Alger - Ben Aknoun

El Biar (Alger) - ALI YAHIA ABDENOUR S’EST ETEINT HIER À L’AGE DE 100 ANS: L’HOMME DU SIÈCLE ALGÉRIEN



El Biar (Alger) - ALI YAHIA ABDENOUR S’EST ETEINT HIER À L’AGE DE 100 ANS: L’HOMME DU SIÈCLE ALGÉRIEN


“Ils sont venus, ils sont tous là”. Comme durant sa longue et riche vie, Abdennour Ali-Yahia a réuni, à l’occasion de sa mort survenue hier, des générations de militants et de citoyens venus de divers horizons.

Au 15A, boulevard M’hamed-Bougara, à El-Biar, les escaliers comme l’ascenseur qui mènent au 5e étage de l’immeuble qui surplombe le centre d’Alger, où a toujours habité le plus célèbre des avocats algériens, ne désemplissent pas. Indistinctement, des hommes et des femmes entrent dans l’appartement et dans le salon où le corps de Abdennour Ali-Yahia, décédé hier matin vers 5h, est allongé, posé sur un tapis, couvert d’un linceul blanc immaculé. Autour de la dépouille, des personnalités, des proches mais aussi des citoyens lambda. Un magnétoscope diffuse à volume réduit des versets coraniques, tandis que les présents, les visages éplorés, discutent à voix basse. La fille du défunt, l’air triste mais digne malgré la douleur, reçoit les condoléances. Pour les autres, c’est surtout le souvenir d’un homme “de tous les combats” qu’ils sont venus saluer.

C’est le cas de Mostefa Bouhadef, l’ancien premier secrétaire national du FFS, qui estime que “Abdennour Ali Yahia n’est pas une perte pour sa famille seulement. C’est une perte pour toute l’Algérie”, dit-il, lui qui l’a connu et côtoyé durant de longues années de combat. Pour lui, Abdennour Ali-Yahia était “un homme immense, qui n’a jamais été attiré par le pouvoir. Il s’est battu pour les droits de l’Homme et la défense des libertés”.

Parmi les présents, Arezki Makabi fait partie des rares proches qui n’ont pas quitté Abdennour Ali Yahia durant de longues années. Il raconte que même durant ces deux dernières années où il était alité, “il suivait tout ce qui se passait” dans le pays. “Avant de rendre son dernier souffle, il a eu une longue pensée pour les jeunes générations”, a résumé l’homme, assis sur une chaise placée sur le balcon qui domine la baie d’Alger.

Le ciel est gris, mais les visiteurs du domicile mortuaire viennent comme pour un pèlerinage. Il y a des jeunes, mais aussi des journalistes. Tous ont un souvenir, une histoire. Dans la matinée, c’était Ahmed Taleb Ibrahimi qui était venu pour jeter un dernier regard sur celui dont il était proche. Il a été rejoint quelques instants après par un des dirigeants du FIS dissous, Ahmed Benmohamed. Dans l’après-midi, arrivée de Louisa Hanoune. Une image qui peut résumer une des facettes de l’avocat disparu et croyant convaincu: tout en ayant la laïcité chevillée au corps, il avait défendu les militants politiques de toutes obédiences idéologiques.

- L’homme des consensus

C’est cette passerelle qu’il a créée entre tous les courants politiques qui a poussé des personnalités, du pouvoir comme de l’opposition, à lui rendre hommage. De Abdelmadjid Tebboune qui s’incline sur sa mémoire, à Arezki Aït-Larbi qui, tout en étant beaucoup plus jeune que lui, a partagé une cellule de prison avec lui, en passant par l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi, le monde politique algérien salue un homme de “convictions” et un “défenseur des droits de l’Homme”.

“Il doit être une inspiration”, a écrit l’ancien ministre de la Communication. Même les médias officiels, qui ne l’ont jamais ménagé par le passé, ont rappelé son engagement pour le respect des droits humains dans le pays.

Sans jamais renier ses engagements, Abdennour Ali-Yahia résume, à travers son parcours, un siècle de l’Histoire de notre pays. Sa vie récapitule, finalement, les étapes qu’a traversées l’Algérie en un plus de 100 ans. Né en janvier 1921 à Aïn El-Hammam, Abdennour Ali-Yahia est instituteur durant la Seconde Guerre mondiale. Il part à Alger et intègre le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD, né du Parti du peuple algérien, PPA) juste après la fin de la guerre. Naturellement, il rejoint la guerre de libération nationale. Assigné à résidence, puis emprisonné, il sera libéré en 1961. Il sera le dernier secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) avant l’indépendance du pays.

Son combat pour la démocratie commence dès l’indépendance. Élu député de l’Assemblée constituante, il rejoint vite la rébellion du FFS. Mais après le coup d’Etat de 1965, Boumediène l’a nommé ministre de l’Agriculture. Un poste qu’il quitte deux ans plus tard pour ne plus jamais remettre les pieds dans les arcanes du pouvoir. Il embrasse une carrière d’avocat et entame une autre carrière politique. Mais cette fois, ce sera dans l’opposition.

En 1985, il crée, avec des militants comme les frères Aït-Larbi et Saïd Sadi, la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH). Cela le conduira à la prison. Il sera même envoyé à Laghouat en résidence surveillée. Malgré son âge et son passé révolutionnaire, il sera torturé à plusieurs reprises. “Tuez-nous si vous voulez. Mais notre cause triomphera”, dit-il un jour à un de ses tortionnaires.

Toujours aux avant-postes, Abdennour Ali-Yahia fera parler de lui durant les années 1990. Il sera un des avocats des dirigeants du Front islamique du Salut (FIS). Il a participé activement à la réunion de Saint’Egidio, tenue en janvier 1985 à Rome. Il s’est attiré les foudres du pouvoir et d’une bonne partie de la classe politique qui l’ont accusé d’alliances avec les terroristes. Mais l’homme a toujours refusé les conformismes. Il a sillonné le monde entier pour plaider en faveur de la réconciliation en Algérie. Mais une fois que le pouvoir a décliné sa “réconciliation”, le vieil avocat dira non. Il gardera le cap. A 90 ans, il continue à manifester dont notamment lors des fameuses marches de 2011. Les images d’interpellations musclées qui l’ont ciblé à cette occasion refont surface pour rappeler que malgré un âge avancé et un passé glorieux, le pouvoir n’a que faire des symboles. Abdennour Ali-Yahia était presque un prophète parmi son peuple. Il a d’ailleurs participé aux premières marches du Hirak en 2019. Mais comme tous les justes, il était craint par le pouvoir qui lui rendait la vie si dure qu’il avait failli se retrouver sans domicile fixe.

A plusieurs reprises, la direction des domaines a demandé à récupérer l’appartement qu’il occupait depuis 1964. C’est tout ce qu’il possédait après 80 ans d’une existence pleine!

Abdennour Ali-Yahia sera inhumé, cet après-midi, au cimetière de Ben Aknoun.

Il aura certainement droit à des funérailles populaires. Mais, les honneurs du pouvoir, comme ce prix qui lui a été attribué par le conseil des droits de l’homme, il ne les acceptera sans doute jamais




Photo: Abdennour Ali-Yahia © Archives Liberté

Par : ALI BOUKHLEF



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