Alger - Revue de Presse

Docteur Mohamed Toumi – 26 avril 1926, Bordj Menaïl – 12 avril 2024, Alger. Profession : héros !



Docteur Mohamed Toumi – 26 avril 1926, Bordj Menaïl – 12 avril 2024, Alger. Profession : héros !
Publié le 20.04.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MOURAD BENACHENHOU

Par Mourad Benachenhou

L’indépendance de l’Algérie n’est à présent ni contestée ni contestable. Elle fait partie de la normalité tant algérienne qu’internationale. Nul ne remet en cause le droit du peuple algérien à se gouverner.

L’Algérie est un membre reconnu et respecté de la communauté internationale et un des participants les plus actifs à la discussion comme à la résolution des différentes crises que traverse actuellement le monde, et plus spécifiquement dans le territoire martyr de la Palestine occupée, aux prises avec un système colonial particulièrement barbare qui a pour projet l’extermination de la population autochtone palestinienne.

L’indépendance nationale, pendant longtemps une utopie

Pourtant, il n’y a pas si longtemps, à l’échelle de l’histoire, l’idée même d’indépendance du peuple ressortissait de la politique-fiction plus que de l’objectif réaliste et réalisable dans une période de temps humainement concevable.

Qui ne se souvient pas du slogan «L’Algérie, c’est la France !» ressemblant fort au slogan «La Palestine, c’est Israël !», slogan qui subira le même sort que tous les slogans coloniaux ?

Même l’existence du peuple algérien était niée ; sa présence même sur le territoire qu’il occupe depuis des siècles, si ce n’est des millénaires, et sous différents noms, était délégitimée, si ce n’est niée sous une forme ou une autre.

L’occupant colonial n’a ménagé aucun effort pour que notre peuple disparaisse à jamais de l’Histoire. Et tout laissait penser que ce peuple allait peu à peu vers la voie de l’extinction, tellement le rapport de force lui était défavorable.

L’étincelle du 1er Novembre

Dans cette nuit noire, une brusque étincelle jaillit qui sonna la fin du système colonial tant en Algérie qu’à travers l’Afrique. Il ne faut jamais oublier celles et ceux des Algériennes et Algériens qui ont contribué à faire de cette étincelle un incendie qui a finalement abouti à la restauration de l’indépendance ; celle-ci, malgré des imperfections, ce qui est dans la nature même de la société humaine, nous a débarrassé de la servitude, de l’oppression et de l’humiliation de la domination coloniale.

La guerre de libération nationale, menée sous l’égide de l’ALN/FLN, a été un soulèvement général désespéré, une ultime tentative, qui a uni, en un effort collectif, toutes les couches de la population, et toutes les classes d’âge. L’indépendance n’a été ni un cadeau de l’ex-puissance coloniale ni un sursaut d’humanisme et de justice de sa part, mais le résultat d’une lutte violente, pleine de douleurs et de souffrances, où le sang des Algériennes et des Algériens a coulé abondamment, un combat héroïque, hélas maintenant plus ou moins effacé des mémoires des générations qui n’ont ni connu la période coloniale ni vécu les affres et la violence de la guerre de Libération nationale, et pour lesquels vivre dans une Algérie indépendante ressortit tout simplement de la banalité quotidienne.

Rappeler la lutte de libération : un devoir constant à entretenir

C’est pour cela qu’il est indispensable que chaque fois qu’un de ceux des générations qui ont pris sur eux la lourde et dangereuse mission de libérer notre pays achève son séjour dans cette vallée de larmes, on aille au-delà des rites funéraires traditionnels, du confort donné aux famille du défunt, en passant par les condoléances des autorités officielles, sans oublier la cérémonie solennelle d’inhumation, et les veillées funèbres traditionnelles pour payer une dernière fois le respect de la société envers ce défunt.

La génération de la lutte de libération se réduit de jour en jour, et avec elle disparaissent les derniers témoins vivants de la nuit coloniale et de sa cruauté, si ce n’est de sa barbarie.

Les tristes occasions du décès de celles et ceux qui, par leurs sacrifices, si ce n’est leur héroïsme, permettent aux générations actuelles de vivre dans une Algérie libre doivent être une occasion de revenir sur leur parcours et leur contribution, si modeste soit-elle, à la lutte de Libération nationale.

Le professeur mohamed toumi, un héros exemplaire

Parmi ces héros qui ont consacré leur adolescence et leur âge adulte à la libération de l’Algérie, le professeur Mohamed Toumi, qui vient de disparaître, mérite une mention particulière, car son engagement dans cette lutte a été total, et parce que sa contribution dans le domaine médical, dont il était expert, a réellement marqué le déroulement de la lutte armée.

La médecine militaire était un art quasiment inconnu de la pratique médicale algérienne. Il a fallu l’apprendre sur le tas et sur le terrain du combat même, dans des circonstances particulièrement difficiles.

On peut affirmer que le Dr Toumi a montré autant de courage que de détermination et d’esprit d’initiative pour accomplir sa dangereuse mission, et sauver le maximum de moudjahidine affectés par les blessures et les maladies propres aux unités de combat.

