Alger - Ecologie

Écologie : Citoyenneté ou solidarité ?



En Algérie, parler d’écologie suscite parfois même en milieu intellectuel des rires ou à défaut des soupirs d’exaspération, notamment dans les zones urbaines où les gens sont davantage happés par la spirale des soucis quotidiens. « Comment veux-tu, monsieur, que j’arrose l’arbre que l’on a planté devant la porte de ma maison, alors que les robinets sont à secs depuis quatre jours », rétorqua un quidam qui aurait suivi à distance notre conversation.

« Même sans eau, les factures sont chères », enchaîna-t-il. « Le forfait, tu connais ? » Mon ami et moi nous ne nous laissâmes pas distraire par cette diversion. L’étrange personnage pris son verre de thé et nous rejoignit sans être invité. » En Angleterre, on appelle cela « socializing ». Le quidam ne daigna même pas décliner son identité. L’important, ce n’était pas lui-même mais les bribes d’information qu’il pouvait apporter à la discussion. A en juger par son éloquence, c’était un bon francophone, un produit de la génération des années 1970. Il nous récita fièrement et sans hésiter, deux quatrains du poème de Charles Baudelaire Correspondances. « La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles. L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » « Je continue, je continue ? » poursuivit l’inconnu. Epaté puis excédé, mon ami, ayant passé plus de dix ans au Royaume-Uni, me fixa du regard puis me lança dans la langue de Shakespeare « This guy is a real big head, isn’t he ? » (il est vraiment calé le type, n’est-ce pas ?). Je cherchai à mon tour quelque chose dans le genre, un vers ou passage tiré d’un texte puisé dans la littérature française ou anglaise que je traduirai par la suite. Tiens, en voilà un dans ma poche un extrait d’André Gide, par exemple qui fut un admirateur du Sud et un amoureux de Biskra où il séjourna quelque temps. Dans cet extrait de Les Nourritures terrestres, Gide dépeignit la merveilleuse et captivante beauté des oasis du Sud algérien, notamment de Biskra, qu’il avait traversées. Je pris la peine de le lire à mi-voix : « Oasis ! elles flottaient sur le désert comme des îles ; de loin, la verdeur des palmiers promettait la source où leurs racines s’abreuvaient, parfois elle était abondante et des lauriers roses s’y penchaient. - Ce jour-là, vers 10 h, lorsque nous arrivâmes, je refusai d’abord d’aller plus loin ; le charme des fleurs de ces jardins était tel que je ne voulais plus les quitter, - Oasis ! (Ahmet me dit : la suivante est beaucoup plus belle.) » (1) Les yeux de l’inconnu brillèrent de satisfaction. La discussion devint intéressante. Nous fîmes les présentations d’usage et entamâmes, autour de la même table, la discussion qui tourne sur un sujet brûlant mais d’actualité : la protection de l’environnement à Biskra, notamment les jardins publics qui sont soumis à un véritable carnage par des mains inconscientes. Smaïl, c’est de l’inconnu qu’il s’agit, par réflexe, se retourna pour s’assurer que d’autres oreilles ne nous écoutaient pas. Traumatisé par les années de la pensée unique, il parla à voix basse des autorités locales qui ne semblaient pas prendre conscience de l’ampleur de la dégradation, en employant le pronom personnel « ils », sans toutefois oser les nommer. On devait s’efforcer de deviner qui « ils » étaient. Pourtant, le président Bouteflika, un autre « il » nous a tout de même apporté un bon bol d’oxygène. Thank you Mister President ! Il a carrément chamboulé la grammaire avec son impératif suggestif : Arfaâ rasek ya ba ! En fervent admirateur du Raïs, j’ai, un jour, tenté naïvement de le faire. A mes dépens bien sûr, puisque je m’étais retrouvé au frais. C’est bien mérité d’avoir tenté de dénoncer, bien que subtilement dans un article de presse, des pratiques odieuses de corruption sur fond de violence dans les campus.(2) Un mot encore de plus et je me retrouverai encore ou peut-être dans l’affreuse parenthèse, une parenthèse qui vous ouvre grands les yeux sur la réalité du pays où un substitut du procureur, dans un douar, peut miraculeusement transformer une victime en un coupable ou encore un fait divers en une affaire d’Etat et envoyer la victime coupable chez les peuples invisibles des Gog et Magog, compter les briques du mur mythique qu’ils ne cessent de construire. Nous, comme dirait l’humoriste Coluche : « On discute, on ne fait pas de politique. On ne dénoncera personne sauf tout le monde pour non- assistance à nature en danger. » Chagriné par la morte lente de la ville qui a tant bercé notre tendre enfance, Smaïl, ne pouvant contenir son amertume, s’écria : « Tout le monde est complice de cette catastrophe, tout le monde ! Où est la citoyenneté, où est le rôle de l’Etat ? » Protéger notre environnement, notre espace vital en constante dégradation, c’est aussi protéger notre avenir, celui de nos enfants et celui de la nation. L’ignorer, c’est prendre déjà le chemin vers l’hécatombe. Mais que connaît-on de Biskra, cette charmante ville aux racines profondes qui a charmé tant d’hommes et de femmes célèbres ? Smaïl se propose de nous éclairer un peu sur l’histoire de la ville que nous croyions tous connaître. Selon lui, l’antique ville, plusieurs fois millénaire, vit déferlé des poètes, historiens, philosophes, photographes, peintres de renom ou de simples passagers venus de tous les horizons se ressourcer dans ses splendides oasis parfumées ou se relaxer dans les eaux bénites de ses thermes légendaires. Ainsi, l’on retiendra les noms illustres d’lbn Khaldoun, Victor Hugo, KarI Marx, Gide, Robert Hitchens, célèbre pour son ouvrage The Garden of Allah (1890), Francis Jammes en quête d’exotisme sous « les palmes rigides pareilles à des bouquets de fer tranchant l’azur... », le comte Landon de Langeville (qui donna son nom à un beau jardin d’une très grande variété de plantes et d’arbres aux origines les plus lointaines) et tous ceux qui avaient fréquenté le cercle local des artistes tels que les photographes Lehnert, Maure, Bougault et Frechon ou les peintres