Alger - Revue de Presse

L’histoire d’une mine



Publié par Le Soir d’Algérie le 27.01.2021
Par Amara Zitouni(*)
I/ Introduction :
Il est reconnu depuis la Préhistoire que l’homme a exploité les richesses minérales pour fabriquer des ustensiles ou des armes (silex taillé) ou pour en extraire des substances utiles comme le métal (âge du bronze, âge du fer).
L’industrie minière s’est développée au cours des siècles pour donner lieu à deux activités de base.
D’une part, les produits de carrière qui sont utilisés localement. Et d’autre part, les minerais qui sont destinés essentiellement à l’exportation.
II/ Histoire de la mine de Kef Oum Theboul :
Le gisement célèbre de Kef Oum Theboul, situé à 12 km à l’est d’El Kala (ex-La Calle), dans la wilaya d’El Taraf, a été découvert par les populations indigènes en 1845 qui remirent des échantillons de galère argentifère aux autorités coloniales lesquelles accordèrent aussitôt, par un arrêté ministériel daté du 7 novembre 1845, à un négociant marseillais du nom de Mr. Roux de Fraiginet une autorisation d’exploiter ce gisement.
Le minerai de plomb argentifère des premières couches devient minerai de cuivre argentifère et aurifère en profondeur avec quelquefois de la blende (zinc) et de la pyrite (fer).
Le minerai extrait de ce gisement était acheminé par wagonnets par un petit chemin de fer d’une longueur de 8 km jusque la plage de la Messida, à l’embouchure du canal du lac Tonga.
Une fonderie pour le traitement du minerai de cuivre, de plomb et de fer d’une capacité annuelle de plus de 3 000 tonnes a été créée sur le site.
Des chalands venaient charger les produits miniers semi-finis et les transportaient sur des navires qui attendaient à quelques encablures du rivage pour les convoyer vers des ports étrangers.
Les vestiges de cette fonderie et les installations destinées à l’exportation des produits miniers semi-finis sont toujours là témoignant d’une activité intense ayant marqué durablement l’économie de la région traditionnellement vouée à une agriculture de subsistance dédiée essentiellement à l’arboriculture et l’élevage de caprins et de bovins de races locales.
Dans son ouvrage consacré à l’histoire contemporaine de l’Algérie de 1827 à 1871, édition Casbah, Charles André Julien affirmait que la production de plomb de la mine de Kef Oum Theboul suffirait aux besoins du corps expéditionnaire français en Algérie, en cas de rupture d’approvisionnement en munitions à partir de la métropole pour des raisons de guerre ou autres.
Selon le même auteur, la dénomination donnée à cette mine, «Kef Oum Theboul» en langue arabe, découlerait de son équivalent en langue française, «mont de scories», et cela par référence aux antécédents volcaniques de ce mont conique caractéristique d’un volcan éteint.
D’autres récits historiques décrivent cette région comme étant celle des volcans éteints et des panthères.
Cette réputation n’était pas usurpée puisque le gisement célèbre de Kef Oum Theboul signalé par les populations indigènes aux autorités coloniales recélait des échantillons de galène argentifère qui proviendraient de la lave rejetée par les volcans encore actifs et que la dernière panthère de la région a été tuée le 26 février 1935 près d’El Kala (ex-La Calle) par des paysans suite à l’attaque de leur bétail par ce fauve.
III/La fermeture de la mine et ses conséquences économiques, sociales et environnementales sur la région :
1/Impact économique et social :
La Première Guerre mondiale entraîna la fermeture de la mine. Les conséquences furent catastrophiques pour la région sur les plans économique, social et environnemental. Toutes les activités liées à la mine et ses installations annexes (fonderie, infrastructures de transport ferroviaires et maritimes, commerce) cessèrent du jour au lendemain plongeant la région dans une crise dont elle ne se relèvera jamais.
En effet, au lieu de mettre en place un plan de redressement destiné à atténuer les effets désastreux de la fermeture de la mine sur la population locale (d’origine européenne et indigène), les autorités coloniales s’empressèrent de construire une caserne de gendarmerie et une prison sur le site de la mine désaffectée.
Cette décision s’inscrit, il faut le souligner, en droite ligne de la politique de ces autorités visant à réprimer toute velléité de résistance des tribus locales réfractaires à toute occupation étrangère.
