assumé et d’un avenir prometteur.



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