Lazerges, Guillaumet, Girardet, Bompard et bien sûr Etienne Dinet qui deviendra plus tard Nasreddine Dinet mort à Bou Saâda. Biskra, l’enchanteresse, porta divers noms Ad Piscinam, Vecera, Vescra, Sokkra, Biskra... Un article sur la ville (Eden-Algerie.com) tente de nous expliquer les origines de ce nom : « ... les historiens arabes et étrangers ne sont pas en accord sur les origines de son appellation. Parmi eux, plusieurs disent que son nom descend du nom romain Vecera, qui signifie ‘’station’’ ou ‘’endroit’’ d’échange commercial, vu sa situation géographique qui relie le Nord au Sud. Mais le chef romain Betolimih Benyouball lui donna un autre nom ‘’la rivière du destin’’ qui est due à la rivière de sidi Zarzour (le nom de la rivière aujourd’hui) qui traverse la ville. Certains chercheurs trouvent que son nom descend de l’ancien nom romain ‘’A debesran’’ du à l’ancienne source géothermale qui se trouve proche de la ville, Hammam Salhine aujourd’hui. D’autres sources disent que le vrai nom descend du mot “Sokkra’’, du à la meilleure qualité des dattes sucrées que cette ville possède partout dans ses oasis. Entre toutes ces versions sur les origines du nom Biskra, d’autres versions confirment que la nomination actuelle Biskra a été donnée par les Carthaginois. Mais une chose est sûre, le nom de la ville de Biskra reste toujours relié à l’histoire de la région des Ziban qui s’étend des Aurès au nord jusqu’au Chott Melghir au sud et de le zone dite El Guebla à l’est jusqu’au Oued Djdey à l’ouest. » « Toute cette beauté, tout ce charme féerique et toute cette splendeur risquent un jour de disparaître. C’est déjà presque fait. Je n’ose plus regarder le visage hideux de notre ville. Elle se meurt à petit feu », ajouta Smaïl. Ma stupeur fut tellement grande que je ne pus m’empêcher de lui demander davantage de détails. Il pris hâtivement une gorgée de thé vert encore chaud puis repris : « Le 25 ou bien le 26 janvier dernier, plus de 4000 jeunes venus de toute l’Algérie s’engager dans les rangs de l’armée, ont non seulement saccagé le grand jardin public, en fait, le poumon de la ville et site classé par l’Unesco, mais aussi ont failli provoquer un gigantesque incendie en allumant un feu de camp pour se réchauffer, la nuit avec les branches d’arbres d’espèces rares. Pis, ils ont dégarni les bancs publics et pollué, dans des toilettes de fortune, une grande surface d’urine et d’excréments, sans compter les restes de nourriture. Le carnage dura près de quatre jours, au moins. » Je tentai de jouer le modérateur et donc de dédramatiser les choses en arguant que le manque d’infrastructures hôtelières en était peut-être la cause. Où peuvent aller ces jeunes sinon dans un espace public pouvant les contenir ? Pouvait-on les convoquer individuellement ou par voie de presse, par tranche d’âge, de numéros de convocations ou par je ne sais quel autre critère, en petits groupes ? Pourrait-on les placer dans des hangars, des tentes, dans des écoles durant les week-ends ? Quatre milliers de jeunes personnes dans la nature ensemble (dont certains auraient même provoqué des passants), cela peut provoquer des dégâts irréversibles si, par malheur, une petite bagarre venait à éclater entre eux pour une portion de fromage ou de pain, de plus ou de moins. Mon ami me fit comprendre que les autorités locales, quoique submergées par le nombre, avaient tenté de garder un œil vigilant sur leur déplacement sans pouvoir les déloger. Par prévention, certains commerçants avaient même baissé les rideaux de leurs magasins de peur qu’ils soient attaqués ou pillés. Qui peut-on blâmer dans cette affaire ? Le citoyen en panne de citoyenneté ou les structures de l’Etat qui auraient assurément mieux fait de chercher des solutions pérennes à ce genre de phénomène social en prenant en compte le danger que représente un tel rassemblement de jeunes grisés par le froid, la faim et le chômage ? La protection durable de la vie humaine et de l’environnement doit être la priorité de l’action solidaire tant des citoyens conscients et responsables que des pouvoirs publics à qui incombe le devoir de protéger à la fois les personnes et les biens fussent-ils privés ou publics. Comme l’on peut constater aujourd’hui, la dégradation croissante des milieux naturels terrestres et aquatiques, les pollutions chimiques et génétiques, l’effet de serre, la réduction dramatique de la biodiversité, l’épuisement des ressources qui se greffent aux risques naturels, constituent autant de menaces sérieuses auxquelles l’humanité entière devrait faire face avec plus d’engagement car il va de sa survie même. L’éducation du citoyen dès le jeune âge, la sensibilisation des adultes quant à la protection de l’environnement n’est pas seulement souhaitable. Davantage, elle est indispensable. L’école, la mosquée, les médias, les milieux associatifs et sportifs ainsi que les pouvoirs publics devraient en commun se concerter et coordonner leurs efforts à travers des campagnes de sensibilisation par affichage, séminaires et des actions de volontariat en vue de maintenir et de protéger la nature qui est notre source de vie. Sans la nature, c’est bien l’homme qui se met en péril ainsi que sa civilisation. La protection de l’environnement ne peut pas être la seule affaire de l’Etat ni du seul citoyen qui n’arrive plus à distinguer entre la dynamique citoyenne et l’action politique. « Tout citoyen, écrit Cécile Hache, est acteur de la vie en société et à ce titre se doit de défendre son propre environnement s’il a toutefois conscience de l’urgence dans laquelle sa ville se trouve... Il serait vital de fédérer une approche commune des choses, provoquer le dialogue et le contact entre nous tous. » Ainsi, toute approche écologique devrait être à la fois citoyenne et solidaire. L’une et l’autre sont complémentaires, la solidarité sera une valeur majeure de nos fonctionnements sociétaux. « On n’a plus le temps de ne faire que de l’écologie politique, écrit Félicien Michaut, il nous faut aussi d’urgence faire de l’écologie une vraie action sur le terrain. »

