Alger - Revue de Presse

Indiens dans l?imaginaire littéraire


Des chevaux et des hommes On dit que l?imagination galope. Et il lui arrive d?avoir besoin, comme les hommes, d?un cheval pour mieux galoper. Certains écrivains galopent et démentent l?adage qui veut que pour aller loin, il faut ménager sa monture. Des hommes vont loin et ne ménagent pas leurs méninges. l e 12 février 1964, Kateb Yacine publie dans Alger républicain un article : « Nos frères les Indiens ». Le titre est étonnant et tendrait à confirmer la singularité d?un homme qui s?accommode difficilement de la pensée en usage. Quelle mouche a bien pu piquer des Indiens vers nos contrées ? Qu?est-ce qui pourrait bien les réunir à nous, dans une confondante fraternité ? C?est quoi cette histoire de ruée vers l?Est ? Etonnant Kateb, qui nous apprend qu?il y aura toujours un Orient encore plus à l?Est. Question de centre ! Le galop ou la mort « Trois Indiens de la tribu des Sioux chevauchent à la file vers une élévation dans la prairie. Ils sont condamnés à mort, et l?heure de l?exécution approche. Quelques mois auparavant, ils avaient levé l?étendard de la révolte, puis ils avaient été pris. Alors ils demandent une faveur, non pas de vivre, non : ils demandent seulement à ne pas mourir les mains liées derrière le dos et les yeux bandés, mais à pouvoir regarder la mort en face, et à aller au-devant d?elle à cheval, le visage peint comme pour le combat, le fusil à la main et le cri de guerre sur les lèvres. L?officier du fort acquiesça à leur demande. » Ce n?est pas Kateb Yacine qui écrit ces lignes, mais un prêtre qu?il cite, le révérend père Savinien, des missions catholiques. L?homme a vécu et écrit la scène de l?exécution des Indiens. Quel était le rôle du missionnaire dans cette affaire ? S?il est impossible d?imaginer que le prêtre ait pu apporter un quelconque réconfort à des « sauvages », il n?est pas interdit de se demander si son témoignage n?a pas la fonction ambiguë d?alléger le poids des bourreaux tout en saluant la bravoure des victimes. L?accord donné à la requête des Indiens réfère à un code de l?honneur qui honore d?abord l?officier américain. Dans la mise en scène qui s?ensuit, il est assuré de la mort de ses adversaires, et si la férocité et l?allégresse s?en mêlent, pourquoi pas ? Aucune ombre au tableau qui devient dramatique, mais sans coup de théâtre. Dans la ligne de mire du peloton d?exécution, trois Indiens galopent comme des fous, le cri de guerre à la bouche. « Guerre contre la mort, inutile. » Après la salve unique du peloton bien placé, le silence retentit dans la plaine ; la paix après les hurlements et la férocité. La terre américaine enfin rendue à elle-même, pacifiée. Pacifiez, messieurs les officiers, il restera toujours quelque chose de la guerre, le hurlement à la bouche, droit devant vers la mort. La scène est belle et mérite extension. Peaux rouges et masques blancs A l?Est, les Indiens ont été massacrés, emprisonnés dans des réserves, réservés à la mort lente, sans chevaux, sans hurlements. A l?Est de l?Ouest américain, il est un pays en guerre, et des gens qu?on traite comme des Indiens. « La population a été déportée depuis plusieurs mois, de l?autre côté de la montagne. Nous sommes passés par là. Cher village dévasté pour nous avoir accueillis ! Tes enfants, les meilleurs ne sont pas revenus. En notre absence, l?ennemi les a ligotés comme des poulains, et ils ont pris le chemin de la corvée, femmes comprises, comme la légendaire Fatma n?Soumeur, l?amazone aux longs cheveux rouges, qui s?en allait au combat en habits de fête, avec tous ses bijoux. Elle fut ainsi capturée, conduite au camp adverse, et son cheval baissait la tête, comme s?il portait à lui tout le poids du malheur ... Fatma est avec nous. » Dans ce texte qui date du 1er novembre 1964, Kateb Yacine fête à sa manière, l?anniversaire du 1er Novembre 1954. Dans sa tête galope encore un cheval qui n?est jamais autant en vie que dans la résistance à l?envahisseur. Il n?a manqué à l?Indienne aux cheveux rouges, qu?un adversaire à sa hauteur, un officier qui l?autorise à courir sus à la mort, peinte en guerre et en bijoux pour sa dernière fête, le mariage avec la mort. Mais peut-être la hauteur exigée n?est-elle que masculine, refusant à la « Fatma » les honneurs de la défaite, la tête haute. Les temps sont à la déchéance des vainqueurs. Ils nous permettent de continuer à galoper comme nos frères les Indiens, d?Est en Ouest, sillonnant le pays, à travers des paysages qui résonnent du bruit furieux des sabots irréductibles. Un seul centre : la littérature et les mots qui composent une seule et même cavalerie, que le cheval soit monté par Jugurtha ou débarrassé de son cavalier sous les murailles de Mansourah, en attente du peuple qui le chevauchera à l?heure de la délivrance, dans l?Incendie de Mohammed Dib. C?est fantastique ! On a beau mélanger l?espace et le temps, la boussole reste au b.
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