Qu’est-ce que l’héroïsme ?

L’héroïsme est-il une qualité intrinsèque que certains possèdent à leur naissance, qui fait partie de leurs gènes hérités de leurs parents, et que les circonstances permettent de dévoiler et de prouver ? Est-ce le fruit des circonstances et des évènements qui, de manière quasi fortuite, apparaissent instinctivement et de manière spontanée chez des personnes que rien ne préparait à faire preuve d’un courage qualifié d’héroïque ? Est-ce un choix délibéré où, face à des circonstances particulièrement dangereuses, la personne décide d’étouffer son instinct normal de survie, qui la pousserait à fuir, et d’affronter le danger ? Questions philosophiquement pertinentes, et auxquelles on ne peut répondre qu’en disant qu’il y a sans doute des trois dimensions dans l’héroïsme : le génétique, le circonstanciel et l’intellectuel. Mais le plus important n’est pas l’explication de l’héroïsme, mais plutôt sa caractéristique essentielle : le héros accepte de parier, en offrant comme gage sa vie, que le combat qu’il a choisi de mener, ou auquel il prend délibérément part, est non seulement juste, mais également que son issue finale est, quelque désespérées que soient les circonstances, victorieuse. Le héros parie contre la raison et l’instinct de survie, en dépit des circonstances, des forces en présence, que son sacrifice ne sera pas vain, et que même s’il ne profitera pas de la victoire, celle-ci est assurée. Il y a, chez le héros, un optimisme fou, que rien ne justifie dans la situation où il se trouve, mais qui le conduit à accepter de mourir, car sa mort devient un pas garanti vers la victoire finale.

Une carrière brillante et prestigieuse

Peut-on qualifier le professeur Toumi de héros ? Qu’est-ce qui prouve, dans son parcours, qu’il mérite ce qualificatif ? On pourra trouver, dans d’autres écrits, une description détaillée et bien documentée de sa riche carrière scientifique et administrative qui prouve, à la fois, que c’était un homme doué de puissantes capacités intellectuelles, un innovateur qui a laissé des traces indélébiles dans l’exercice de la spécialité médicale qu’il a embrassée, et également qu’il a été reconnu par la société pour ses qualités personnelles de meneur d’hommes et d’organisateur capable de fédérer les personnes autour d’une institution collective servant tel ou tel objectif syndical ou scientifique.

Pour rappel, comme innovateur, il a mis au point une méthode de diagnostic des maladies cardiaques, reconnue et primée internationalement en 1985, et appelée «carboxy-angiographie».

De plus, professeur agrégé de médecine dès 1967, il a occupé les fonctions suivantes après l’indépendance, prouvant les qualités qui ont fait de lui un leader et un animateur social reconnu :
- Président de la Société algérienne de médecine.
- Président de la Société algérienne de cardiographie.
- Président du Conseil scientifique du CHU Mustapha d’Alger.
- Membre du Conseil consultatif national et président de la commission sociale.

Ces différentes fonctions lui ont donné le droit d’être inscrit parmi les cadres supérieurs de la nation et de recevoir la plus haute distinction honorant sa carrière au service du peuple et de l’État algérien indépendant, à savoir la médaille El-Athir décernée par le précédent président de la République.

Un héros qui a donné les preuves de son engagement et de son courage sur le champ de bataille

Mais ce n’est évidemment pas cette carrière plus que brillante après l’indépendance qui lui vaudrait le qualificatif de héros, quoiqu’elle prouve la puissance de sa personnalité et son rôle capital dans l’évolution de la médecine publique d’État depuis 1962 jusqu’à sa retraite officielle en 1996.

Sa stature de héros apparaît à travers son engagement non seulement dans la lutte politique précédant le déclenchement de la guerre de Libération nationale, mais également sur le champ de bataille au cours de cette guerre.

Il a été, dès l’âge de 18 ans, militant de base dans le Parti populaire algérien dirigé par Messali Hadj.

Dans des circonstances particulièrement dangereuses, où le système colonial s’était lancé dans une répression barbare de toute manifestation de «nationalisme».

Il s’est distingué, spécifiquement, en prenant part, le 8 mai 1945, à une manifestation spontanée d’appelés militaires algériens, qui, profitant du «défilé de la Victoire» marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale, à Bordj Ménaïl, ont arboré le drapeau algérien, et entonné le chant patriotique populaire de l’époque, avant la composition de l’hymne national, dont le premier strophe était : «De nos montagnes s’élève la voix des hommes libres qui appellent à l’indépendance, à l’indépendance de notre pays.»

Cette manifestation avait lieu alors que se déroulaient, dans la région Est du pays, à Sétif, Guelma et Kherrata, en particulier, les évènements sanglants qui ont fait 45 000 victimes parmi la population civile algérienne désarmée.

En juin 1956, et alors qu’il ne lui restait que quelques jours pour passer ses examens d’études médicales en cardiologie à la faculté de médecine de Montpellier, il a tout simplement abandonné le confort de ses études, et pris part à la grève générale lancée par l’association de l’Ugema, dont il était un membre fondateur, et rejoint, en juin 1956, la représentation du FLN à Tunis.