Notes de renvoi :

(1) André Gide, Les nourritures terrestres Gallimard Editions, collection : Folio n° 17
(2) Abdelkader Mazouz, La violence dans les campus : la somme de toutes les peurs. Le Quotidien d’Oran des 22 et 23 mai 2005, in Débat

Sources bibliographiques :

Cécile Hache, Ecologie et citoyenneté in -http://www.mondesolidaire.org/spip/imprimer.php3 'id - article=24l0 (21 octobre 2005)
Félicien Michaut, http://evolutionnaire.free.fr/
Site web http://www.eden-algerie.com/
Site web : http://www. oasisfle. com/
Site web : http//www.unregardsurlemonde.net/

-Les auteurs sont : Chercheur et doctorant en études américaines,
PhD, Université de Biskra






Les commentaires s'adrese a qui?http://evolutionnaire.free.fr/ecologieenalgerie.php
Michaut Félicien
10/11/2007 - 574

Commentaires

Monsieur Mazouz, nous nous excusons pour l'omission. Celle ci a été corrigée.Votre participation sera la bienvenue. Cordialement, Hichem : L'équipe VITAMINEDZ.
Hichem - Webmaster
10/11/2007 - 573

Commentaires

Je vous remercie d'avoir repris l'article sus-mentioné écrit conjointempent avec Dr Menana Nabil. Permettez moi de vous rappeler que vous avez omis de mentionner mon nom en tant que co-auteur. En bas de l'article, il est fait mention de "les auteurs sont...."Je mets cela sur le compte de l'omission involontaire. Bon courage.Aek Mazouz.
Abdelkader Mazouz - Doctorant en Etudes Americaines
09/11/2007 - 572

Commentaires

Bonjour juste pour fait un petit coucou et merci pour le clin d'oeil en bas du texte
Michaut Félicien - Fonctionnaire
08/11/2007 - 566

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