Alger - Revue de Presse

HHC - Harraga: rencontre du 3ème type



Cela se passe chez nous» : le titre d'une émission «lourde»que l'on pouvait accrocher la soirée d'avant-hier à l'ENTV.Ce qui a accroché la télécommande ? La présence de Hamraoui,le patron de l'Appareil lui-même, animant l'émission consacrée aux Harraga et à l'immigration clandestine. Le sujet estimportant depuis que le Président de la RADP l'a consacré comme tel lors de son discours aux walis. Ducoup, tout le monde se bouscule pour en parler, avec sincérité, pour grimpersur le cadavre et être vu de loin ou dans le cadre du zèle déjà vécu lors desdébats sur la charte à l'époque de Boumédiène. Passonsdonc.Dans l'émission d'hier, pilotée par le patron lui-même, ily avait le décor, très beau en rouge vif, le patron et un cheptel de reporterset de spécialistes dont l'un a été franchement obséquieux vis-à-vis de HHCsalué pour sa « lumineuse » idée. En face, les rescapés de la harga et le père de l'une des victimes, morte moyée, et quiétait invité pour illustrer une douleur sans en profiter pour placer ses autresenfants. De temps à autre, le spectateur avait droit à un reportage, parfoisbon, d'autres fois grossièrement moralisateur ou franchement maladroit (les harraga morts sont enterrés dans des cimetières « chrétiens» insistera l'un des reporters, un imam expliquant que la hargaest illicite en religion puisque les barques et les chaloupes ne sont pas sûres,comprendre qu'on peut tenter le coup avec une meilleure chaloupe...etc).L'essentiel n'était cependant pas dans les personnes et lespersonnages, mais dans la langue : là où les rescapés de la grosse aventure dusiècle parlaient en algérien, brassaient un réel lourd à exprimer, témoignaientd'une vie étouffée mais sincère, crûe et tellement proche de la réalité de toutun chacun, la tribune HHC et ses choeurs leurs répondaient dans cet arabe quin'est ni classique ni moderne et qui est la langue de bois inhumaine del'Appareil des castes de l'Etat. Deux mondes assis face à face, l'un sentantbon, joues grasses, teint claire, regard calmé par de nombreux repas et par lacertitude d'être du bon côté de la table ; l'autre sentant la sueur, l'hypocrisiepassive à laquelle pousse la misère, la frustration ou la cupidité, lamendicité ou le curieux honneur de la discrétion. L'un n'ayant aucune solutionni aucun argument, ni aucune compassion à offrir, sauf ceux desséchés etimmangeables de la morale et du nationalisme, l'autre bloqué à la hauteur de lagorge par l'impossibilité de tout raconter, de trouver les mots et de jouer lejeu de la scène, du repentir et de l'appel mécanisé à la raison. Un vraispectacle de dialogue de sourds entre deux univers et deux modes alimentairesabsolument différents.Le parterre des « victimes » étaient éloquent mais moinsque leur regard et leur rôle : tous avaient à la bouche le discours de lamisère économique, de l'avenir difficile et du chômage dans un pays riche. Celavalait mieux et plus prudent que de regarder HHC dans les yeux et de lui dire àla face que les raisons des départs mortels, il les connaissait lui-même, commeson ENTV, comme l'Etat qui la finance, comme le peuple qui la consomme comme unparti unique. Cette confrontation était pénible, effroyable et sans espoir, caron y devinait que rien n'a été compris à la fin : il n'y a pas de langue pourdire que l'on quitte un pays pas à cause du travail qui manque mais du sens quimanque, de la joie impossible et interdite et du sentiment de tourner des pagesblanches d'un livre crasseux qui ne vous raconte pas. Les deux partiesmentaient effrontément, avec calme, par impuissance ou avec l'espoir de bienentrer dans le rôle pour bien sortir de cette situation. Ce genre de dialogue, entreune langue morte qui gouverne et une langue vivante qui n'est pas encore née, étantdéjà une pratique nationale partout et dans tous les secteurs. C'est l'une desraisons de l'étouffement.L'émission était bonne à mâcher, mais il faudra bien pluspour démanteler le mythe du départ et de la vallée grasse. D'abord parlerensemble la même langue et arrêter de pratiquer la commune infamie. Les harraga devant arrêter de raconter qu'ils fuient le chômage,alors qu'ils fuient le pays pour respirer, et leurs interlocuteurs devantarrêter de parler comme des livres à des braques ou faire des émissions commeon invite des gueux à un bon repas. Parler au moins la même langue pour faireoublier que l'on ne partage pas le même monde.
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