Un innovateur en matière de médecine militaire

Reconnu pour sa compétence et la clarté de ses idées, il est immédiatement désigné comme membre du Conseil de santé, établi par feu Ahmed Mahsas, dit Ali, alors commandant de la Base de l’Est, c’est-à-dire des troupes de l’ALN stationnées sur la frontière algéro-tunisienne. Il succède comme président de ce conseil à feu le docteur Nekkache Mohammed Seghir, qui devait, par la suite, devenir le premier ministre de la Santé de l’Algérie indépendante.

Cependant, il ne se satisfait pas de cette position lui donnant la responsabilité du système médical destiné aux djounoud de la base. Il décide d’en démissionner et de se porter volontaire pour rejoindre les troupes combattantes à l’intérieur du pays. Fin 1957, affecté au service de santé de la Wilaya II, alors commandée par feu Bentobal, il traverse la dangereuse ligne Morice, un réseau complexe composé de plusieurs barrages de fil barbelé, de champs de mines antipersonnel et de mines éclairantes, établis par l’armée coloniale pour empêcher les infiltrations des unités de l’ALN.

Cette traversée était alors en elle-même un exploit, tant il était difficile de survivre à l’épreuve, d’autant plus que ce réseau était surveillé, de jour comme de nuit, par des unités ennemies de fantassins et de blindés, et était couverte par un nombre important de forteresses lourdement armées.

Un livre de souvenirs de guerre instructif

Feu Lamine Debaghine était alors chef du service de santé de cette wilaya. Appelé en septembre 1958 à faire partie du GPRA, ce dernier cède son poste au Dr Toumi, qui raconte en détail, dans son livre Médecin dans les maquis, guerre de Libération nationale, 1954-1962, les conditions dans lesquelles était assuré le service de santé de l’ALN tant au profit des moudjahidine que de la population civile démunie de toute protection sanitaire avant le déclenchement de la guerre de libération.

Il fait preuve d’une très grande ingéniosité et d’un esprit d’initiative jamais pris en défaut pour parer au manque quasi total d’équipement médical comme de médicaments pour soigner les blessures graves subies par les moudjahidine au cours des combats avec l’ennemi, et leur assurer un minimum d’isolement et de soins au cours de leur convalescence.

En même temps, il subit, comme tous les membres de cette wilaya, les assauts de l’ennemi et se trouve, à plusieurs reprises, pris dans des embuscades, des encerclements et des accrochages, dont il n’échappe que par miracle.

Souligner que les autorité coloniales, conscientes de l’importance de la couverture médicale des djounoud pour leur moral et leur capacité de combat, avaient pris, dès octobre 1955, des mesures législatives pour interdire la vente libre et le transport d’une liste de produits pharmaceutiques pouvant servir au traitement des blessures ou de maladies propres aux soldats.

Le Dr Toumi inventa alors diverses méthodes de substitution aux médicaments ainsi frappés d’interdiction. Son livre a suscité un grand intérêt à l’échelle internationale et on le retrouve dans les bibliothèques de plusieurs universités américaines.

En conclusion

La période coloniale tout comme la lutte de Libération nationale qui a débarrassé le peuple algérien de son oppresseur et permis la réémergence de l’État algérien et lui a donné sa place dans la communauté internationale tombent peu à peu dans l’oubli

Les membres des générations qui ont porté sur leur dos la libération du pays et ont tout sacrifié pour la réussite de cette entreprise que l’on peut considérer comme un des grands miracles de l’Histoire, tellement les forces en présence étaient déséquilibrées au profit de l’occupant colonial, disparaissent peu à peu.

Il est indispensable «d’entretenir la flamme du souvenir de ces héros» et de profiter du triste évènement de leur disparition pour rappeler non seulement la lutte de Libération nationale qui a abouti à l’indépendance dont les citoyennes et citoyens présents jouissent, quelles que soient par ailleurs ses imperfections, mais également les actes d’héroïsme des participants à cette lutte.

On ne saurait se contenter des rites funéraires en respect aux défunts, comme les condoléances aux familles, l’inhumation, les cérémonies funèbres, etc., mais profiter de ces tristes occasions pour revenir sur l’histoire contemporaine de notre pays et rappeler la contribution et l’exemplarité de ces femmes et hommes.

Parmi ces femmes et hommes, le Professeur Toumi tient une place de choix par le rôle qu’il a joué dans le domaine médical au profit de cette lutte, et par la brillante carrière qu’il a eue après l’accès de notre pays à l’indépendance.

Le présent hommage, trop court pour refléter la stature du Professeur Toumi, «héros de profession», exemple de l’engagement au péril de sa vie pour la noble cause de la libération nationale, ne saurait être qu’une introduction à la connaissance d’une vie particulièrement riche au service de son peuple et de son État.

Finalement, il ne reste plus qu’à présenter les condoléances les plus sincères à la famille du défunt, et de lui souhaiter la patience dans cette triste et dure épreuve : Inna lillahi wa inna Illaïhi rajioune !
M. B.

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