Pour souligner le caractère rebelle des tribus peuplant cette contrée montagneuse fortement boisée des premiers contreforts de l’Atlas tellien jouxtant le littoral méditerranéen, il est utile de rappeler les destructions successives des installations du Bastion de France situé à 20 km à l’ouest de cette mine par ces mêmes tribus. Cette concession octroyée en 1540 par le Dey d’Alger à une société française pour la pêche du corail très abondant dans la zone côtière de la région en contrepartie d’une forte redevance n’avait pas été acceptée par les populations locales qui, faut-il le dire, n’en tirent aucun profit.
2/ Impact environnemental :
L’exploitation de la mine ayant nécessité le creusement de nombreuses galeries souterraines dont la profondeur dépend de filons du minerai pouvant atteindre plusieurs kilomètres de la construction en surface d’infrastructures d’accompagnement n’avait pas manqué d’impacter négativement l’environnement.
L’acide pyrite (fer) de couleur rougeâtre hautement corrosif évacué par les galeries de la mine s’écoulant à l’air libre sur quelques kilomètres avant de se jeter dans les cours d’eau avait fini au fil des années par contaminer les terres agricoles situées en aval et intoxiquer les animaux domestiques et sauvages qui venaient s’y abreuver. La contamination des terres agricoles et du bétail par cet acide sortant des entrailles de la mine avait causé des dommages graves et irréversibles à l’économie de la région.
Le ruissellement de ce liquide et son épandage dans les champs ont pollué l’environnement, y compris les eaux du lac Tonga. Le lac Tonga, situé dans le Parc national d’El-Kala, a été classé par la convention Ramsar sur les zones humide de 1983 comme réserve intégrale qui joue un grand rôle pour la préservation de la faune et de la flore.
Cette réserve naturelle constitue aussi une source d’activité économique non négligeable pour les populations riveraines pratiquant l’agriculture et le pâturage. L’acide de pyrite rejeté par les galeries encore béantes de la mine se mélange par ailleurs aux eaux du canal du lac Tonga qui déborde sur la plage de la Messida distante de 8 km.
La pollution de cette plage et des criques voisines réputées pour leur sable fin et le bleu azur de leurs eaux est pourtant réelle. D’une part, par l’acide de baryte mélangé aux eaux usées des agglomérations environnantes non dotées de stations d’épuration. Et d’autre part, par les déchets de l’ancienne fonderie et les stocks de minerai non traité dégageant de fortes émanations de soufre et d’autres gaz toxiques.
IV/ Tentatives de réhabilitation du site minier et de neutralisation des effets nocifs de la pyrite :
L’entreprise publique Sonarem en charge des activités minières avait entrepris des recherches au lendemain de l’indépendance pour réactiver cette mine.
Les travaux furent confiés à une société bulgare qui procéda à des fouilles (sondages) donnant l’espoir aux habitants de la région d’une relance de ce gisement.
La presse locale annonça même sa réouverture imminente.
Mais la mine resta fermée à ce jour sans cesser toutefois de déverser son acide toxique dans les cours d’eau, les champs, les lacs et les plages de la région.

V/Conclusion :
En guise de conclusion à cette brève chronique relatant les splendeurs et la décadence d’une mine algérienne et ses conséquences négatives sur la faune, la flore et l’économie de la région, il paraît utile de signaler que des échantillons de galeries argentifères similaires à ceux remis par les populations indigènes aux autorités coloniales en 1845 sont toujours visibles à quelques kilomètres au nord de ce site plus exactement à proximité du cap Sigleb (cap Roux).
Ces échantillons ont été mis à jour par les travaux de défrichement et d’excavation entrepris récemment par les services de la Direction des forêts et de Sonelgaz pour l’aménagement de tranchées pare-feu dans le cadre de la lutte contre les incendies. Puisse la création d’un ministère des Mines séparé et distinct du ministère de l’Energie décidée par les pouvoirs publics dans le cadre de la relance économique redonner aux activités minières leur juste place dans le développement de notre pays.
A. Z.
(*) Cadre supérieur, fils de mineur

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